L’état d’urgence pour l’élevage cantalien
Pas d’embellie en ce début d’année : les rats sont toujours là, contrairement aux prix et aux soutiens attendus de l’État… Et l’Espagne revoit son protocole FCO sur les petits veaux.
L’année 2015 restera pour l’agriculture cantalienne l’une des plus noires des récentes décennies et laisse pas mal de chantiers ouverts. Comment abordez-vous 2016 ? Patrick Bénézit, président de la FDSEA du Cantal :
“L’année qu’on vient de passer est effectivement à oublier très vite même s’il faut souligner un point positif, le seul sans doute : l’application de la transparence pour les Gaec, à l’issue d’un combat de haute lutte pour le Massif central. Cette disposition a bénéficié à de nombreuses exploitations cantaliennes. Globalement, cette réforme de la Pac a été favorable à nos zones mais sa mise en œuvre a été calamiteuse. On va commencer à faire les nouvelles déclarations de 2016 alors que les dossiers 2015 ne sont pas encore traités ! C’est un bordel incommensurable où une vache n’y reconnaîtrait pas son veau !”
“L’État doit payer tout ce qu’il nous doit”
Quels sont les enjeux prioritaires pour le syndicalisme cantalien en 2016 ?
P. B. : “Que l’État honore tous les engagements pris par Manuel Valls et son ministre de l’Agriculture auprès des éleveurs le 3 septembre et réitérés par la suite dans le cadre du plan d’urgence et du fonds calamité. Des mesures dont les éleveurs ont urgemment besoin du fait de trésorerie “HS”. Tous ces dossiers ont trop traîné, on demande le paiement rapide de tout ce qui est dû : le Fac (NDLR : fonds d’allègement des charges), les mesures MSA, la remise d’impôts (sur le foncier non bâti...) et l’année blanche. Cette dernière se met en place peu à peu et nous avons obtenu un report au 31 janvier de la date limite de dépôt des demandes. Il faut que ceux qui en ont besoin saisissent ce délai pour faire les démarches auprès de leur banque. S’agissant de la sécheresse, il faut d’abord rappeler la ponction de 255 millions d’euros opérée par l’État sur les réserves du fonds calamités. Des considérations budgétaires qui ont aussi prévalu dans le traitement des dossiers déposés par les départements affectés cette année. Suite à notre intervention, les autorités ont accepté de revoir le dossier cantalien en janvier. Il faut maintenant que la reconnaissance du département en calamité se fasse fin janvier à la hauteur des pertes transmises par l’administration départementale et que les indemnités sécheresse soient versées au plus vite. Il en va de même pour le dégrèvement de la TFNB lié à cette procédure calamité et des engagements complémentaires du Conseil départemental et de la Région Auvergne que nous avons réclamés sur les secteurs les plus touchés. Enfin, nous attendons aussi toujours l’indemnisation des coûts d’immobilisation des broutards du fait de la FCO. Là encore, c’est un engagement ministériel formalisé cet automne mais pour l’heure pas concrétisé. Toutes ces mesures sont une question de survie pour beaucoup d’exploitations.”
Les marchés ont aussi été fortement perturbés par la FCO. Où en est-on ?
P. B. : “On commence l’année 2016 avec une situation extrêmement compliquée pour les veaux naissants avec l’arrêt du protocole dérogatoire signé avec l’Espagne. C’est inadmissible ! Sans dérogation, le protocole européen prévoit des échanges pour les seuls veaux issus de mères vaccinées. Or, l’administration française n’a pas prévu de doses pour ce cas de figure ! Nous exigeons des pouvoirs publics une solution, y compris - si nécessaire - le retrait sanitaire d’une partie de ces petits veaux pour palier une partie du marché devenu inexistant. Cette situation est de nature à déstabiliser davantage les autres marchés de la viande qui continuent de subir l’impact de la FCO.”
“Le débat sur le prix devra être traité”
Qu’il s’agisse des marchés du lait ou de la viande, les prix ne sont pas au rendez-vous. Et quoi qu’on dise, il faudra que l’Union européenne ou la France soutienne à nouveau des politiques de prix à la production. La situation actuelle n’est plus tenable, on ne pourra pas faire une “année blanche” tous les ans. Ce débat sur le prix devra être traité. La France n’est pas la seule concernée, on le voit, la situation des éleveurs en Europe est partout catastrophique. L’UE ne pourra pas éternellement se défausser de ce débat et restée arc-boutée sur une politique ultralibérale qui presse les producteurs. Sur le volet laitier, il faut continuer à travailler, faire progresser toutes nos démarches de différenciation. C’est un impératif pour nos zones.”
L’année écoulée a aussi été marquée par le fléau des rats taupiers. Le préfet de Région a annoncé fin décembre un comité scientifique tel que vous le réclamiez. Y a-t-il des raisons d’espérer ?
P. B. : “Tout va dépendre des ambitions que les pouvoirs publics entendent donner à ce comité. À ce stade, c’est une coquille vide. Nous demandons d’ores et déjà au nouveau préfet de Région d’engager tout le panel possible de scénario de recherche qu’il s’agisse de nouveau poison, d’immunocontraception, de maladie ou de parasite naturels, de prédateurs (hermine...), etc. Aucune piste ne doit être écartée même celles dont les pouvoirs publics n’ont pas voulu entendre parler jusqu’à présent. Le fléau devient tel qu’ils ne peuvent rester sans rien faire en mettant le principe de précaution à toutes les sauces. Rien n’a été engagé qui corresponde à l’objectif d’éradication des rats, nous attendons donc une forte impulsion du nouveau préfet coordinateur de Massif. D’autant que si en 2015, de vrais ravages sont à déplorer sur plusieurs secteurs, pour 2016, les zones d’infestation sont démultipliées et on peut considérer que la moitié du département est désormais touchée de manière extrêmement sérieuse. Les pouvoirs publics doivent avancer sur ce dossier pour nous aider à éradiquer ces bestioles.”
Rats : “Toutes les pistes doivent être explorées”
Qu’en est-il des possibilités d’indemnisation ?
P. B. : “Dans les zones encore peu touchées, on incite les éleveurs à utiliser les moyens de lutte actuels qui peuvent désormais être pris en charge par le FMSE(1) car nous sommes arrivés à conserver les rats en catégorie 2 de la liste des dangers sanitaires. Ce qui permet que la lutte soit financée et que, demain, les dégâts soient en partie indemnisés. Malgré tout, on reste extrêmement étonnés que les pouvoirs publics n’intègrent pas les rats taupiers en catégorie 1, celle qui regroupe les maladies transmissibles à l’homme. L’ensemble du monde scientifique et médical reconnaît que le rat est un vecteur de l’ecchinoccocose alvéolaire qui a fait plusieurs dizaines de morts dans le Massif central ces 30 dernières années. C’est bien plus que les décès liés à la maladie de Creutzfeldt-Jacob. Le classement en catégorie 1 du campagnol obligerait l’État à prendre ses responsabilités. Les pouvoirs publics ne peuvent plus nier aujourd’hui qu’il s’agit d’un souci sanitaire pour la population.”
(1) Fonds de mutualisation sanitaire et environnemental.
Plus d'infos à lire cette semaine dans L'Union du Cantal.
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