Le ministre de l’Agriculture à l’écoute du monde de l’élevage
À l’occasion de sa visite dans le Puy-de-Dôme, vendredi dernier, Julien Denormandie a rencontré les responsables professionnels départementaux, d’Auvergne-Rhône-Alpes, et des Massifs pour échanger notamment sur la Politique agricole commune.
Il aurait dû profiter du Sommet de l’Elevage pour dialoguer avec les responsables du monde de l’élevage, et plus globalement avec ceux du grand Massif central. L’annulation de l’évènement, pour cause de pandémie de Covid-19, a bousculé le calendrier, mais pas altéré l’intention du ministre de dialoguer avec le cœur du berceau de l’élevage français. Présent dans le Puy-de-Dôme, vendredi dernier, Julien Denormandie a donc multiplié les rendez-vous : réunion avec les exportateurs sur la problématique broutards (voir par ailleurs), visite de la cantine de Lezoux qui travaille avec la plateforme Agrilocal, puis découverte de l’exploitation de David Chaize, éleveur de charolaises sur la commune de Bort-l’Etang… Le tout entrecoupé d’une réunion de travail dense autour de la politique agricole commune. « L’idée était de présenter au ministre les axes principaux du livre blanc des Massifs français sur lesquels convergent les positions du Massif central, des Alpes, du Jura, des Vosges, des Pyrénées et de la Corse », explique Patrick Bénézit, président de la Copamac. A quelques semaines des arbitrages cruciaux pour la Pac post 2020, l’échange était évidemment hautement stratégique. Le projet défendu par les Massifs s’articule autour de quatre axes qu’ont détaillé tour à tour les élus.
« Passer d’une guerre des prix à une transparence des marges »
Premier axe : Créer de la valeur ajoutée économique et environnementale, qui se décline en deux piliers majeurs
« soutien au prix » et « reconnaissance des services écosystémiques rendus par l’élevage ». Sur les prix, Michel Joux, président de la FRSEA Auvergne Rhône-Alpes a rappelé que la loi Egalim avait apporté des avancées, « mais encore bien trop timides ». Le ministre s’est dit mobilisé « à fond sur la loi Egalim avec une triple ambition : confiance, exigence et transparence. Il nous faut passer d’une guerre des prix à une transparence des marges ».
Maintenir les aides couplées
Parallèlement, le président de la chambre régionale d’agriculture d’Auvergne-Rhône-Alpes a insisté sur le caractère structurant des aides couplées : « Certes la passion guide les éleveurs, mais si demain les aides couplées venaient à être réduites ou à disparaître, le paysage que vous avez traversé aujourd’hui changerait profondément. Le meilleur moyen de le conserver et d’assoir l’activité économique sur nos territoires est de maintenir les aides couplées ».
Julien Denormandie a assuré que le couplage était un des combats de la France, sous-entendu, il va falloir se battre pour convaincre certains homologues européens des bienfaits du couplage, en particulier les allemands. Au chapitre de l’éco-dispositif (éco-scheme), les professionnels plaident pour une reconnaissance des pratiques vertueuses existantes inhérentes aux massifs. « Dans la traduction de l’enjeu climatique et environnemental, les pratiques herbagères et pastorales doivent être intégrées de fait dans l’éco-scheme », ont expliqué conjointement Christophe Léger, président du SUACY Alpes du Nord, et Philippe Lacube, président du Massif des Pyrénées.
ICHN : « Le lien à l’élevage est fondamental »
Le second axe du projet porté par les Massifs égraine une série de mesures pour « compenser les différences et soutenir équitablement tous les territoires ».
Première de ces mesures : l’indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN) que les professionnels veulent voir sanctuariser : « Le premier pilier de la Pac vise à donner de la durabilité à nos exploitations, le second pilier à asseoir les politiques différenciées telles que l’ICHN qui évite la concentration de l’agriculture sur les seuls territoires de plaines ou de vallées. L’ICHN a structuré nos territoires autour du triptyque : hommes, territoire et élevage », a rappelé Yannick Fialip, président de la chambre d’agriculture de Haute-Loire.
Investir et installer
Sur le troisième axe du projet « investir, installer et agir sur l’emploi », David Chauve, président de la chambre d’agriculture du Puy-de-Dôme, et secrétaire général de la FRSEA Auvergne-Rhône-Alpes a défendu le principe d’aides à l’investissement ambitieuses destinées aux outils de production (bâtiments…), et aux nouveaux enjeux (énergies renouvelables…), et rappelé le travail mené de concert entre le Massif central et le bassin parisien sur la définition de l’actif agricole¹. A l’heure où on dénombre seulement une installation pour deux à trois départs à la retraite, Pierre Picard, président des Jeunes Agriculteurs Auvergne-Rhône-Alpes a insisté sur la nécessité de « bénéficier d’une DJA (dotation jeune agriculteur) forte et ambitieuse et nivelée par le haut ». Enfin au chapitre de la gestion des risques sanitaires et climatiques, quatrième axe du livre blanc des Massifs, là-aussi, Patrick Bénézit a plaidé pour un renforcement du FMSE, la modification de certaines règles pour mieux couvrir certains risques sanitaires, et pour une approche mutualisée pour les aléas climatiques sur les fourrages. Autant de propositions qu’a écouté avec attention le ministre.
¹ « L’agriculteur professionnel est une personne physique, en âge légal d’exercer, cotisante à la MSA, avec une formation initiale ou continue diplômante en agriculture. Il ne prétend à aucun droit à la retraite de quelque régime que ce soit. En sa qualité de responsable, il décide, dirige et travaille sur son exploitation agricole dont il détient, seul ou avec ses associés exploitants, la majorité du capital hors foncier ».
Sophie Chatenet
Rencontre avec les exportateurs
Julien Denormandie : « On ne peut pas laisser nos éleveurs, avec des prix du broutard qui ont perdu 20% de leur valeur en un an »
Lors d’une réunion de travail en matinée avec les acteurs majeurs de l’export de broutards et les représentants des éleveurs, Fédération nationale bovine en tête, puis l’après-midi sur l’exploitation de David Chaize, éleveur de charolaises sur la commune de Bort-l’Étang, le ministre a pu mesurer le fossé qui se creuse chaque jour davantage entre l’amont et l’aval de la filière. Au cœur de la problématique : une baisse du prix des broutards achetés en ferme, jugée incompréhensible par les éleveurs, alors que le marché italien de plus en plus dépendant de la France est demandeur, et que l’offre s’est retractée par rapport à 2019. Interrogé par la presse sur l’issue de cette rencontre, Julien Denormandie a détaillé sa position : « Il y a un problème de prix, mais beaucoup de solutions sont dans nos mains. Quand les volumes se tiennent, normalement les prix se tiennent aussi, ou doivent augmenter, mais là c’est l’inverse. Il y a des choses qui ne sont pas suffisamment bien faites. Il fallait se dire les choses franchement, en face, entre tous les représentants et surtout se mettre d’accord sur une volonté partagée et commune pour faire en sorte qu’à la fin des fins, le prix payé dans nos cours de ferme soit plus élevé ». Si le ministre a écarté l’idée de jouer les médiateurs, il a indiqué « la nécessité de se fixer une feuille de route sur l’organisation, la création de valeur, l’ouverture de nouveaux marchés…On s’est donné rendez-vous dans trois semaines pour voir toutes les avancées et justement s’assurer que tout ça va dans le bon sens. On ne peut pas laisser nos éleveurs, avec des prix du broutard qui ont perdu 20 % de leur valeur en un an ».
Pas d’agriculture sans accès à l’eau
Julien Denormandie fait de la question du prix et de l’eau, deux sujets prioritaires.
« Je suis ingénieur agronome et je n’oublie pas que ce qui est le plus important dans l’agriculture c’est le temps. D’abord parce qu’on subit le temps qu’il fait, mais surtout parce que l’agriculture s’inscrit dans le temps long, et ici on a un sujet majeur, c’est la question de l’accès à l’eau. On ne peut pas faire d’élevage sans accès à l’eau, on ne peut pas pérenniser nos agricultures si on n’a pas une amélioration de l’accès à l’eau », a confié le ministre de l’Agriculture. Sur cette question, il a été interpellé par les responsables professionnels du Puy-de-Dôme, mais aussi par Emmanuel Ferrand, conseiller régional, responsable de la gestion du Feader en Auvergne-Rhône-Alpes, qui siège par ailleurs au comité de bassin Loire-Bretagne : « Nous comptons sur vous Monsieur le ministre pour faire bouger les lignes sur ce bassin où tous les projets sont retoqués alors que nous travaillons en bonne intelligence avec le bassin Rhône-Méditerranée-Corse² ».
² L’exécutif de la région Auvergne-Rhône-Alpes a d’ailleurs porté la semaine dernière en session, un vœu « pour une gestion permettant l’accroissement de la disponibilité de la ressource en eau sur le bassin Loire-Bretagne, dans sa partie Loire-amont ».