« Des signaux de marché au vert, les prix doivent sortir du rouge »
Bruno Dufayet, président de la Fédération nationale bovine.
A la veille du Sommet de l’Élevage (5 au 8 octobre à Clermont-Ferrand), le président de la Fédération nationale bovine estime que toutes les planètes sont alignées pour aller chercher de la valeur durablement. Du jamais vu, selon lui, depuis 2012.
En quoi la conjoncture en viande bovine est-elle plus favorable aujourd’hui qu’elle ne l’a été ces dernières années ?
Plusieurs facteurs expliquent ce phénomène. La consommation de viande bovine se tient. Le marché à l’export est très dynamique en viande comme en maigre : +5 à 6 % sur l’Italie et en positif sur l’Espagne, nos deux plus gros marchés. Dans un contexte où l’offre est réduite, les effets de décapitalisation à l’œuvre depuis 2017 se font sentir. Tout cela dans un contexte planétaire qui est favorable puisque la plupart des pays d’Europe ont vu leur production baissé notamment en Espagne. Le prix du JB a progressé de 11 % en Italie par rapport à 2020. Les pays du Mercosur sont très peu présents à l’export sur l’Europe. Ils réservent leur production au chinois, tandis que l’Argentine n’exporte plus pour contenir les prix sur son marché intérieur. Tous ces éléments constituent des arguments solides et tangibles pour aller chercher de la valeur. C’est une situation rêvée pour les commerciaux français.
Les éleveurs bénéficient-ils de cette embellie ?
Nous sommes en droit d’espérer une ré-augmentation très forte des prix. Depuis deux mois, la tendance est à la hausse sur les vaches et les jeunes bovins, mais pas encore sur les broutards et les petits veaux laitiers. On sait que finalement, les opérateurs limitent cette hausse. Ils jouent la montre… C’est exaspérant, c’est d’ailleurs ce type d’attitude qui a motivé la décision de la FNB de ne plus siéger à Interbev. Le discours d’une meilleure rémunération impossible à l’éleveur au titre de la préservation du pouvoir d’achat des consommateurs n’est plus crédible. Les chiffres sont têtus. En viande bovine, la consommation se tient alors même que les prix à la consommation augmentent de +3 % par an depuis 25 ans. Il est temps de sortir de cette posture, qui ne poursuit qu’un objectif : essayer de moins payer les producteurs. Malgré tout, j’ai envie d’être optimiste parce que le marché est favorable, et qu’une orientation politique qui va dans le sens de la rémunération des producteurs est en passe d’aboutir. Mais l’optimisme on l’a connu en 2012-2013 avec la Turquie, mais après tout s’est ébranlé. Il est donc essentiel de ne pas s’asseoir sur cette conjoncture favorable. Nous devons en profiter pour bâtir une stratégie avec de vrais engagements de filière. Que chacun s’empare de cette opportunité-là.
Justement le second volet de la loi Egalim porté par le député Besson-Moreau semble plus opérante dans la volonté de redonner du pouvoir de négociation aux producteurs. Qu’en attendez-vous ?
Le contexte législatif est plutôt favorable. Nous attendons de la loi, qu’elle ne vienne pas détricoter le principe de contractualisation obligatoire, et qu’elle redonne à l’éleveur sa capacité de négociation en fonction d’indicateurs de marché tangibles. Si la loi en tant que telle ne va pas tout révolutionner, elle offre des outils qui donnent des perspectives avec des vrais engagements de chacun, ce qui est assez inédit. Notre métier ne peut se nourrir que de passion. Tout le monde nous aime, tout le monde veut nous aider, mais on ne gagne pas notre vie. Il est temps que les choses changent. C’est pourquoi, nous demandons à l’aval de construire un vrai projet de filière intégrant la rémunération des producteurs. On ne lâchera pas là-dessus. C’est essentiel pour donner des perspectives, installer des jeunes, renouveler les générations. On sait très bien que demain on n’installera pas des agriculteurs en élevage, s’il n’y a pas de retour de valeur dans les fermes. Il est temps de passer à la vitesse supérieure pour se rapprocher du coût de production.
Pour autant, on entend dire que les éleveurs ne seraient pas prêts à contractualiser…
Dans le contexte de revenu dans lequel nous sommes, les seuls contrats que nous avons connu jusqu’à présent, ce sont des contrats de ramassage. Mais une fois que le contrat sera obligatoire par la loi, il sera assorti d’une mécanique de prix prédéfinis et pas uniquement bâtie sur des volumes. Quand on parle avec des jeunes éleveurs, tout le monde est favorable au contrat. Sur cette loi, nous avons mené un gros travail sur la nécessité de mieux rémunérer les producteurs, et d’autres on fait un gros travail pour que rien ne change. Ce qui prouve que pour certains acteurs, la situation ne va pas si mal que ça.
Sur la PAC, les récents arbitrages du ministre de l’Agriculture français sont plutôt défavorables à l’élevage allaitant. Est-ce un dossier sur lequel vous souhaitez l’interpeller à l’occasion de sa venue au Sommet de l’élevage¹ ?
Avec la réforme du système de couplage, nous sommes effectivement dans un contexte de renégociation de la PAC globalement défavorable à l’élevage bovin. D’où la nécessité de construire un vrai projet de filière. Néanmoins, même si nous subissons des prélèvements, nous nous sommes battus pour que l’élevage puisse accéder aux aides protéines, ce qui constitue un vrai enjeu pour tendre vers l’autonomie alimentaire de nos troupeaux. Par ailleurs, sur les éco-régimes, le monde de l’élevage est globalement en capacité d’y accéder, ce qui atteste, si besoin était, de la durabilité de nos systèmes, de nos performances environnementales qui sont le fruit de nos exploitations à taille humaine.
En quoi cette stratégie de durabilité exigée par l’Europe l’engage selon vous notamment au titre de la concurrence déloyale ?
Nous pouvons trouver toute notre place dans cette volonté européenne de tendre vers plus de durabilité. Mais l’Europe ne peut pas défendre un modèle durable, orienter la PAC en ce sens, et laisser entrer des produits qui ne répondent pas aux mêmes normes de production. Dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne (1er janvier au 30 juin 2022), nous attendons un signe fort sur ce dossier-là. À l’occasion du Sommet de l’Élevage, nous demanderons au ministre de l’Agriculture quelles mesures très concrètes, il compte engager avec ses homologues européens pour sortir de ces incohérences.
1. Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture, est attendu au Sommet de l’Élevage, le mardi 5 octobre, premier jour du salon.