Renouer le dialogue pour sortir de la crise
Des cours de la viande qui stagnent alors que les prix à la consommation progressent, des comptabilités en berne, une nouvelle PAC… les difficultés s’amoncellent sur la tête des éleveurs de vaches allaitantes. Durant plusieurs jours, ils ont manifesté leur « colère » et leur « ras-le-bol » en bloquant des abattoirs afin de tarir les approvisionnements de la distribution. L’annonce des mesures d’allégement de charge pour les éleveurs, prises par le ministre de l’Agriculture une semaine auparavant, n’a pas détendu la situation. Une réunion de crise s’est donc tenue le 12 mai avec l’ensemble des acteurs de la filière au ministère.
« On n’est pas arrivés à un accord ! », fut la première phrase de Stéphane Le Foll à la sortie de la réunion de crise organisée au ministère, le 12 mai, avec les membres de la filière viande bovine. Éleveurs, abatteurs, transformateurs et grande distribution étaient conviés pour faire le point sur la situation économique délicate des éleveurs de vache allaitante. Ces derniers avaient manifesté leur mécontentement par le blocage de certains abattoirs des trois plus grands groupes industriels de la viande, Bigard, Elivia (coopérative) et SVA Jean Rozé, quelques jours auparavant. Ainsi les sites de la Roche-sur-Yon (Vendée), Cholet (Maine‑et-Loire), Villefranche-d’Allier (Allier), Venarey-les-Laumes (Côtes d’Or), Cherré (Sarthe) étaient bloqués les 6 et 7 mai. Le 10 mai, les sites de la Chataigneraie (Vendée), les Herbiers (Vendée), la Roche-sur-Yon, le Lion-d’Angers (Maine-et-Loire), Metz (Moselle), Mirecourt (Moselle), Vitry-le-François (Marne), Trémorel (Côtes-d’Armor), Castres (Tarn) et Villers-Bocage (Calvados) étaient atteints par cette flambée de manifestation. Le 12 mai au matin, de manière symbolique, l’abattoir de Cluseaux a été bloqué pour quelques heures. Pour la FNB, ces actions sont « l’expression de la colère et du ras-le-bol des producteurs, après une chute de leur revenu, déjà au plus bas, et les difficultés inextricables de trésorerie qu’ils affrontent depuis trop longtemps. Elles aboutissent à des situations dramatiques sur le terrain ».
Baisse des prix à la production, hausse à la consommation
En parallèle, le lundi 4 mai, Thierry Thomas, membre d’un Gaec de quatre associés sur 400 ha dont 110 ha d’herbe et engraisseur de 900 jeunes bovins par an, entame une grève de la faim devant l’abattoir Socopa (groupe Bigard) de Gacé. Un acte isolé pour « dénoncer le système ». Et déjà Jean-Pierre Fleury, président de la Fédération nationale bovine, alerte l’opinion à la sortie de la réunion du 12 mai : d’autres « actes isolés dramatiques » risquent d’avoir lieu dans les fermes. Philippe Martineau, président d’Elivia et également éleveur, reconnaît lui-même que la tension montait depuis quelques temps dans les campagnes. « C’était sous-jacent. Les éleveurs deviennent insolvables. En mai, il faut payer les fermages, la MSA, prévoir les mises en places… Les éleveurs ne savent plus comment faire ». Depuis près d’un an et demi, ils peinent à couvrir leurs coûts de production. Pour Jean-Pierre Fleury, « il manque 0,60 euros/kg carcasse ». Thierry Thomas parle d’un « manque de 250 à 300 euros par jeune bovins ». Pour autant, le prix à la consommation a, lui, augmenté. Selon l’Observatoire des prix et des marges, en 2014, les prix de la viande à la production ont baissé de 6 à 8 % tandis que les prix au détail étaient en « hausse modérée » de 1 %. Stéphane Le Foll reconnait lui-même que « quelque chose s’est passé ». Il parle de 300 millions d’euros dont il ne « dira pas dans quelle poche ils sont passés… ». « Ce n’est pas le ministre qui décide du prix ! », affirme-t-il. Dominique Langlois, également président du groupe SVA Jean Rozé, tout comme Philippe Martineau et même Stéphane Le Foll, rappellent que, dans tous les cas, les marges des outils d’abattage-distribution sont faibles, de l’ordre de 0,7 à 2 %. Face à ces constats, Stéphane Le Foll demande que les membres de la filière « soient honnêtes les uns avec les autres » et « travaillent ensemble de manière beaucoup plus collective ».
Penser et travailler collectivement
Dominique Langlois, président de l’interprofession, reconnaît qu’« il ne faut pas attendre tout du ministre. La filière doit se prendre en charge ». Seulement « chasser en meute, en France, ça n’existe pas ! », s’exclame Jean-Pierre Fleury. Pour la FNB, les éleveurs sont devenus la variable d’ajustement de la filière en termes de marge. « Ils restent dans une filière qui cueille et qui ne se préoccupe pas de l’avenir », s’exclame Jean-Pierre Fleury. « Il y a une déconnection entre le prix à la production et à la consommation. On n’a jamais vu des rapports avec la distribution comme aujourd’hui », souligne-t-il. Les maillons grande distribution et abattage-transformation sont clairement mis en cause. Face au regroupement d’entreprises au sein de ces deux maillons, François Lucas, vice-président de la Coordination rurale, s’interroge. « On peut reprocher aux abatteurs-transformateurs de ne pas utiliser plus, dans les négociations commerciales avec la distribution, cet avantage » lié au regroupement, observe-t-il. Jérôme Bédier, directeur général de Carrefour, lors d’une conférence à l’Académie d’agriculture, le 6 mai dernier, avoue lui que, dans la filière viande, les rapports de force sont inversés. Dès qu’il s’agit d’acheter des volumes, le nombre d’interlocuteurs devient assez restreint.