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ZNT en viticulture : la profession tombe de Charybde en Scylla

Après s’être fait retoquer par le Conseil d’État, le gouvernement vient de proposer de nouveaux textes concernant les zones de non-traitement à proximité des habitations. Analyse.

Les parcelles en plein village ou proches d'habitations vont devenir un véritable casse-tête à traiter.
Les parcelles en plein village ou proches d'habitations vont devenir un véritable casse-tête à traiter.
© X. Delbecque

Quel est le contexte actuel ?

Le gouvernement a publié un arrêté le 27 décembre 2019, instaurant l’obligation de garder, lors des traitements phytosanitaires, une zone de sécurité à proximité des habitations, comprise en viticulture entre 10 et 20 mètres selon les produits. Un décret précise que cette distance peut être rapportée à 5 ou 3 mètres en utilisant des matériels qui réduisent la dérive, à condition que cela soit prévu dans une charte d’engagement départementale, fruit de la concertation entre les organisations agricoles et les habitants. Plusieurs ONG environnementales et communes ont attaqué ces chartes.

Le Conseil constitutionnel leur a donné raison, en mars 2021, en les jugeant non conformes. Il a estimé que la procédure de participation prévue pour leur élaboration ne respectait pas la Charte de l’environnement. Le 26 juillet, le Conseil d’État a donc contraint le gouvernement à revoir sa copie. Demandant au passage de revoir les modalités de consultation du public des chartes, de renforcer l’information des riverains et des personnes qui peuvent se trouver à proximité des zones d’utilisation des produits phyto, de prévoir des mesures de protection pour les personnes travaillant à proximité, et de fixer des distances de non-traitement plus importantes pour les produits CMR2.

Où en sommes-nous d’un point de vue réglementaire ?

Le gouvernement a rédigé un projet de nouveaux textes, qui a été mis en consultation par le ministère de l’Agriculture du 21 décembre 2021 au 11 janvier 2022. « En réalité le texte n’apporte pas beaucoup de précisions », analyse Christian Durlin, vice-président de la commission environnement à la FNSEA. En effet, le législateur s’est contenté de préciser que les chartes devront être mises en consultation par le préfet (et non plus les organisations syndicales), que celles-ci devront « intégrer les modalités d’information des résidents ou des personnes présentes préalable à l’utilisation des produits », et que les ZNT concernent également les « lieux accueillant des travailleurs présents de façon régulière à proximité de ces traitements ». Quant à la question des CMR2, ce sera visiblement à l’agence sanitaire française, l’Anses, d’intervenir via les conditions d’usages prévues par les Autorisations de mise en marché (AMM) des produits en question.

Les textes stipulent par ailleurs que l’agriculteur devra disposer d’un exemplaire de la charte qu’il met en œuvre (dématérialisation possible). « Beaucoup de nos questions restent sans réponse, peste Christian Durlin. Cultiver sans traitement c’est compliqué, donc que doit-on faire de ces bandes ? Y mettre un couvert végétal, les laisser en friche ? De même le sujet de la reconnaissance des dispositifs de réduction de la dérive n’avance pas. » L’association France nature environnement, interrogée par nos confrères de Réussir Grandes Cultures, considère que l’État « fuit l’injonction du Conseil d’État » sur la question de l’information des riverains, et regrette le risque d’une approche disparate d’un département à l’autre, soumise à « la libre appréciation des préfets ».

Quelles sont les conséquences techniques ?

Pour Éric Chantelot, expert Ecophyto à l’IFV, les changements ne sont pas énormes sur la formulation, mais grands par les conséquences qu’ils auront sur le terrain. « Le gouvernement inverse le processus : on passe d’un système où le préfet n’a qu’à valider une charte concertée, à un système où c’est lui qui doit engager la consultation après l’avoir préalablement validée », explique-t-il. Et l’on peut légitimement se poser la question du temps et de l’énergie que va demander le processus. Car le texte prévoit que les organisations syndicales ou les chambres départementales d’agriculture proposent au préfet (à sa demande ou de leur propre initiative) les projets de chartes d’engagements, et ce dernier a deux mois pour se prononcer. Il peut, par ailleurs, demander aux organisations concernées de modifier le projet dans ce laps de temps.

Ce n’est qu’une fois que « le préfet constate que les mesures prévues par une charte sont adaptées et conformes » qu’il met en œuvre la consultation du public. « Si des acteurs du territoire remettent systématiquement en cause la charte lors des consultations, quelle sera la latitude pour que le préfet considère qu’elle est adaptée et conforme ? », s’interroge Éric Chantelot. Certaines communes se sont déjà positionnées pour avoir des distances de 150 mètres, d’autres ont essayé d’interdire tout bonnement les produits phytosanitaires sur leur territoire. « Je pense que la plus grosse limite de ce texte sera de réussir à avoir des chartes validées », poursuit l’expert. Et sans charte d’engagement valide, pas de possibilité de rapporter la distance à 3 ou 5 mètres en utilisant des matériels homologués pour la réduction de la dérive, comme les panneaux récupérateurs.

Que va-t-il se passer sur ma parcelle cette année ?

Le ministère de l’Agriculture devrait étudier la consultation pour le mois de février, et le gouvernement émettre dans la foulée les nouveaux textes (un arrêté et un décret). Si la charte de son département n’est pas validée, un viticulteur devra donc respecter lors de ses premiers traitements une distance de non-traitement de 10 mètres à proximité des habitations (la limite cadastrale faisant foi), sauf s’il utilise uniquement des produits de biocontrôle ou composés de substances de base, comme la prêle ou l’ortie. « Cette réglementation s’applique seulement lorsqu’il n’y a rien de stipulé par l’AMM des produits que l’on utilise, rappelle Éric Chantelot. Si la spécialité commerciale est dotée d’une ZNT riverain, alors c’est celle notée sur l’étiquette du bidon qui fait foi. »

Jérôme Bauer, président de la Confédération nationale des AOC

Cette nouvelle mouture ne nous convient pas

La profession viticole défendait l’idée d’un arrêté avec un esprit national, basé sur l’utilisation de biocontrôle dans les zones périurbaines. Malheureusement, le texte présenté en consultation n’en fait rien et remet sur le tapis cette notion de charte départementale. Il y a fort à parier que les règles seront différentes selon les régions, ce qui n’est pas juste, mais qui sera en plus un vrai casse-tête pour ceux qui sont à cheval sur deux départements. Ma deuxième crainte, c’est que la campagne de traitement débute en avril/mai et que l’on n’ait aucun moyen de réduire la distance des ZNT, car les préfets ne vont probablement pas avoir le temps de boucler les concertations et valider les chartes. D’autre part le nouveau texte n’amène pas de véritable progrès sur le fonctionnement de ces chartes, ceux que les traitements embêtent trouveront toujours quelque chose. Je vois le moment où elles seront de nouveau attaquées puis caduques, tout cela n’aura été alors qu’une perte de temps. D’autant plus que la demande du Conseil constitutionnel d’informer les personnes qui peuvent se trouver à proximité paraît inapplicable sur le terrain à ce niveau de détail. Avertir les riverains lors des traitements, c’est normal et la profession est prête à la faire, mais aller plus loin relève de la véritable usine à gaz.

Les instituts techniques sur la brèche pour tester des solutions antidérive

« Si vous prouvez que le matériel est adapté à la réduction de la dérive et protège les riverains, alors dans ce cas on peut réduire les distances de ZNT », promettait Emmanuel Macron à la filière lors du Salon de l’agriculture en février 2020. Les instituts techniques, notamment l’IFV et l’Inrae, se sont donc mis en ordre de marche pour évaluer les solutions existantes. En parallèle du projet Ecophyto StopDrift, visant à établir une classification des appareils en fonction de la dérive, a été lancé le programme de recherche interfilière Capriv (Concilier application des produits phytosanitaires et protection des riverains). « Nous travaillons sur notre banc d’essai EoleDrift avec des mannequins, pour objectiver l’exposition des personnes, explique Adrien Vergès, ingénieur spécialisé dans la pulvérisation à l’IFV de Montpellier. Cette année ils seront même équipés de pompes à air pour simuler l’inhalation. »

Face à ces mannequins plusieurs méthodes sont mises à l’épreuve : l’emploi de buses à injection d’air, l’installation de filets antidérive, l’implantation de haies ou encore le traitement uniquement en monoface vers l’intérieur de la parcelle. Des solutions parfois additionnées pour évaluer les combinaisons de moyens. « On voit d’ores et déjà que certaines permettent de réduire fortement la dérive, révèle l’ingénieur. La haie, par exemple, semble prometteuse. Reste à voir jusqu’à quelle distance. » L’Anses, agence sanitaire française, fait partie du pilotage et valide le protocole. Les instituts livreront leurs mesures fin 2022, avec l’espoir que les autorités veuillent bien s’en saisir pour faire bouger la réglementation.

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