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Covid-19 : “Il faut rester très humbles devant l’inconnu”

Biologiste médical au centre hospitalier d’Aurillac dont il préside la CME, le docteur Mathieu Kuentz se veut confiant sur la capacité à sortir de la crise sanitaire à condition que...

Le docteur Mathieu Kuentz dans le laboratoire d’extraction du matériel génétique viral potentiellement 
présent dans les prélèvements nasopharyngés des patients testés.
Le docteur Mathieu Kuentz dans le laboratoire d’extraction du matériel génétique viral potentiellement
présent dans les prélèvements nasopharyngés des patients testés.
© UC

Ce 11 mai a signé la fin du confinement du Cantal, relativement épargné par la pandémie. Craignez-vous une deuxième vague  plus importante ?

Mathieu  Kuentz : “Théoriquement, on devrait avoir encore un décalage : le nombre de cas ne va pas exploser d’un coup. Il faut compter le temps d’incubation du virus, il faut que les chaînes de transmission se réactivent... On se dit qu’on va avoir deux semaines pour voir arriver de nouveaux cas. Je ne vois pas comment le virus disparaîtrait alors qu’on constate une résurgence de cas dans les pays qui ont déjà déconfiné. L’objectif, c’est toujours d’éviter le pic, la saturation des hôpitaux.Par nature, je suis assez optimiste et confiant. On a les moyens, dans le Cantal, de répondre aux besoins de la population si elle met bien en œuvre l’ensemble des mesures dictées par le corps médical et le gouvernement. On a des prédispositions favorables face à la diffusion de la maladie : notre densité de population, des structures hospitalières qui ont fait face à la première vague sans être trop dépassées. On a pu s’adapter et on espère bénéficier encore une fois d’une longueur d’avance.”

“Encore beaucoup à apprendre” sur le virus

Qu’avez-vous appris en deux mois sur ce virus ?

M. K. : “Les premiers dosages sérologiques qui sortent, mais qui ne sont pas encore validés, ont montré que certains anticorps sont protecteurs mais les études épidémiologiques ont aussi révélé que le taux de ces anticorps protecteurs varie selon la gravité de l’infection et l’âge. Les personnes de plus de 40 ans s’immunisent ainsi plus facilement mais on ne sait pas encore pourquoi. Il y a encore beaucoup d’incertitudes sur le comportement physiopathologique lié au virus.Des équipes de recherche ont par ailleurs identifié plusieurs cibles, des récepteurs cellulaires visés par le virus, mais il faut approfondir ces pistes. On décrit aussi de plus en plus une réaction inflammatoire des poumons, générée par le virus, qui provoque plus de dégâts que l’infection elle-même. Il y a tous ces mécanismes qu’on commence à observer mais qui doivent maintenant être expliqués.”

 

Est-on sûr qu’une personne qui a été infectée est immunisée ?

M. K. : “Des anticorps développés par des patients contaminés ont généré en laboratoire une séroneutralisation du coronavirus, c’est-à-dire une diminution du virus en culture. Mais on ne sait pas combien de temps dure cette protection immunitaire, comment on fait produire ces anticorps par le corps humain...”


L’horizon d’un vaccin efficace est toujours aussi lointain ?

M. K. : “On part du principe qu’on l’aura dans 18-24 mois, c’est la durée standard pour connaître une maladie, son mécanisme, élaborer le vaccin, le tester sur l’animal puis l’homme...Mais là encore, il n’y a pas de certitude.”

 

Alors que nombre d’écoles ont rouvert, beaucoup de parents restent angoissés d’une possible contamination des enfants d’autant que des cas d’inflammations sévères ont été rapportés chez des enfants. Qu’en est-il ?

M. K. : “Théoriquement, un virus ne choisit pas son hôte, mais ce qu’on observe c’est que parmi la population touchée, il y a beaucoup d’adultes et très peu d’enfants. Dans une même famille, on a vu les parents malades et trois enfants sans symptômes. On sait qu’ils peuvent être porteurs mais on ignore encore leur degré de contagiosité et pourquoi ils sont peu symptomatiques. Je comprends la préoccupation des parents, j’en suis un moi aussi. Ceci dit, je ne suis pas sûr qu’on fasse prendre un risque démesuré si on applique bien les gestes barrière. Ces gestes, les enfants vont les apprendre, il ont une capacité d’assimilation supérieure à celle des adultes. Au-delà, il va falloir peut-être repenser nos modèles : avec des classes à 15 élèves, des gestes barrière...  on aura progressé en hygiène et d’un point de vue pédagogique.

 

“On traite les questions selon l’état de l’art”

Si on ne veut prendre aucun risque, on ne déconfine pas mais combien de temps est-ce tenable ? Préparer l’avenir est tout aussi important que répondre aux problématiques du présent. Bloquer six mois d’éducation, est-ce la solution ? On est dans une société où les gens commandent sur Internet et ça arrive chez eux le lendemain. Là, on est sur un virus émergent, on vit dans l’incertitude et on traite les questions selon l’état de l’art, selon les données scientifiques du moment. Je pense en tout cas qu’il faut que le pays fonctionne, que l’économie reparte pour avancer. On voit bien que pour tester les patients, on a besoin d’écouvillons, de milieux de transports...”

Tests, traitements : “Entre fantasme et réalité...”

Comment ont réagi les personnels soignants à l’hôpital d’Aurillac face à cette pandémie ? La peur fait-elle désormais partie du quotidien ?

M. K. : “Il y a eu plusieurs phases. Oui, il y a eu de la peur chez certains. Mais il y a eu un gros travail de l’équipe médicale pour informer, répondre objectivement aux questions avec  beaucoup de pédagogie auprès des infirmières, des soignants, non soignants, du personnel administratif et logistique. On l’a fait autant de fois que nécessaire avec transparence. Et on a réussi à établir une  cohésion et une confiance. On a dû faire comprendre à tout le personnel qu’on avait besoin d’eux, y compris à la comptabilité. Aujourd’hui, les gens commencent à être fatigués par le travail mais aussi en voyant qu’autour de nous, tout ou presque s’est arrêté. Ce n’est pas simple à gérer. Et puis, il y a tout ce qu’on voit autour de pseudo-tests, des gens qui essaient de faire du business sur le malheur des autres, sur la crise sanitaire.”

 

Il y a encore une grande confusion sur ces tests justement. On parle de tests Trod, de tests sérologiques, virologiques...

M. K. : “Les tests Trod(1) sont juste là pour savoir si on a été exposé au virus. Le principal risque qu’on voit poindre avec ces tests, c’est le non respect des gestes barrière avec la crainte de nouvelles vagues. On en a passé une première, combien va-t-on pouvoir en absorber ? Ce qui est  aussi compliqué à vivre, c’est de voir des gens essayer de tirer la couverture à eux qu’ils soient scientifiques ou pas. Je ne cite personne... Et puis il y a tout ce qu’on lit sur les réseaux sociaux où tout le monde a un avis sur tout. Ça me fait penser à la Coupe du monde avec, tous les quatre ans, 60 millions d’entraîneurs. Il faut faire la différence entre fantasme et réalité. Moi aussi j’aimerais bien avoir un test qui dit que le patient est protégé. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. À ce jour, les seuls tests validés sont les tests virologiques, par prélèvement nasopharyngés.”


On a le sentiment que la défiance vis-à-vis du corps médical et scientifique s’est effacée depuis la crise...

M. K. : “Dans la gestion de cette crise, il y a eu effectivement une bonne écoute du corps médical. Et le bilan de la France n’est pas si mauvais que ça par rapport à d’autres pays. On a réussi à contenir l’infection à certaines régions. Il y a eu certes des décès mais ce n’est pas l’hécatombe comme aux USA. On est un peu les seuls à cracher sur notre système de santé alors que la presse étrangère a plutôt considéré qu’on s’en était pas si mal sortis. On compare souvent avec l’Allemagne, mais l’Allemagne disposait avant la crise du triple de places en réanimation. En France, nous avons réussi à tripler le nombre de lits en quelques semaines.”


Quel va être le prochain challenge de l’hôpital ?

M. K. : “Ici comme ailleurs, de répondre aux besoins de santé de la population en rétablissant toutes les activités de consultation, de bloc (cardiologie, oncologie, rhumatologie,...), toute “la routine” des soins et ceci conjugué avec la prise en charge des patients Covid. On a des collègues qui ont vu 95 % de leur activité arrêtée. On va avoir des patients qui vont arriver pour les urgences, des gens qui ont tardé à consulter soit parce qu’ils ne pouvaient pas venir ou ne voulaient pas par peur du Covid. Il va falloir une nouvelle fois transformer notre outil en respectant les mesures barrière. Pour que la population nous aide, pour éviter une propagation non contrôlée du virus, il va falloir tous respecter ces gestes barrière.”

(1) Tests rapides d’orientation diagnostiques qui détectent les anticorps à partir d’une goutte de sang en quelques minutes.

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