La mutation du poulet aux Pays-Bas
La pression des associations de protection animale a modifié en profondeur la production de poulet destinée au marché du frais. Bientôt, le consommateur ne trouvera plus en rayons que des poulets élevés selon des critères bien-être renforcés.
La pression des associations de protection animale a modifié en profondeur la production de poulet destinée au marché du frais. Bientôt, le consommateur ne trouvera plus en rayons que des poulets élevés selon des critères bien-être renforcés.
« Beter leven 1 ster » Traduisez : « meilleure vie 1 étoile » ou BL1*. Voilà le sésame du producteur de poulet qui souhaite avoir accès au rayon frais de n’importe quelle enseigne de la grande distribution néerlandaise.
Concrètement fin 2022-début 2023, le poulet standard de 42 jours, déjà presque entièrement mis sur la touche par des formes alternatives d’élevage depuis 2016, aura définitivement cédé la place au BL1*.
Son cahier des charges impose un poulet à croissance intermédiaire entre label et standard, par exemple avec les croisements JA 757 ou JACY57 de Hubbard. Il atteint ses 2,4-2,5 kg vifs en 56 jours tout en pouvant s’ébattre dans un jardin d’hiver.
« Cet élément est indispensable à la bonne image de la production auprès du grand public », insiste Paul van Boekholt, responsable commercial Europe du Nord chez le sélectionneur Hubbard. Cette surface additionnelle est dépourvue de ligne d’alimentation et d’abreuvement ; elle n’est pas chauffée. Dans l’ensemble du bâtiment, (jardin d’hiver compris) le chargement maximum ne dépasse pas 25 kg/m².
Des répercussions sur toute la filière
Depuis 2012, le mouvement welfariste est lancé et a conduit la filière à s’adapter. Mais cela a un coût. Selon Rabobank, une conversion complète du parc néerlandais aux critères BLK1* nécessiterait l’ajout d’au moins 900 000 m² supplémentaires sous forme de jardins d’hiver et demanderait un financement de 250 millions d’euros (M€). Ces extensions n’étant pas possibles partout, la banque d’affaires prévoit un recul de la production nationale de poulets de chair supérieure à 25 % dès 2023.
Des répercussions sont à attendre sur l’ensemble de la filière. En aval où le nombre d’abattoirs de poulets a déjà été presque divisé par deux en l’espace d’un an suite à la crise sanitaire et à la baisse de la demande de la restauration et de l’export.En amont, une densité plus faible, la difficulté de créer de nouveaux ateliers ou d’agrandir le parc existant enclenchent une baisse de la production.
« Sur 200 millions de poussins éclos par an, 52 millions sont aujourd’hui de souches à croissance lente. Nous livrons des lots avec environ 4 000 poussins de moins qu’auparavant. Notre production totale a baissé d’un tiers. En 2023, en BL1* avec 7,5 bandes et un chargement de 25 kg/m², elle va encore baisser de 20 à 25 % », calcule Edwin Paardekooper, chez Probroed, premier accouveur néerlandais, résolu à « fournir ce que le marché demande. »
Si ses volumes se tassent, son chiffre d’affaires se maintient. Pour réduire les pertes d’animaux, l’entreprise a automatisé l’abreuvement et l’alimentation dès l’éclosion, au lieu d’attendre l’arrivée en élevage. L’éleveur doit s’y retrouver. « Le prix du poussin prend 1,5 à 2 centimes, mais l’indice de consommation s’améliore, il y a moins de problèmes de pattes, le besoin en médicaments baisse. En moyenne, l’exposition aux antibiotiques est six fois moins moindre qu’en conventionnel », constate Edwin Paardekooper. Pour s’en sortir, un dernier élément est primordial aux yeux de Probroed : « entretenir des relations étroites avec les abatteurs Esbro du groupe Wiesenhof/PHW et Plukon qui garantissent un débouché à nos poussins. »
Adapter l’offre pour mieux valoriser
Plukon justement, à la tête de trois abattoirs néerlandais qui traitent trois millions de poulets par semaine et fournisseur de l’enseigne Albert Heijn, tient un discours identique. « Nous avons le souci d’une filière durable. Nous y associons tous les maillons de la filière à commencer par les éleveurs qui travaillent avec nous en exclusivité et avec une garantie de reprise de leur production. Notre modèle prend en compte le prix de revient réel, le cours de l’aliment, les frais supplémentaires afin d’assurer la rentabilité des ateliers ». L’industriel a le sentiment de jouer « un rôle de précurseur ». Il juge « mineur » l’impact sur son activité d’abattage d’une transition vers le BL1*.
Car Plukon croit à l’augmentation du parc bien que la délivrance de permis de construire par maintes municipalités ayant choisi de mettre la priorité sur la protection de l’environnement et la lutte contre le réchauffement climatique, se transforme de plus en plus fréquemment en course d’obstacles. Pour améliorer la valeur ajoutée de la totalité de la carcasse, il a cependant déjà revu sa gamme en l’élargissant aux cuisses désossées, à des marinés, du cordon-bleu, du haché, des saucisses, des tranches pour sandwich, des soupes….
« Le marché néerlandais était un marché essentiellement orienté vers le filet. Les coûts plus élevés des concepts faisant appel à des souches à croissance lentes obligent à bien utiliser la carcasse complète pour équilibrer le bilan matières », rappelle Paul van Boekholt. Il pronostique : « en 2023, 50 % des éleveurs seront passés en BL1*. Le poulet ECC à 30 kg/m² progressera également et absorbera sans doute une partie de la production standard. Ce dernier ne disparaîtra pas d’ici cinq ans, mais peut-être dans dix ou quinze… »
Les principaux critères du BL1*
Un tiers de la production déjà BL1*
En 2020, les Pays-Bas ont abattu un million de tonnes de carcasse et sont autosuffisants à 180 %. Selon Paul van Boekholt, 2,7 à 3 millions de poulets sont élevés chaque semaine pour alimenter le marché néerlandais du frais découpé et transformé. En 2021, 40 % des éleveurs utilisaient une souche à croissance lente pour environ un tiers de la production. Les autres producteurs continuaient à produire du standard, absorbé pour l’essentiel par la restauration collective et l’export.
Il existe un poulet BL2* qui comporte un accès à l’extérieur, mais il ne concerne qu’un nombre limité de petits ateliers. Le produit plein air disponible dans les rayons est le plus souvent importé de… France. Le poulet bio est une niche qui pèse moins de 20 000 têtes par semaine. Son prix en rayon est trois fois plus élevé qu’un poulet conventionnel.