Adapter ses fourragères au changement climatique
L’impact des aléas climatiques est au cœur des préoccupations du monde de l’élevage. Lors du dernier salon de l’herbe cette thématique est fréquemment revenue dans les débats.
L’impact des aléas climatiques est au cœur des préoccupations du monde de l’élevage. Lors du dernier salon de l’herbe cette thématique est fréquemment revenue dans les débats.
2018 en est la démonstration. Sécheresses et fortes chaleurs sont plus fréquentes et pénalisent l’autonomie fourragère. La recherche est évidemment mise à contribution pour trouver des palliatifs. À l’Inra, les chercheurs ont simulé par différents dispositifs les étés chauds et secs que nous allons de plus en fréquemment connaître dans le futur. Ils les ont associés à une plus forte teneur en gaz carbonique dans l’atmosphère, dans la mesure où ce sera une nouvelle donnée à prendre en compte pour les décennies à venir. Ces simulations ont été appliquées à différentes espèces fourragères. Elles confirment la plus forte sensibilité de certaines d’entre elles (ray-grass) tandis que d’autres (dactyle, fétuque, pissenlits) s’en tirent nettement mieux. Idem pour le redémarrage en végétation une fois la période de canicule terminée. La plupart des espèces sont à même de repartir mais sont d’autant plus affectées que ces épisodes se renouvellent fréquemment avec, là encore, des espèces plus vaillantes que d’autres. La hausse de la teneur en gaz carbonique serait quant à elle plutôt bénéfique dans la mesure où elle irait dans le sens d’un accroissement de la photosynthèse, donc de la production fourragère à condition que le facteur « eau » ne soit pas trop limitant. « Sans eau, pas de solution miracle ! » rappelait Julien Bouffartigue secrétaire général de l’Interprofession des semences et des plants (GNIS) à l’occasion de la présentation de ces travaux à l’Inra de Theix. Chez les semenciers, les travaux de sélection intègrent cette nécessaire adaptation aux évolutions du climat. Ceci se fait notamment à travers une évolution de caractéristiques comme la précocité ou la remontaison.
Trouver des solutions à court terme
Si la recherche fondamentale fait son travail pour trouver des solutions à plus ou moins long terme, les éleveurs travaillent eux dans le court terme. À l’occasion du dernier Salon de l’herbe, ils étaient donc nombreux à être venus chercher des solutions. « Il faut aller chercher de la diversité et ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier », précisait Laure Pitrois, technico commerciale sur la zone Est pour Semences de Provences. Même s’il n’est pas toujours facile de faire évoluer ses habitudes, c’est en diversifiant les systèmes fourragers que les éleveurs pourront s’affranchir de certaines difficultés liées aux évolutions du climat.
Au Salon de l’herbe, bien des semenciers soulignaient le fort développement des méteils semés à l’automne et le plus souvent ensilés en cours de printemps. Suffisamment rustiques, les méteils poussent en fin d’hiver et début de printemps quand les réserves en eau du sol sont la plupart du temps suffisantes pour permettre un rendement correct. Ils permettent le plus souvent d’obtenir une belle première coupe, libèrent la parcelle suffisamment tôt pour le semis suivant et, comparativement à du ray-grass italien, présentent l’avantage de moins assécher l’horizon supérieur du sol. Il s’agit également d’un fourrage à faible charge d’intrant qui, une fois ensilé constitue une bonne ration de base pour hiverner vaches et génisses allaitantes.
Après la récolte de ces méteils, différentes solutions s’offrent aux éleveurs. Le maïs ensilage en est une. Le sorgho monocoupe en est une autre en particulier dans les zones chaudes où il n’y a pas de possibilité d’irrigation. Sur des parcelles préalablement occupées par des céréales à paille, le sorgho fourrager multicoupe, les mohas, millets et autres associations incluant des trèfles annuels semés en juillet sont une autre possibilité. « Il y a eu une très forte demande en semences de sorgho cette année. Elle n’est pas spécifique à une zone géographique particulière », précisait Jean-Michel Bellard, chef des ventes fourragères pour RAGT. Et d’ajouter que de plus en plus d’agriculteurs ne souhaitent plus avoir de sols nus après la récolte. Cela va dynamiser le marché des couverts végétaux récoltés ou pâturés en automne.
Moins de conditions limitantes pour les PME
Côté prairies temporaires, les différentes expérimentations confirment tout l’intérêt et les meilleures performances en conditions limitantes des prairies multiespèces (PME) comparativement aux associations composées d’une seule graminée et une seule légumineuse. Pour pouvoir s’adapter aux stress hydriques, aux excès d’eau temporaires ou aux températures extrêmes, il est préconisé de mélanger des espèces ayant des caractéristiques complémentaires sur les rythmes de croissance et les stratégies d’utilisation de l’eau du sol.
Lorsque certaines espèces entrent en dormance du fait du manque d’eau ou de températures de plus en plus chaudes, d’autres prennent le relais et continuent de produire. Certains semenciers soulignaient aussi tout l’intérêt de jouer sur la diversité variétale pour une même espèce sein des mélanges pour PME. Cela constitue un atout supplémentaire pour maintenir la production. « Mais les conditions limitantes, ce n’est pas simplement le manque d’eau c’est aussi la chaleur, soulignait Jean-Michel Bellard. Il est important que les éleveurs connaissent bien les aptitudes et comportements des différentes fourragères en conditions limitantes." Certaines cessent de pousser à 25 °C. D’autres, comme le dactyle, continuent jusqu’à 35 °C et ce dernier a aussi la faculté de repartir en végétation très rapidement.
La tendance serait d’ailleurs à augmenter le nombre d’espèces dans les mélanges prairiaux. Attention toutefois à associer bonnes espèces et bonnes variétés dans les bonnes proportions. « Un mélange pour prairie multiespèce c’est comme une recette de cuisine. On peut avoir les meilleurs ingrédients du monde, s’ils ne sont pas associés dans les proportions adéquates, le résultat ne sera pas fameux », ajoutait Julien Greffier, chef produit fourragères chez Limagrain.
Côté légumineuses, la luzerne a des atouts évidents. Elle correspond à une vraie attente de la part d’éleveurs soucieux de conforter l’autonomie alimentaire de leurs exploitations. « C’est la plante qui produit le plus de protéines à l’hectare. Quand les conditions agronomiques lui sont favorables, il faut lui donner priorité », précisait Julien Greffier. Mais dès qu’elles deviennent plus limitantes, (pH, sols tendant à être hydromophes), il faut penser au trèfle violet semé en pur.
Avis Antoine Bedel, chef produit fourragères chez Caussade semences
« Forte demande en sorgho cette année »
« Face aux évolutions du climat, les semis de méteils riches en protéines semés en début d’automne et ensilés début mai sont une tendance lourde. Avec derrière dans la foulée le semis d’un maïs de variété précoce ou bien d’un sorgho monocoupe. La demande en semences de sorgho a fortement progressé cette année avec une bonne demande également pour les autres fourragères semées au plus tôt après moisson derrière des céréales à paille. Parmi les autres tendances du moment, le sainfoin a la cote. Idem pour la chicorée et le plantain. Ces fourragères ont une bonne résistance à la sécheresse. Rajoutées dans les mélanges pour prairies à raison d’environ 3 kg/ha, elles favorisent la production, même en période sèche, mais pour autant ne poussent pas sans eau ! Ce sont des fourragères dans l’air du temps, mais il s’agit d’un tout petit marché. »
Avis Jean-Michel Bellard, chef des ventes fourragère pour RAGT
"Pallier des conditions d’implantation difficiles"
« En zone de polyculture-élevage, pour pallier à des conditions d’implantation devenues difficiles compte tenu des évolutions du climat, on constate un développement des semis des espèces fourragères sous une autre culture. Par exemple au printemps un semis de luzerne, sous couvert de tournesol ou en début d’automne, un semis de prairie sous couvert d’un méteil. Mais on n’a rien inventé. Ces pratiques étaient courantes autrefois. Semis sous couvert ou semis sur sol nu sont deux options différentes qu’il ne faut pas chercher à comparer. Les semis sur sols nus sont pour moi préférables. Les semis sous couvert sont à analyser comme une autre possibilité à utiliser en second recours. »
Avis Édouard Debled, responsable développement fourragères pour Semences de France
"Sécuriser dans un contexte d’années sèches"
« Au Salon de l’herbe, les interrogations des éleveurs c’est d’abord trouver des solutions pour sécuriser les stocks et les valeurs alimentaires des fourrages dans un contexte d’années sèches. Quand granges et silos sont vides, la tendance est souvent de donner priorité aux volumes, en particulier en système allaitant. Les méteils semés à l’automne ont le vent en poupe, mais leur composition évolue. Ils tendent à être plus équilibrés avec une importance accrue donnée aux protéagineux. Sur le salon, nous avons mis en avant notre gamme de trèfles annuels (Alexandrie, Incarnat, Micheli, Perse, Vésiculosum, Squarrosum). En plus des protéines, ces espèces apportent des bénéfices agronomiques complémentaires (bon précédent cultural, plus grande résistance aux aléas climatiques et meilleure pérennité)."
Le marché des semences fourragères évolue
D’après les données statistiques du Gnis, les tonnages globaux de semences fourragères vendus ont été relativement stables au cours de ces dernières campagnes. On assiste en revanche à une progression de la part légumineuses et à un recul des graminées et autres fourragères. Les mesures prises en 2015 pour favoriser l’autonomie en protéines des exploitations ont clairement dynamisé le marché.
Si on analyse ensuite l’évolution pour les principales espèces de graminées, celles de ray-grass hybride ont été en forte progression sur la campagne 2017-2018 comparativement à la précédente, le dactyle est stable et la fétuque élevée affiche une progression lente mais régulière depuis 2013-2014.
Parmi les autres grandes évolutions, on assiste à une plus forte progression des espèces dites de « courte durée » (RGI, RGH, trèfle incarnat, trèfle d’Alexandrie, vesce…) comparativement à celles de « longue durée » (RGA, fétuque élevée, trèfle blanc, dactyle…) Les explications à ce phénomène sont liées à l’évolution des systèmes d’élevages et en particulier des élevages laitiers avec une préférence pour la fauche plus que le pâturage. À signaler également l’intérêt accru pour les dérobées fourragères semées après une culture annuelle et la part plus importante des ventes en mélange de semences fourragères. Cette évolution concerne tant les mélanges destinés à implanter des prairies mais surtout des mélanges intercalaires semés entre deux cultures.
Une nouvelle version du site herbe-book.com
Le site Herbe-book.com présente les différentes variétés au sein des espèces fourragères et à destination des professionnels (éleveurs, conseillers, distributeurs, techniciens, enseignants…). Il permet de consulter l’ensemble des notes pour toutes les variétés inscrites au Catalogue officiel depuis l’année 2000 et de réaliser des classements par critères. La nouvelle version permet un usage plus agréable et offre de nouvelles possibilités. Herbe-book.com a remplacé la diffusion du catalogue papier et est le seul existant.