Des animaux de rente, Bertrand Roumegous en soigne depuis trois décennies déjà : vaches, brebis, chevaux... et au bout de 30 ans, il le reconnaît, la médecine vétérinaire rurale, il en a un peu fait le tour. Pourtant, il garde la flamme. “Personnellement, ce qui m’a attiré dans ce métier, ce n’est pas les animaux, c’est l’envie de servir un territoire, au même titre qu’un garagiste, qu’un épicier... Ce qui fait qu’on se lève tous les jours, ce n’est pas les vaches mais d’être utile aux éleveurs”, confie ce vétérinaire de Bellenaves (Allier) qui intervenait au Sommet de l’Élevage lors d’une conférence sur les leviers à même de maintenir un maillage vétérinaire suffisamment dense dans la région Aura.
Haute-Loire, Loire, Cantal, Puy-de-Dôme, Allier... le constat est le même : là où la désertification vétérinaire n’a pas encore laissé de grands trous dans la raquette sanitaire, elle guette et les chiffres de la récente enquête conduite par la Draaf(1) auprès des 285 cabinets vétérinaires de la région désignés vétérinaires sanitaires (VS) par les éleveurs ne sont guère rassurants.
Avant tout au service d’un territoire
Sur les 134 répondants, 31 seront fermés d’ici cinq ans ou auront cessé l’activité rurale(2).
C’est dans les cabinets dévolus à cette dernière que se situe par ailleurs la plus forte proportion de vétérinaires âgés de plus de 55 ans et sur les 79 départs de personnel projetés d’ici cinq ans, 39 ne feraient pas l’objet de remplacement.
“On est dans un département où il y a encore beaucoup d’élevages, une belle densité de vétérinaires, mixtes, mais on commence à se partager des élevages de plus en plus distants avec une charge de travail accrue pour des équipes qu’on n’arrive pas à étoffer...”, témoigne Cyril Le Fur, vétérinaire rural en Haute-Loire. “Des arrêts projetés dans deux, trois, quatre ans sont arrivés en moins de trois mois avec des cabinets qui sont passés de six à deux ou trois vétos seulement ; on est dans le dur”, abonde son collègue Éric Février du Cantal.
De plus en plus de trous dans la raquette
La profession est confrontée aujourd’hui au même enjeu que ses collègues médecins et que sa clientèle, celle des éleveurs, à savoir : le renouvellement des générations dans un avenir très proche. Avec comme pour le corps médical, un déficit d’attractivité de l’exercice de la “rurale” qu’il semble bien difficile d’enrayer surtout auprès d’une jeune génération en quête d’un meilleur équilibre entre vies professionnelle et personnelle.
Assurer seul les astreintes de nuit, les vêlages qui se passent mal les week-end... le modèle a vécu. Comment dès lors inverser la vapeur ? En s’attachant très tôt à donner aux étudiants vétérinaires le goût de la rurale, répond VetAgroSup, qui travaille sur le sujet de concert avec les organisations professionnelles et la Draaf autour de trois principaux objectifs : attirer les étudiants vers le monde rural, attirer des étudiants vers certains territoires ruraux moins couverts et attirer des étudiants vers la pratique rurale et ce de façon pérenne.
Ainsi, depuis plusieurs années a été instauré le dispositif Terre d’accueil : un stage que les étudiants de première année doivent réaliser auprès d’un réseau d’éleveurs volontaires prescrits par des cliniques vétérinaires du secteur. Un premier contact qui doit aussi permettre de découvrir un territoire et ses acteurs (GDS,...) et que tous jugent essentiel : “C’est indispensable de donner une bonne image, sans mentir, de montrer qu’on vit très bien dans nos territoires ruraux, il faut le faire savoir”, appuie Éric Février, qui milite pour une sensibilisation encore plus précoce, en incitant ses homologues à accueillir des élèves de 3e en stage. Noble intention mais pas toujours évidente à assumer quand il faut en même temps suivre des étudiants de 1ère, 2e année, en tuteurer d’autres...
Road-trip vétérinaires
Faire toucher du doigt les atouts du territoire, son offre de loisirs, culturelle..., au-delà du plateau technique, des spécificités, de l’organisation d’un cabinet vétérinaire, c’est aussi l’ambition d’un autre dispositif : les road-trip que la profession d’Auvergne-Rhône-Alpes a à cœur de développer en début ou fin d’études. Une semaine combinant échanges avec des vétérinaires en place, rencontre des acteurs du territoire et loisirs, mais ce dispositif pêche encore par deux aspects : la disponibilité des étudiants et le financement.
Pauline, aspirante vétérinaire à VetAgroSup, a pu témoigner de l’intérêt du tutorat, une des options proposées en dernière année de formation, et alternant 18 semaines au sein d’un même cabinet mixte (pratiquant la canine et la rurale) entrecoupées de périodes de formation à l’école. “Cela donne une première approche de la vie réelle en clinique, du système de garde, de la relation avec les clients...”, se félicite-t-elle. Cette option a aussi vocation à permettre aux futurs praticiens de gagner en autonomie et confiance tout autant que, potentiellement, à préparer leur recrutement futur au sein du cabinet de leur tuteur.
Sur sa promotion (160 étudiants), un petit tiers, soit une petite cinquantaine, se destine à l’activité rurale. “Si tous viennent s’installer durablement dans nos territoires et exercent la rurale, c’est très bien !”, réagit Éric Février. Un vœu qui reste cependant à concrétiser.
(1) Direction régionale de l’agriculture, l’alimentation et la forêt.
(2) Quatre sont concernés dans l’échantillon cantalien des répondants (18 réponses).