Sanitaire : Les éleveurs de poulet mal armés contre Enterococcus cecorum
Devenu un fléau mondial pour le poulet à croissance rapide, le germe Enterococcus cecorum gagne souvent la partie dans un combat à armes inégales avec le poulet et l’éleveur.
Devenu un fléau mondial pour le poulet à croissance rapide, le germe Enterococcus cecorum gagne souvent la partie dans un combat à armes inégales avec le poulet et l’éleveur.
« E. cecorum est un pathogène complexe à gérer au quotidien, notamment en termes de prévention » Jean-Frédéric Reichardt, vétérinaire
Les entérocoques sont des bactéries Gram positif faisant partie de la flore normale du tube digestif des humains et des volailles. Mais certaines de ces bactéries peuvent aussi causer des septicémies et des troubles locomoteurs, boiteries ou paralysies chez la volaille en croissance. Ce qui se traduit par de l’inconfort, voire de la souffrance, de l’hétérogénéité dans le lot, un tri important et des saisies à l’abattoir.
L’infection à Enterococcus cecorum (E. cecorum) est dans certains cas associée à la bactérie Escherichia coli (E. coli). « Cecorum arrive dans le top 3 des pathologies du poulet à croissance rapide avec les colibacilloses et les coccidioses », a rapporté le vétérinaire Jean-Frédéric Reichardt, lors d’un webinaire du laboratoire pharmaceutique Elanco en juin dernier. « Mais d’autres types de poulets sont parfois concernés. »
Le tableau clinique habituel concerne les poulets de 3 semaines qui « poussent » bien, mais l’infection peut apparaître dès la fin de la première semaine. Une certaine saisonnalité (hausse entre mai et août) est observée, probablement en relation avec l’augmentation des températures ambiantes.
Une origine multifactorielle
Le déclenchement de cette pathologie revêt un caractère plurifactoriel. Sont mis en cause les souches à forte croissance (plus sensibles aux stress mécaniques), la baisse d’immunité, les pathogènes comme les colibacilles et les coccidies favorisant cette baisse ou augmentant la perméabilité intestinale vis-à-vis des pathogènes, le développement non optimal du système ostéoarticulaire. Ainsi que la conduite du démarrage qui peut jouer un rôle déclencheur, à travers la période d’obscurité, l’hygiène, la gestion de la croissance. Enfin, certaines souches d’E. cecorum sont plus agressives que d’autres « mais on manque encore d’éléments pour les caractériser en routine » souligne le vétérinaire.
Une clinique essentiellement articulaire
Le facteur déclenchant des consultations vétérinaires est souvent un lot qui se met à boiter et un éleveur qui trie de plus en plus les poulets qui ne seront pas valorisables. « Le signe le plus caractéristique est le poulet à bascule qui s’assoit sur le croupion ou tombe sur le côté », relate le vétérinaire. À l’autopsie les lésions articulaires sont fréquentes au niveau des pattes (tarse notamment), avec des abcès contenant du pus clair, la nécrose de tête fémorale, ainsi que des abcès à la liaison des vertèbres T6-T7, comprimant la moelle épinière et paralysant l’animal.
« Chez les jeunes poulets, on ne voit parfois des lésions que sur le cœur (péricardite légère) et sur le foie (hypertrophie avec des points de nécrose). Elles peuvent aussi faire penser à des colibacilles, d’autant que certains lots sont coinfectés E. cecorum/E. coli. » D’où l’intérêt de la bactériologie pour le diagnostic différentiel.
Une lutte antibiotique insatisfaisante
L’antibiogramme est important même si des antibiorésistances sont rarissimes. E. cecorum reste très sensible à l’amoxicilline (quasiment 100 %), ainsi qu’à l’association TMP-Sulfa (60 à 70 %) mais très peu aux tétracyclines (6 % environ).
Comme les traitements antibiotiques préventifs ne sont plus autorisés depuis les années 2010 (plans Ecoantibio 1 et 2), dès les premiers signes cliniques, « il faut s’occuper des causes favorisantes, à savoir les coccidioses, les troubles digestifs et revoir les paramètres techniques avec la gestion de la conduite d’élevage pour aider les poulets à lutter eux-mêmes contre le germe », conseille Jean-Frédéric Reichardt.
Si la pathologie n’est pas trop développée, il propose des mesures visant à briser la chaîne de contamination par l’eau de boisson, consistant en l’ajout de désinfectant, de probiotiques ou d’acides organiques. « Mais si l’infection est trop sévère, on est bien obligé de recourir aux antibiotiques, avec l’amoxicilline en premier choix. » La situation s’améliore souvent, mais il y a régulièrement des rechutes, notamment après une infection précoce. De plus, l’effet curatif reste limité aux poulets peu atteints, puisque le mal est déjà fait pour ceux ayant des lésions irréversibles.
De nombreux impacts
- sur les volailles : douleur, élimination (plus par tri que par mortalité) ;
- sur l’éleveur : éliminer quotidiennement les animaux boiteux ;
- sur l’économie : non-valorisations, coût des soins, saisies à l’abattoir ;
- sur l’image de la production : exploitation médiatique par les activistes antispécistes.
Fragilité osseuse et génétique
La morphologie du poulet à croissance rapide a évolué avec la sélection génétique. Le développement des muscles pectoraux a basculé le centre de gravité vers l’avant, de sorte que l’animal subit davantage de contraintes biomécaniques et sollicite davantage les articulations de ses pattes. Ce qui expliquerait que le mâle est davantage concerné que la femelle.
L’anatomie du squelette en forme de potence articulée montre des fragilités au niveau de quatre points où E. cecorum provoque des lésions en quatre : les deux articulations de la patte (tarse et genou), celle de la hanche et au niveau de la vertèbre T6, la seule non soudée.
Par ailleurs, la densité minérale des os s’est amoindrie avec la sélection. E. cecorum profite des défauts d’ossification et des microfissures qui se créent dans les zones les plus contraintes.