Quel est votre constat des dégâts des virus IAHP sur l’avifaune sauvage ?
Cédric Marteau – « Les dégâts des virus IAHP sont terribles partout dans le Monde. L’avifaune est dans une situation très critique, en particulier les oiseaux à longue durée de vie qui se reproduisent peu. En France, les fous de Bassan et les vautours Fauve sont très touchés. Dans l’unique colonie des Sept îles (Bretagne), 90 % des poussins sont morts en plein été 2022, ce qui veut dire un trou de génération dans 5 ans. Début mars, on saura combien des 19 000 couples d’adultes sont morts à leur retour sur l’île de Rouzic. Peut-être 40 à 50 %…
Note de la rédaction : Pour plus de détails, téléchargez en bas d'article la note de synthèse réalisée par La Réserve des Sept Iles
Le virus H5N1 est aussi une première chez les vautours fauve, qui ont perdu 60 % des petits. Le plus étonnant est que ni l’un ni l’autre n’ont de contacts directs avec les oiseaux domestiques. Les fous restent toujours en mer et les vautours ne mangent pas de charognes de volailles. En revanche, les mortalités hivernales sur les mouettes rieuses nous surprennent moins. Les laridés (goéland, sterne…) et les anatidés (cygne, oies sauvages) sont connus pour être touchés par les virus. »
Avez-vous formulé des hypothèses de contamination ?
C.M- « La période de reproduction représente un stress important pendant lequel un virus IAHP pourrait affaiblir les oiseaux. Pour l’instant nous ne savons pas si l’avifaune sauvage s’est intercontaminée ou si la contamination vient d’une autre source. Alertés par les Écossais dès le mois de mai, nous avons commencé à surveiller la colonie. Dès les premiers cas suspects, nous avons prélevé des échantillons qui vont être séquencés par les services compétents de l’État pour reconstituer l’histoire de la contamination. Nous ne savons encore pas si les Fous de France ont été contaminés avec la même souche de H5N1 que ceux d’Écosse. Nous étudions aussi les vautours mangeurs de cadavres qui sont réputés résister à bon nombre de virus et de bactéries. Notre priorité c’est de comprendre pour réagir à cette crise sanitaire qui met à mal les programmes de conservation. »
Est-ce que ces contaminations estivales ont impacté les oiseaux d’élevage ?
C.M- « Cette année la crise dans les élevages a été majeure, la plus importante jamais enregistrée. L’important aujourd’hui est de comprendre les interactions entre les animaux d’élevage et l’avifaune sauvage. Au moment de l’arrivée des oiseaux migrateurs à l’automne 2022, et alors que nous étions sur le risque le plus élevé H5N1 sur l’ensemble du territoire, nous n’avons pas constaté de mortalité chez les anatidés sauvages.
Pour avancer sur le sujet, nous avons demandé à l’Anses d’établir une cartographie des virus IAHP séquencés en élevage et en faune sauvage. Il nous paraît déterminant de comprendre ces interactions. En l’état, les mesures d’abattage systématique dans les élevages de plein air nous paraissent disproportionnées.
Concernant l’avifaune commensale qui vit à proximité des élevages- en général des passereaux - nous avons peu de données. Jusqu’à présent, il n’a pas été démontré que ceux-ci pouvaient être porteurs sains de virus IAHP. »
Un compartiment aviaire est-il particulièrement responsable des propagations ?
C.M- « Plus on fragilise le vivant dans sa globalité et plus cela favorise l’émergence de zoonoses. Il n’y a pas un coupable mais une multitude de coupables ayant favorisé l’apparition de divers virus, dont ceux de l’influenza aviaire. »
Quelles sont vos propositions pour sortir de cette crise sanitaire globale et transversale ?
C.M- « Il faut revoir le modèle avicole et favoriser l’élevage en plein air. Des volailles moins stressées sur un parcours donneront moins prise au virus que celles enfermées dans des bâtiments. Mécaniquement stressées par la densité, celles-ci sont plus sensibles au H5N1, d’autant plus si d’autres stress s’ajoutent. La dimension des élevages devrait aussi être limitée. Il paraît aussi important d’apporter plus de diversité génétique. J’ai conscience que c’est une remise en cause difficile, mais continuer à produire comme avant n’a aucun avenir.
Par ailleurs, une réponse d’urgence du type « action-réaction » ne marche plus : dix millions de volailles abattues il y a deux ans dans le monde, 60 millions l’an dernier, 140 cette année. Aujourd’hui l’abattage de masse n’est plus possible. Évidemment, la LPO soutient la vaccination. Nous appelons les acteurs des secteurs agricoles, de la santé et de la biodiversité à mettre en commun leurs connaissances pour échanger et avancer dans un climat apaisé. La priorité est de minimiser les risques sanitaires et de favoriser ce qui reste encore du vivant. »