« Les agriculteurs se sont aperçus qu’ils pouvaient faire du bien autour d’eux »
À l’heure où les Français s’interrogent sur l’impact économique de la crise sanitaire de la covid-19, des actions de solidarité se mettent en place pour soutenir les agriculteurs de l’Hexagone et les populations les plus démunies. Solaal, association qui facilite les échanges entre agriculteurs et associations d’aide alimentaire, a vu ses dons augmenter depuis le début du confinement. Sa présidente, Angélique Delahaye, revient sur l’implication des agriculteurs français dans le soutien aux plus fragiles.
Comment Solaal et les associations d’aide alimentaire se sont-elles organisées pour faire face à la crise de la covid-19 ?
Cette crise sanitaire a donné lieu à des situations inédites. Les agriculteurs dont les circuits de distribution ont été perturbés se sont retrouvés avec des produits périssables sur les bras pour lesquels il a vite fallu trouver des solutions. De leur côté, les associations d’aide alimentaire ont connu des demandes grandissantes de la part des populations fragiles, alors que leur organisation interne s’est rapidement déstructurée. Moins de salariés, moins de bénévoles… Le confinement les a mises à dure épreuve. Elles ont vu arriver énormément d’étudiants qui, du jour au lendemain, ont dû arrêter leurs petits boulots. Elles ont dû répondre aussi à beaucoup de femmes seules avec enfants. Quant à Solaal, nous avons atteint 10 % de notre volume annuel dans les trois premières semaines du confinement. Nous avons rapidement été confrontés à des problèmes de circulation et de logistique. Ayant des poids lourds qui roulent à vide pour revenir aux entrepôts, Carrefour, notre partenaire historique, et d’autres entreprises de transport, nous ont mis à disposition des camions pour mener nos dons à destination.
Quels produits de première nécessité sont les plus demandés par les associations en cette période de confinement ?
Absolument tous ! Les associations manquent de tout : de fruits et légumes, de produits frais, de produits d’hygiène, notamment de couches pour bébé. Et je crains que les choses s’empirent. En tant que maraîchère, je me suis rendue compte qu’il y avait tout un tas de produits qu’on ne mettait pas sur le marché car considérés hors normes, au calibrage non standardisé. Il s’agit de fruits et légumes, parfois trop gros, parfois trop petits, ayant des formes inhabituelles… En tant que producteurs, nous avons l’habitude de les manger car ils sont tout à fait comestibles, mais le consommateur n’a pas l’habitude de les voir. Les associations ont accepté de les récupérer. Ce sont des petites quantités mais ne dit-on pas que ce sont les petites gouttes d’eau qui forment les grandes rivières ? Nous sommes aussi en train de nous renseigner sur le retrait communautaire. En effet, en cas de difficulté à vendre la production, les règles européennes prévoient la possibilité de réaliser des retraits de fruits et légumes du marché, en dédommageant les agriculteurs. Nous travaillons avec l’ensemble des parties prenantes afin que le gouvernement puisse monter son dossier et mettre en place cette mesure exceptionnelle.
Combien de repas ont-ils été distribués aux personnes les plus démunies pendant la crise ?
Depuis le début de la crise, une très grande variété de produits a afflué vers les associations d’aide alimentaire. Nous en avons collecté 340 tonnes, soit 680 000 repas sur les trois premières semaines de confinement, dont 90 % de fruits et légumes, des produits en très forte demande. Les agriculteurs ont montré une grande solidarité envers le monde associatif. Solaal a vu son nombre de donateurs doubler dans les quinze premiers jours. Les agriculteurs ont répondu présents dans le souci premier de ne pas gaspiller les denrées alimentaires. Il s’agit de l’un des trois piliers de Solaal portés par son fondateur, Jean-Michel Lemétayer, sans oublier le rééquilibrage du bol alimentaire des populations en précarité et l’accompagnement des agriculteurs en situation de mévente.
Solaal aide les plus démunis mais souhaite aussi trouver des solutions pour les agriculteurs. Qu’a-t-elle prévu pour accompagner les producteurs de fromages sous appellation en grande difficulté en ce moment ?
Grâce à des financements par région ou par département, nous allons mettre en lien les organisations de producteurs avec les associations d’aide alimentaire. Nous allons essayer de faire acheter les fromages sous appellation à prix coûtant pour éviter que les éleveurs cumulent trop de stocks. Selon le type de fromage, ils n’ont parfois même pas la possibilité de stocker et doivent jeter une partie de leur lait, en essuyant des pertes sèches. Nous sommes en train de fixer le cadre sanitaire pour que nos associations partenaires, qui ne sont pas équipées de rayons de découpe réglementés, puissent quand même vendre ces fromages. Pour cela, il va nous falloir l’aide des industriels. Ils devraient s’occuper de la découpe des meules et de l’emballage sous-vide des fromages avant d’entamer la distribution au sein des différentes associations.
Quelles conclusions pouvez-vous tirer de cette crise sanitaire inédite ?
Au-delà de toutes les difficultés que nous avons dû affronter, cette crise sanitaire a créé un lien social entre les agriculteurs et les associations que nous n’avions pas soupçonné. Malgré les adversités, les agriculteurs se sont aperçus qu’ils pouvaient faire du bien autour d’eux. Ils se sont dit : « Finalement je ne perds pas tout, je continue à faire du bien à quelqu’un ! » On touche clairement à l’affect des personnes. On a tendance à croire que les agriculteurs en détresse se replient souvent sur eux-mêmes. Là, ils nous ont prouvé le contraire. Derrière leurs dons, on s’est aperçu qu’il y avait, certes, un vrai appel au secours mais aussi un grand élan de solidarité.