Le bon sens paysan à l'épreuve de la navigation à vue des pouvoirs publics
Après une période marquée par des attaques répétées envers l'élevage y compris au niveau de l'État, Patrick Bénézit, président de la Fédération nationale bovine et vice-président de la FNSEA appelle les pouvoirs publics à se ressaisir.
Depuis plus d'un an l'inflation est une réalité. En quoi est-ce dangereux de braquer les projecteurs quasiment exclusivement sur les produits alimentaires ?
Depuis plusieurs mois, le ministre de l'Économie en personne cible en effet les produits alimentaires alors qu'il pourrait s'attaquer à l'énergie, ou à des biens manufacturés dont les prix se sont envolés. Cette attitude est assez inacceptable puisque nous ne pouvons pas avoir un responsable politique censé faire respecter la loi EGA, qui par ailleurs laisse le champ libre à ceux qui veulent la contourner. Ne nous y trompons pas, si baisse de prix il y a, elle sera au détriment des producteurs et le consommateur continuera à payer plein pot alors que la grande distribution est loin d'être à l'agonie¹. Il nous semblait qu'avec la loi EGA, le respect des coûts de production était inscrit dans le marbre. Ce n'est a priori pas encore le cas, il faudra se remobiliser très vite et très fort sur le sujet. Les dérives actuelles sont extrêmement dangereuses pour les agriculteurs.
Les éleveurs vivent aussi l'inflation, sur l'alimentation animale, l'énergie...
La manoeuvre des pouvoirs publics est d'autant plus insidieuse qu'au moment même où ils plaident pour une baisse des prix alimentaires, ils s'attaquent à l'exonération des agriculteurs sur le GNR. Une charge supplémentaire estimée à 4 000 euros en moyenne par exploitation...Par ailleurs, nous venons de recevoir l'actualisation des coûts de production de la loi EGA : ils ne baissent pas, bien au contraire. En viande bovine, ils dépassent les 4 euros/kg pour les broutards et les 6 euros/kg pour les vaches, et c'est le cas pour l'ensemble des productions : lait, etc...
Au-delà des attaques sur la valeur de l'alimentation, le secteur de l'élevage est également mis sur la sellette par des institutions telles que la Cour des Comptes... Comment analyser-vous ces prises de positions assez curieuses ?
L'élevage est attaqué, mais pas par la société. Nos concitoyens respectent profondément les éleveurs. Certaines associations environnementales et anti-viande poursuivent leur lobbying mais pas plus que d'habitude. Ce qui est nouveau et très inquiétant, c'est que ces attaques émanent de nos gouvernants et de nos institutions. D'abord, Bruno Le Maire en ardent défenseur de la fausse viande de la société Happyvore, puis les recommandations de la Cour des Comptes d'une baisse de 30 % du cheptel, ensuite l'ambition de la stratégie bas-carbone de l'État, qui aurait pu conduire à une baisse du cheptel, enfin la position de la France sur la directive émissions industrielles (IED) qui poursuit un objectif : faire entrer un maximum d'éleveurs en augmentant les seuils. Sur ce dossier stratégique, grâce à notre travail, le Parlement européen a voté pour le statu quo. Mais l'affaire n'est pas finie... Nous avons de quoi être en colère. Il faut que le ministre de l'Agriculture soit écouté au sein du Gouvernement. Vu le poids de l'élevage dans notre pays, nous devons être soutenus.
Qu'attendez-vous du Gouvernement ?
Qu'il fasse respecter la loi EGA en actant les coûts de production, qu'il ne nous impose pas de charges supplémentaires, qu'il se batte pour empêcher l'entrée sur notre territoire de produits qui ne respectent pas notre réglementation (Australie, Amérique du Sud...) et qu'il défende enfin les aménités positives de notre élevage exceptionnellement moderne et unique au monde. L'élevage n'est pas le problème, il est la solution à bien des égards, pour assurer notre souveraineté alimentaire mais pas seulement. Les treize millions d'hectares de prairies stockent tous les ans des millions de tonnes de carbone. Grâce à l'effet albédo (fraction de l'énergie solaire qui est réfléchie par une surface vers l'espace), elles atténuent fortement le réchauffement climatique. Ensuite, la matière organique issue des déjections animales constitue un engrais naturel qui évite la fabrication d'engrais chimique, fortement générateur de CO². Sans élevage, de nombreux territoires seraient voués à l'embroussaillement, à l'érosion, aux crues et aux incendies. Sans compter que l'humus est essentiel pour la structuration des sols qu'il rend plus fertiles, plus riches en micro-organismes. Par ailleurs, la prairie filtre naturellement l'eau, contribuant ainsi à améliorer sa qualité. Enfin, par leurs pratiques de polyculture-élevage, qui méritent d'être encouragées afin d'améliorer notre autonomie fourragère, les éleveurs s'inscrivent dans un cercle vertueux en recourant moins aux achats extérieurs. Là aussi, il y a une double réponse aux défis économiques et écologiques.