Le potentiel redox, un levier potentiel pour la santé de la vigne
L’apparition des maladies sur la vigne pourrait être liée à des conditions de pH et d’oxydoréduction particulières du sol et de la plante. Contrôler ces paramètres permettrait alors de garder les vignes saines. C’est l’objet des travaux d’Olivier Husson, chercheur au Cirad.
L’apparition des maladies sur la vigne pourrait être liée à des conditions de pH et d’oxydoréduction particulières du sol et de la plante. Contrôler ces paramètres permettrait alors de garder les vignes saines. C’est l’objet des travaux d’Olivier Husson, chercheur au Cirad.
Les réactions d’oxydoréduction sont partout autour de nous. Le principe même de la photosynthèse est régi par ce phénomène de transfert d’électrons. C’est pourtant une notion qui n’est pas abordée en viticulture, ni même dans l’agriculture au sens large. Olivier Husson, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), s’est lancé dans des recherches sur cette thématique. Car il pressent qu’une meilleure compréhension des dynamiques d’oxydoréduction (redox) dans l’environnement du végétal pourrait permettre un bond en avant dans la santé des plantes. « Les stress ont un impact sur les processus redox. Ce sont des oxydations, explique-t-il. Selon l’énergie qu’a la plante elle va pouvoir réguler ou non ces échanges d’électrons. Lorsqu’elle n’a plus d’énergie, c’est là qu’elle tombe malade. » Pour lui, les différents types de bioagresseurs se développent dans des conditions bien particulières de pH et d’oxydoréduction.
Créer des conditions d’un sol suppressif des maladies
S’il n’a pas encore de preuve scientifique sur le lien de causalité, il observe dans les différents essais des choses qui vont dans ce sens. « Par exemple, nous avons montré sur le riz que les insectes ravageurs pondent d’abord sur les plants qui sont oxydés », illustre-t-il. Le chercheur propose donc une vision et une gestion complètement différente de la santé des plantes : au lieu de lutter contre les pathogènes, il s’agit de mettre la plante dans une disposition où elle ne sera pas vulnérable et ne tombera pas malade. Pour arriver à cela, la bonne structure du sol est fondamentale. Les sols compacts passent généralement de la suroxygénation à l’asphyxie, ce qui stresse les plantes. Un sol structuré présente quant à lui des niches de couples pH/redox diverses et facilite les cycles biogéochimiques, et donc la nutrition. Ce dernier point peut être une source de déséquilibre très importante pour le potentiel redox car l’absorption de nitrate entraîne pour la plante une réaction d’oxydation et d’alcalinisation, et l’absorption d’ammonium une réaction d’acidification au niveau des racines. « L’idéal est une nutrition aminée, que l’on obtient en évitant le travail du sol et en ramenant de la matière organique par les couverts végétaux », estime le scientifique. Mais l’équilibre redox passe aussi par une remise en question de notre façon de travailler la vigne. « Car dans le schéma conventionnel nous avons des pratiques oxydantes, et en plus nous luttons contre les indésirables avec des produits qui agissent par suroxydation, observe Olivier Husson. Et une plante oxydée est vulnérable, elle nécessite des antioxydants. Mais ces composés, qui sont généralement des tannins, coûtent cher à produire pour elle. Si elle n’a plus assez d’énergie, elle commence par vider ses réserves d’antioxydants, puis la photosynthèse s’arrête pour laisser place au métabolisme par fermentation, qui est beaucoup moins efficace. C’est un cercle vicieux. »
Traiter les vignes avec des antioxydants pour limiter le cuivre
Pour le chercheur, ces nouvelles connaissances ouvrent de réelles perspectives et devraient permettre au potentiel redox de devenir un levier puissant pour réduire l’utilisation des produits phytosanitaires, sans toutefois empêcher la nécessité d’intervenir. En 2020, Xavier Sarda, chargé de suivi expérimental à La Belle Vigne, a mis en place quelques protocoles en ce sens pour 6 viticulteurs souhaitant réaliser des tests. Les modalités comprenaient notamment l’utilisation d’acide ascorbique (la vitamine C, un antioxydant puissant) en pulvérisation sur les feuilles. Le préalable à ces traitements était d’avoir des sols non travaillés et des couverts végétaux pour compenser la perte en humus. « C’est malheureusement difficile de tirer des conclusions car certains viticulteurs ont poussé l’expérimentation trop loin dans un contexte de très forte pression parasitaire, regrette-t-il. Mais chez les autres, on voit que cela peut être un levier pour diminuer les doses de cuivre. » L’approche redox est effectivement pour lui une piste intéressante. Il compte bien renouveler les essais sur des parcelles pilotes afin de répéter les expériences et d’enrichir les connaissances sur ce sujet. Xavier Sarda aimerait aussi tester l’effet sur les vignes d’autres produits antioxydant, comme l’acide acétylsalicylique (aspirine). Olivier Husson de son côté travaille sur un outil de spectrométrie infrarouge associé à du deep learning pour estimer le couple pH/potentiel redox d’une plante, car les mesures électrochimiques classiques sont longues et fastidieuses mais aussi trompeuses.
Pour les viticulteurs qui souhaiteraient se lancer dans une telle réflexion, Olivier Husson prévient toutefois : les interactions sont multiples et les pratiques citées doivent être adaptées en fonction du contexte, propre à chaque exploitant. « Tout cela est très complexe. Avant de se lancer, mieux vaut commencer par chercher à comprendre les processus et les différentes notions, en regardant par exemple les vidéos de conférences et de formation que l’on peut trouver sur internet », conseille-t-il.
Le redox, laissé de côté car complexe et ambigu
Les connaissances sur l’oxydoréduction ne datent pas d’hier, mais n’ont jamais été exploitées en agronomie. Il faut dire que dès qu’on l’aborde, on tombe en premier lieu sur un problème de sémantique : le mot « oxydation » possède plusieurs définitions, il désigne soit une perte d’électron, soit le gain d’un atome d’oxygène ou la perte d’un atome d’hydrogène. « Il y a donc une incompatibilité de langage entre les chimistes et les biologiques », regrette Olivier Husson. De plus, comme il existe une corrélation entre potentiel redox et pH, on s’est basé sur ce dernier, plus facile à mesurer. « Mais qu’il y ait une corrélation ne signifie pas que le couple pH/potentiel redox sera toujours identique. En réalité la plante s’oxyde pour réguler le pH, c’est là que se créent les déséquilibres », pointe le chercheur. Pour lui, il existe encore un gros manque sur les connaissances fondamentales en ce qui concerne les réactions d’oxydoréduction au sein des plantes, sols et micro-organismes.
Alain Kuehn, viticulteur coopérateur Bestheim à Sigolsheim dans le Haut-Rhin.
Nous avons vu de belles choses en poussant cette théorie
« J’observe beaucoup la nature et mes vignes depuis que je me suis installé en 1982, et il y a certains problèmes que je n’arrivais pas à m’expliquer. Les explications que m’ont apportées Olivier Husson du Cirad et La Belle Vigne sur la relation entre le pH et l’oxydoréduction ont paru répondre à ce que je voyais, j’ai donc voulu faire un essai en testant à fond cette théorie. L’an dernier sur une parcelle de 50 ares j’ai mis en place un itinéraire technique qui évite les réactions oxydatives. J’ai donc supprimé le rognage et l’effeuillage qui créent des plaies, en employant le tressage de la vigne ; j’ai gardé une couverture végétale sur le sol, issue de semis directs, pour éviter l’action des UV par réaction de Fenton, et j’ai limité au maximum l’usage des produits phyto, qui sont oxydants. Je pense que tout marche de pair et que des liens se créent entre ces pratiques. Au final, on a vu de belles choses. Je n’ai pas traité jusqu’à la fermeture de grappe mais simplement apporté quelques engrais foliaires. Seul un foyer d’oïdium s’est développé sur quelques pieds, j’ai donc soufré deux fois à 7 kg/ha en couplant avec de l’engrais foliaire cuivré, il n’y a pas eu besoin de plus. J’ai eu le même résultat que sur mes parcelles en conventionnel où il y a eu 5 traitements. Il faut avouer que l’année a été plutôt clémente, il faudra voir à l’avenir. Côté insectes, la pression diminue depuis que je favorise les auxiliaires, je pense dorénavant me priver entièrement de confusion. Cet hiver, j’ai taillé en respectant les flux de sève grâce à une technique de taille douce, en évitant les coupes sur du bois de plus de 2 ans, pour fixer les antioxydants dans le bois, limiter les problèmes d’alimentation hydrique et assurer une bonne mise en réserve de l’amidon. Il serait à présent intéressant de voir avec la cave s’il y a un impact sur le produit fini. S’il y a une meilleure protection antioxydative par exemple ou une meilleure minéralité. Sur le raisin en tout cas j’ai trouvé une différence, au moment des vendanges les pépins étaient beaucoup plus torréfiés et n’avaient pas de verdeur. »