Interview
"Prix plancher: ça fonctionne", la leçon du commerce équitable
Chez Max Havelaar, le "prix plancher" est utilisé depuis plus de 40 ans pour garantir un revenu minimum aux producteurs. Blaise Desbordes, DG de l'ONG, explique pourquoi cette mesure est réaliste en France.
Chez Max Havelaar, le "prix plancher" est utilisé depuis plus de 40 ans pour garantir un revenu minimum aux producteurs. Blaise Desbordes, DG de l'ONG, explique pourquoi cette mesure est réaliste en France.
Depuis longtemps chez Max Havelaar, le "prix plancher" n'est plus un sujet de questionnements mais une solution. Quel en est le mécanisme ?
Blaise Desbordes : Nous avons en effet 40 ans d'expérience sur le "prix plancher". Le principe du "prix plancher" évoqué par le Président de la République, nous appelons ça un «prix minimum garanti». C'est le pilier central des filières de commerce équitable c'est-à-dire des filières qui depuis quatre décennies ont tenté de protéger les producteurs face à la maltraitance généralisée du négoce. Nous avons instauré ce mécanisme et nous l'avons éprouvé sur environ 26 filières actuellement et 35 000 produits dans le monde. C'est un mécanisme qui a été testé et validé par des filières entières.
Comment fonctionne-t-il ?
BD : Nous avons voulu inverser l'ordre des choses. Dans un cas vous dites : il y a un prix de marché qui est lié à des évènements, plus ou moins légitimes, qui sont des situations météo, des volumes présents au niveau français, régional ou encore international; un point de rencontre d'offres et de demandes qui subit des aléas ; des marchés internes qui faussent le jeu... A l’inverse de ce mécanisme nous sommes partis du revenu du producteur. La méthode Max Havelaar c'est : quel seuil minimum fixons-nous, avec les producteurs, les interprofessions, l'institut technique... pour garantir un revenu aux producteurs ? Une fois qu'il a été calculé, ce prix est inscrit dans un cahier des charges dont il est la clé de voûte. Le prix minimum garanti au producteur n'est pas un mécanisme volatile puisqu’il subit moins les effets de marchés.
Le pire à faire pour un "prix plancher" est de l'isoler de son contexte et de l'adhésion de ses acteurs.
Chez Max Havelaar, le prix est issu du volontariat. Le fait qu’il soit adopté volontairement lui donne de la puissance. Dans une chaîne Max Havelaar, tout le monde signe : le producteur, le collecteur, l'industriel et jusqu'à la GMS. C'est ce qui fait la différence.
Quand on évoque le commerce équitable, on pense aux producteurs de café, de cacao, de thé... Un mécanisme similaire peut-il réellement être mis en place en France ?
BD : Aujourd'hui, le commerce équitable est universel, en raison de la pauvreté qui a surgi en Europe depuis une vingtaine d'années. Toutes les filières sont éligibles ainsi qu'une très grande variété de produits. Le commerce équitable a totalement changé. Nous ne sommes plus seulement sur un producteur identifié "tiers-monde". Nous sommes sur un concept de justice universelle.
Tous les agriculteurs méritent un prix équitable.
Nous pouvons construire une alliance extraordinaire sur ce point, avec les consommateurs.
Concrètement, comment est construit ce prix minimum garanti ?
BD : Premièrement, il est calculé avec le producteur en partant de ce qu'on veut sanctuariser : un revenu minimum.
Deuxièmement, il est transparent. Ce qui n'est pas le cas de toutes les démarches !
Nous croyons chez Max Havelaar que la transparence est une vertu car, grâce à elle, il n'y a plus d'approximations et encore moins de pseudos solidarités sans preuve avec les agriculteurs.
Nos 400 "prix plancher" sont accessibles sur notre site internet (prix de base hors prime NDLR). Rien que pour le café nous en avons 15 différents !
Troisièmement, notre "prix plancher" est territorialisé. En France, nous avons cinq "prix plancher" pour le lait, en fonction des zones de production (plaine, montagne, moyenne montagne et deux pour des produits créés récemment). Ce sont les conditions locales de production qui font le prix. Dans le cas d’un prix fixé à l’échelle nationale, le risque est de mettre certains petits territoires en difficulté.
Et enfin, dernier point, ce n'est pas un prix administré. La difficulté du débat ces derniers jours est de confondre un "prix plancher" volontaire et un "prix plancher" administré. C'est complètement différent.
Un "prix plancher" administré ne pourra pas s'insérer dans un cahier des charges global et faire office de filet de sécurité quand les choses vont mal. Comme il ne trouvera pas sa légitimité et tout son poids puisqu'il aura été imposé.
Ce prix minimum garanti est-il immuable ?
BD : Nos cahiers des charges comprennent une clause de renouvellement annuelle où le prix est rediscuté. Il est basé sur les coûts de production. Un organisme indépendant contrôle que ce prix payé aux producteurs, est bien celui qui a été convenu. Ces mêmes contrôleurs réalisent aussi des audits auprès des producteurs et des coopératives avant le lancement d'un nouveau produit.
En tant qu'ONG, nous savons rendre concret, efficace et accepté, un "prix plancher". Les faits sont-là. Certains de nos produits font un carton. Nous avons notamment un yaourt français, construit avec les maîtres laitiers du Cotentin, lancé il y a trois ans, qui est présent aujourd'hui dans 800 cantines françaises. Dans quelques semaines nous allons sortir une brique de lait avec les producteurs d'Occitanie.
En termes de prix pour le consommateur, comment cela se traduit-il ? Et ce prix reste-t-il acceptable malgré l'inflation ?
BD: Nous souhaitons que nos prix restent accessibles aux consommateurs pour que la démarche fonctionne mais nous ne pouvons pas contrôler les marges. Il appartient à la coopérative, à l'industriel et au distributeur de définir leur taux de marge. L'exemple le plus réussi à grande échelle est celui de la banane. Aujourd'hui, 12% des bananes vendues en France (soit 100 000 tonnes) ont un "prix plancher". Elles sont vendues entre 1,99€ et 2,50€/Kg. C'est le fruit le moins cher du rayon fruits et légumes et bio qui plus est. Mais qu'est-ce qui a marché dans la banane ? La GMS considère la banane comme un produit "access", accessible au plus grand nombre, de base, et donc elle va être raisonnable sur les marges pour maintenir les ventes.
On peut sécuriser la matière première agricole, avec un revenu rémunérateur, mais tout dépend de la dynamique des marges.
Ce qui me désespère c'est qu'on puisse se retrouver dans une situation où la stratégie de l'enseigne va être de sur-marger sur des produits agricoles et sous-marger sur des jouets en plastique chinois, alimentant au passage un système de production polluant et avec derrière de la maltraitance sociale.
La question fondamentale qui doit être posée aujourd'hui c'est: continuons-nous à considérer l'agriculture comme une production comme les autres ou non ? Chez Max Havelaar, c'est non ! L'agriculture est une production beaucoup plus importante qu'une production lambda. Ceux qui croient qu'on peut mettre les produits agricoles sur le même type de raisonnement qu'une tondeuse à gazon, se trompent.
Dans cette démarche volontaire de construction d'un "prix plancher" en totale transparence, pensez-vous que ceux qui font les prix aujourd’hui vont accepter de ne plus être les seuls décisionnaires ?
BD: En toute lucidité: non. Les filières équitables se sont battues pour réussir à imposer leur modèle. Elles ont aujourd'hui 4% de part de marché et parfois, dans certains fruits, 40 à 50%.
Le rapport de force en France est extrêmement présent dans les négociations commerciales. Le commerce équitable a inventé une méthode pour en sortir.
Aujourd’hui, le prix final, tel qu’il est fixé, ne sécurise pas la matière première agricole. Par contre si tout le monde joue le jeu et ne surmarge pas, c'est gagnant-gagnant.
La guerre des prix ne va-t-elle pas limiter cet engagement ?
BD: C'est là que le rôle du consommateur est important parce que c'est à lui de choisir, et de privilégier, ce qui est labellisé commerce équitable. Nous vivons cela quotidiennement chez Max Havelaar. Nous avons 6 000 produits en France. L'année dernière, la banane équitable bien positionnée chez deux distributeurs a fait +10% en pleine crise.
Et la loi Egalim dans tout ça ?
BD: La loi Egalim 4 doit muscler l'Observatoire des prix et des marges et publier publiquement les prix indicatifs.
Les "prix plancher" doivent être un nouvel outil de civisme, d'exercice de sa citoyenneté.
C'est fondamental si nous voulons que les tendances s'améliorent. Tout le monde doit être embarqué et cela passe par une bonne communication. Sur nos 6000 produits, nous avons conscience que certains ont un prix trop élevé. Ils sont destinés à des personnes avec un certain niveau de revenu ou ils vont être retirés des références peu à peu; mais ce n'est pas grave. Si sur 6000 vous en avez 2000 qui sont moins populaires, ce n’est pas si important.
Le Père Francisco Van Der Hoff, fondateur de Max Havelaar, aurait-il imaginé un jour que les mécanismes du commerce équitable seraient employés en France ?
Blaise Desbordes: Absolument pas ! Il a fondé Max Havelaard pour venir en aide à des petits caféiculteurs du centre du Mexique. Ils faisaient un excellent café mais le vendaient aux "coyotes", des acheteurs sans scrupule, qui achetaient leur production en bout de champ, à n’importe quel prix. Le Père Francisco Van Der Hoff est décédé il y a une dizaine de jours, au Mexique, auprès de cette communauté de caféiculteurs.