Échanges commerciaux USA-Europe : la crainte d'un raz-de-marée américain
Engagés en juin 2013 entre l'Union européenne et les États-Unis, les pourparlers du partenariat transatlantique sur le commerce et l'investissement inquiètent les milieux avicoles, qui craignent de perdre plus que de gagner.
Entre initiés, on prononce « Ti Tiiiip » l'acronyme de Transatlantic trade and investment partnership, plus connu que sa traduction « accord transatlantique sur l'investissement et le commerce ». L'idée du TTIP a émergé en 2008, lors de la crise financière et économique. Les chefs d'État européens sont allés frapper à la porte de Barack Obama. Initialement, il s'agissait d'améliorer les conditions régissant les affaires et les échanges de biens et de services (énergie, industrie, agriculture). Les experts européens du Center for economic policy research ont calculé qu'un tel accord améliorerait globalement l'activité économique annuelle de 120 milliards d'euros en Europe et de 95 milliards aux USA, avec des impacts variables selon les secteurs. Les exportations agroalimentaires et de produits chimiques augmenteraient de 9 %, celles des véhicules de 40 %. Ce même rapport chiffre à + 0,06 % l'impact sur le secteur agriculture-bois-pêche. Plusieurs millions d'emplois seraient créés. Les consommateurs tireraient les bénéfices du TTIP, grâce à des produits moins chers.
Plus qu'un accord de libre-échange
Avec ce TTIP, les décideurs européens ont adopté une démarche géopolitique qui vise à permettre à l'Europe de rester dans le jeu économique mondial. L'Asie, Chine en tête, va bientôt dépasser les États-Unis. En 2030, ce bloc devrait capter 80 % de la production mondiale de biens et services. Depuis 2010, les Américains tentent un rapprochement économique avec onze pays riverains du Pacifique (accord transpacifique TPP). Si le wagon de l'Europe n'accroche pas la locomotive américaine, il risque de se retrouver à la traîne, avec une Russie en pleines turbulences. C'est pourquoi, les politiques européens voulaient conclure au plus vite.
Or, le TTIP est plus qu'un accord de libre-échange commercial tel qu'on en concluait au siècle passé ; un accord dans lequel les droits de douane, protégeant les producteurs, tendent vers zéro pour le bénéfice des consommateurs. Le TTIP aborde les différences de réglementations, avec pour objectif de les harmoniser afin d'offrir la meilleure protection possible aux consommateurs américains et européens. Or ces derniers, représentés par des ONG, des syndicats, des partis politiques, s'inquiètent d'un relâchement réglementaire qui conduirait à un risque accru pour leur environnement ou pour leur santé.
Des différences réglementaires et culturelles
Mais quelles règles faut-il choisir d'un commun accord ? Selon le bien considéré, la norme américaine peut être meilleure que l'européenne ou vice-versa. Faut-il « harmoniser » c'est-à-dire trouver une règle commune à la place des deux précédentes ? Ou faire « converger » les normes ? Ou s'en tenir à une « reconnaissance mutuelle » de normes pouvant être fort différentes ? L'Europe a décidé de ne pas transiger : ce qui est interdit aujourd'hui le sera demain. En matière agroalimentaire, elle a placé la barre très haut sur le bien-être animal, le sanitaire, les indications géographiques protégées et le principe de précaution (hormones, OGM, chlore...).
Des négociations peu transparentes
Bien que neuf « rounds » se soient déjà déroulés, il est difficile de savoir ce qui a été acté. En théorie tous les points sont discutables et rien n'est conclu tant que tout n'est pas conclu. Ce manque de transparence augmente encore la défiance de la société civile et des filières agricoles. Les organisations professionnelles agricoles redoutent, comme en 1995 avec les accords du Gatt, l'octroi de trop nombreuses concessions agricoles aux Américains en échange d'avantages dans d'autres domaines. Pour le moment, il semble que l'on en soit encore à la phase d'exploration des sujets entrant vraiment dans les négociations.
En février 2014, les Européens ont fait des propositions tarifaires sur les droits de douane, en distinguant trois catégories de produits. Pour 96 % d'entre eux, les droits étaient abolis. Pour 3 %, une période de trois à sept ans permettait aux marchés et aux producteurs de s'adapter. Enfin pour certains produits (les viandes notamment), les tarifs étaient maintenus, en contrepartie de quotas d'entrée sans taxe. C'est ce que craignent les professionnels avicoles.
Un calendrier dépendant du jeu politique
L'issue des négociations est aussi freinée par les jeux politiques et les échéances électorales. L'année 2016 sera une année de pause en raison de l'élection présidentielle américaine. Ensuite, une fenêtre de dix-huit mois s'ouvrira avant les élections européennes de 2019 (Parlement et Commission), sur fond de renégociations de la PAC d'après 2020. Au mieux donc, le TTIP ne se concrétisera pas avant 2020.
Pour en savoir plus
Voir dossier Réussir Aviculture de juin 2015. RA n° 207 p. 10 à 19.
Une coopération réglementaire plutôt qu'un affrontement sur les tarifs.
Voir aussi article Les barrières non tarifaires, principal enjeu de l'accord