L’eau, un élément majeur pour la qualité et la durabilité des exploitations
Éric Frétillère, président des irrigants de France*, regrette la faible ambition de la politique de stockage dans notre pays qui bénéficie pourtant d’une forte disponibilité en eau.
L’utilisation de l’eau en agriculture est un sujet qui reste sensible, parfois même controversé. Quelle est aujourd’hui l’ambition politique sur la question ?
Il semble qu’il y ait une certaine prise de conscience de la nécessité de l’eau en agriculture mais elle reste faible et à concrétiser. Le changement climatique conduit nos décideurs à se pencher davantage sur la question, notamment celle du stockage de l’eau. D’ailleurs en août 2017, la volonté commune de Nicolas Hulot, alors ministre de la Transition Écologique et Solidaire, et de Stéphane Travert, alors ministre de l’Agriculture, d'encourager la création de nouveaux projets de stockage allait dans la bonne direction. Ils ont créé une cellule d’expertise sur la gestion de la ressource en eau dans le domaine agricole, placée sous la responsabilité du préfet Pierre-Étienne Bisch. Cette cellule avait pour mission d’examiner les projets en cours, d’identifier les difficultés rencontrées, d’améliorer la qualité des projets et d’accélérer leur réalisation. L’idée était intéressante mais incompatible avec la politique des agences de l’eau qui conditionnent leurs financements aux projets de retenues de substitution et aux agriculteurs qui s’engagent à réduire de 10% leur irrigation… Ce qui partait donc d’une bonne intention est devenu insensé. La question qui se pose aujourd’hui c’est le lien entre cette cellule d’expertise et les assises de l’eau qui se sont ouvertes récemment. Que va-t-il en sortir ? Nous attendons les résultats.
N’y a-t-il pas urgence pour les exploitations ?
À l’échelle d’une exploitation, l’eau est effectivement essentielle. C’est un gage de production de qualité, de durabilité et de transmissibilité de l’exploitation. C’est aussi un élément important pour l’agriculture biologique et le développement des circuits courts. On le voit en Limagne, l’irrigation a permis de créer et conforter des filières et maintenir des productions variées. D’ailleurs, il y a 20 ans, le développement de l’irrigation grâce à l’eau recyclée de la station d’épuration de Clermont-Ferrand reste une référence pour tous les irrigants. C’est un dossier important sur lequel nous travaillons pour que demain ce modèle puisse se développer au niveau national.
Plus globalement, la problématique de l’eau reste locale. Elle doit s’adapter à chaque territoire et à ses particularités. Et tous les projets méritent d’être examinés.
La thématique de l’eau dépasse nos frontières.
Quelles relations avez-vous avec vos homologues européens ?
Depuis cette année irrigants de France s’est structuré au niveau européen avec l’Espagne, le Portugal et l’Italie. Nos quatre pays représentent 80% de l’irrigation dans l’UE. Notre ambition est de travailler ensemble sur l’adaptation de nos agricultures face au changement climatique qui aujourd’hui n’est pas suffisamment pris en compte au niveau européen. C’est pourtant un élément majeur dans la gestion et la maitrise de l’eau, laquelle revêt aujourd’hui un enjeu géopolitique fort.
En France, nous avons la chance d’avoir de l’eau en abondance ; en quantité, nous sommes le 2ème pays européen derrière la Norvège. En revanche nous n’utilisons et stockons l’eau qu’à hauteur de 15%, ce qui nous place au dernier rang des pays de l’UE. Un paradoxe incompréhensible quand on sait l’énorme potentiel en eau dans notre pays…
Quel est le rôle d’une chambre d’agriculture dans la conduite d’une politique d’irrigation sur son territoire ?
Le rôle central de la chambre d’agriculture est d’accompagner les agriculteurs dans le développement de leurs exploitations. L’eau n’est pas seulement un outil de travail, elle devient aussi un outil de durabilité des exploitations, des productions, des filières et des territoires.
Encore une fois, c’est un élément majeur de développement qui doit absolument être pris en considération par les élus de la chambre. Sinon que va-t-il se passer ? On va se retrouver face à l’impossibilité de produire, et donc obligés d’importer davantage de produits qui n’ont pas les mêmes cahiers des charges. L’exemple de la volaille est flagrant : en 2010 nous importions 10 000 poulets, en 2017 : 40 000…
Chaque Chambre d’agriculture doit avoir un service eau performant et compétent qui travaille en lien avec les structures d’irrigation locales.
Propos recueillis par C.Rolle
*Irrigants de France représente l’ensemble des agriculteurs irrigants sur le territoire français.
Il y a 75 000 irrigants en France sur 1,5 million d’ha de surfaces irriguées.