Un seul remède à la décapitalisation du cheptel allaitant : le prix
Outre l’impact de la pandémie sur l’économie mondiale et agricole, les élus de la Chambre d'agriculture réunis vendredi ont échangé avec le président de la FNBsur la situation du marché de la viande bovine.
Info, intox, vérités, contre-vérités rythment un quotidien où la certitude n’a plus sa place. Face aux experts de tous bords autoproclamés, aux marchands de peur, un seul refuge : les chiffres et une prise de recul bienvenue. Sachant que ce qui vaut pour la crise sanitaire vaut aussi pour l’économie. C’est cet exercice exigeant mais salutaire auquel s’est livré vendredi dernier la Chambre d’agriculture par la voix de Patrick Chazal. Un diaporama en 20 minutes chrono de l’état du monde après la déflagration de la météorite Covid qui a contraint à confiner la moitié de la population mondiale (lire aussi notre prochaine édition). Avec un focus particulier sur les productions agricoles, et un marché du broutard qui échappe aujourd’hui à toute logique, comme l’a réaffirmé Bruno Dufayet, président de la FNB (Fédération nationale bovine), invité de cette session.
Vous dites que l’un des enseignements de ces derniers mois est qu’il faut arriver “à rester froid”. Qu’entendez-vous par là ?
B. D. : “On nous a longtemps dit que c’était le marché qui faisait le prix. Or, pendant le confinement, comme aujourd’hui, la consommation de bœuf s’est tenue en France avec même une envolée sur le steak haché (+ 60 % sur le haché frais...). D’ailleurs, sur les dix dernières années, on reste à environ 1,5 million de tonnes de viande bovine consommée, malgré toutes les tentatives des anti-viande. Depuis le Covid, on assiste aussi à une baisse des importations et à un rebond de la consommation de viande française. Or, même quand le marché est favorable, on nous explique qu’il n’y a pas de valorisation possible et on subit une baisse des prix. C’est la raison pour laquelle la FNB a appelé à une opération de rétention des animaux en ferme pour alerter les pouvoirs publics et l’aval. Ça a eu un effet sur les cotations des vaches de réforme. L’enseignement qu’on en a tiré, c’est qu’il ne faut pas s’en tenir qu’aux chiffres, ne pas réagir aux messages alarmistes de l’aval. Depuis, on diffuse chaque semaine une série d’indicateurs fiables et officiels issus de FranceAgriMer,.., ce ne sont pas des indicateurs de la FNB. C’est la seule façon aujourd’hui de contrer les faux arguments des opérateurs dans les cours de ferme.”
C’est le même phénomène qui est à l’œuvre sur le broutard ?
B. D. : “Oui. On assiste d’un côté à la poursuite de la décapitalisation du cheptel allaitant avec 400 000 naissances de moins, et de l’autre à un marché italien qui ne se porte pas si mal : alors qu’on était descendu à 700 000 têtes exportées sur l’Italie il y a deux, trois ans, on dépasse les
900 000 avec + 3 % en 2019. On a rencontré récemment les quatre principaux exportateurs qui font 80 % du marché du broutard. Ils nous ont expliqué que la situation était catastrophique en Italie, qu’il n’y avait plus de consommation... Or, les données montrent qu’on est à + 1 % d’exportations sur l’Italie ces deux dernières semaines, que la cotation du JB à Modène a repris 5 ct€ la semaine dernière (à 4,14 €/kg). Et l’Italie est plus que jamais dépendante des importations françaises, à 80 % suite à la réorientation du cheptel des races à viande irlandais vers l’élevage laitier et le choix d’un vrai plan d’engraissement pour la consommation locale en Pologne. Normalement, ce contexte devrait faire rêver tout commercial : on a le produit dont l’Italie ne peut se passer !”
Vous avez aussi tiré la sonnette d’alarme sur l’engraissement tricolore...
B. D. : “Il y a une crise profonde de l’engraissement de JB (jeune bovin) avec un niveau de prix qui dévisse, 1 € au-dessous des coûts de production (à 3,50 €/kg en charolais), ce qui pèse aussi que le marché du broutard. On est là sur une production d’un autre temps : on fait de l’engraissement de JB sans contractualisation pour sécuriser tant les producteurs que l’abatteur. Il n’y a aucune organisation. On nous rétorque chaque année que les JB ne sortent pas au bon moment, sont trop ou pas assez lourds. En avril dernier, si on avait laissé s’installer le discours de l’aval faisant état de 70 000 JB en stock alors qu’on n’était qu’à 15 000, on aurait dégringolé encore plus bas ! Aujourd’hui, on assume complètement le fait que si on n’est pas capable de poser un vrai plan d’engraissement en France qui rémunère les producteurs, il faudra arrêter d’engraisser !”