« Une pratique singulière et utile à plus d’un titre »
Cheville ouvrière du dossier d’inscription de la transhumance au patrimoine culturel et immatériel de l’UNESCO, le collectif des races locales de Massif (Coram), par la voix de son président, Jean-Luc Chauvel, éleveur en Haute-Loire, revient sur le chemin parcouru et sur l’esprit de la démarche qui a obtenu début juin, l’aval de la France. Une première étape.
Comment est né cette volonté de faire reconnaître la transhumance par l’Unesco ?
En 2017, alors que se tenaient à Coblence en Allemagne, une rencontre des bergers d’Europe, nous avons initié l’idée avec l’Espagne, l’Albanie, la Croatie, l’Autriche, l’Italie et la Grèce de déposer un dossier à l’Unesco. Les italiens avaient déjà enclenché ce type de démarche, mais qui portait sur les chemins de la transhumance. Notre volonté était d’aller plus loin en faisant reconnaître la pratique dans son ensemble.
Quelle a été la première étape de ce travail collectif ?
Nous avons sommes d’abord attachés à circonscrire la définition de celui qui surveille ses animaux et qui se déplace. Selon les pays, on l’appelle transhumant, nomade… Mais quel que soit le vocabulaire, la transhumance sert à optimiser la ressource fourragère, elle est toujours pratiquée sur des territoires défavorisés où seul l’élevage est possible. La plupart du temps, des races locales sont associées à ces pratiques. C’est à ce niveau-là, que le Coram s’est investi. À l’échelle française, les six territoires de massif se sont accordés sur une synthèse et converger vers une définition partagée de la transhumance.
En quoi, selon vous, la pratique de la transhumance est-elle éligible au patrimoine culturel et immatériel de l’Unesco ?
Même si aujourd’hui, la transhumance se fait rarement à pied, à travers elle, se noue des échanges entre les hommes, se façonne des cultures et des espaces ouverts. Notre démarche vise la reconnaissance au patrimoine culturel et immatériel, ce qui implique que la pratique certes intéresse au premier chef le secteur agricole, mais qu’elle a des conséquences sur la culture, l’économie, l’artisanat, la société toute entière. Notre job est de faire reconnaître une pratique et de pouvoir mettre en place des programmes de sauvegarde pour les préserver. Mais ne nous y trompons pas, le mot sauvegarde n’est pas synonyme de sanctuarisation.
La reconnaissance à l’Unesco peut-elle, selon vous, infléchir les critiques émises à l’encontre de l’élevage ?
Par leur technique, on va démontrer l’adaptation et la modernité de ces techniques d’élevage, et remettre sur le devant de la scène l’utilité des éleveurs. À l’heure où les charges contre l’agriculture sont récurrentes c’est important. Par ailleurs, même si la reconnaissance n’est pas un label, la valorisation des méthodes de production peut amener à une valorisation des produits issus de ce territoire ; tout comme une prise en compte des espaces pastoraux intimement liés à la transhumance dans la Politique agricole commune. Enfin, force est de constater que notre modèle est dans l’air du temps car il s’adapte à l’évolution climatique.
Difficile d’évoquer la transhumance sans aborder la question épineuse du loup et de l’ours qui déciment des troupeaux entiers de brebis…
Le dossier Unesco ambitionne de reconnaître des territoires façonnés par toutes formes de biodiversité, qu’elles soient animale ou végétale, domestique ou sauvage. Mais la biodiversité invasive et prédatrice doit être maîtrisée. L’intervention de l’homme est nécessaire pour la réguler. L’essentiel de l’incompatibilité vient aujourd’hui du nombre.
Début juin, une nouvelle étape a été franchie dans ce processus de reconnaissance. Quelle sera la suivante ?
En effet, à l’issue d’une réunion au sein du ministère de la Culture le 2 juin dernier, le Comité du patrimoine ethnologique et immatériel a rendu à l’unanimité un avis favorable à l’inscription des savoir-faire et des pratiques de la transhumance en France à l’Inventaire national du patrimoine culturel immatériel. On enclenche désormais la seconde étape, avec le dépôt de notre candidature au patrimoine culturel et immatériel de l’humanité cet automne. Les pays nordiques souhaitent nous rejoindre. Nous avons bon espoir d’aboutir rapidement (ndlr : fin 2021) dans la mesure où la pratique que l’on défend est à la fois singulière et répandue partout dans le monde.