Le pourridié, une bombe à retardement dans les vignobles
Souvent confondu avec d’autres dépérissements, le pourridié est une maladie insidieuse qui progresse dans les vignobles. Voici comment limiter son expansion.
Souvent confondu avec d’autres dépérissements, le pourridié est une maladie insidieuse qui progresse dans les vignobles. Voici comment limiter son expansion.
Le pourridié est provoqué par un champignon, Armillaria mellea, qui vit dans le sol et se développe sur les racines de ses plantes hôtes. « C’est une maladie en progression dans de nombreux vignobles comme en Gironde, dans les Graves ou encore à Saint-Émilion, mais aussi dans la vallée du Rhône, en Provence, Bourgogne et Chablis », observe Pierre Sauris, chercheur à l’Inrae de Bordeaux.
L’une des raisons qui explique cette expansion est l’histoire souvent méconnue des parcelles de vigne. « Des vignobles ont été implantés sur des friches où il y avait des arbres comme des tilleuls, des peupliers ou des amandiers, et sur d’anciens vergers, observe Pierre Sauris. Or le pourridié se développe très bien sur des arbres fruitiers à noyaux comme les pêchers ou les abricotiers. » Ignorant cette destination passée, les viticulteurs ne sont pas suffisamment vigilants. Pour savoir si une parcelle a été plantée avec des arbres et éviter d’implanter des vignes sur des parcelles à risque, il est possible de consulter les photos aériennes de l’IGN sur le site internet de cet organisme.
Attention à bien choisir les essences en agroforesterie
Dans la même lignée, Pierre Sauris invite les vignerons à la prudence sur la pratique de l’agroforesterie avec la possible introduction d’arbres porteurs de pourridié dans les parcelles, « une bombe à retardement dans les vignobles à dix ans », selon le chercheur, si les vignerons ne sont pas vigilants sur le choix des essences.
Pour limiter l’expansion du pourridié, la première action est d’accompagner les vignerons pour mieux reconnaître la maladie. « Elle est trop souvent mal identifiée car les symptômes sur feuilles, les rougissements notamment, peuvent être attribués à d’autres parasites et on perd du temps pour arracher les pieds malades et extirper les racines », regrette Pierre Sauris. Seuls l’arrachage des ceps et le repos du sol (trois à quatre ans minimum) permettent de stopper la dissémination du champignon, qui se fait sous forme de mycélium sur les racines.
Une partie des dépérissements observés sur grenache
Comme pour d’autres maladies de dépérissement, la prospection dans les parcelles est donc un point primordial. Dans le cadre du projet Dep-Grenache, financé par le Plan national contre le dépérissement du vignoble (PNDV), l’IFV, en collaboration avec les chambres d’agriculture et trois caves coopératives dans le Gard, les Bouches-du-Rhône et le Vaucluse, a réalisé en 2021 un inventaire des causes de mortalité touchant le grenache. Une centaine de parcelles ont ainsi été prospectées dans chaque département.
« Il s’est avéré que pour un quart d’entre elles, la présence de pourridié était soupçonnée sur la base du rougissement des ceps. Dans la plupart des situations, la maladie a été confirmée par un examen des racines », rapporte Marion Claverie, ingénieure à l’IFV. Et de confirmer les propos de Pierre Sauris : « les secteurs identifiés avec une problématique pourridié sont souvent à historique fruitier ou issus de défriches de chênes, même s’il n’est pas toujours facile d’établir la corrélation avec le précédent cultural, ce qui demande de remonter sur plusieurs générations de vigne », poursuit-elle.
Lorsque la maladie est identifiée, dans la mesure où il n’existe aucun produit de désinfection des sols autorisé, la seule solution est d’arracher les pieds malades et les voisins en espérant ainsi assainir une zone où Armillaria mellea ne sera plus présent. « Toutes les racines doivent être extirpées, insiste Philippe Larignon de l’IFV, avec un repos de la zone malade ou de la parcelle d’au moins quatre ans. » Une nécessité très contraignante mais indispensable.
Les clés pour reconnaître la maladie
Les symptômes aériens, qui apparaissent souvent plusieurs années après la contamination, se traduisent par un changement de couleur des feuilles avec évolution en tâches concentriques dans les parcelles (on l’appelle la maladie du rond). Progressivement, les ceps s’affaiblissent : débourrement difficile, croissance ralentie, raccourcissement des entre-nœuds, feuilles atrophiées. « Ces symptômes peuvent être attribués à d’autres maladies de dépérissement », souligne Pierre Sauris.
Pour confirmer la maladie, il faut aller voir sous l’écorce des racines et du collet, où se développe un feutrage blanc caractéristique. Quand le champignon s’extériorise avec des touffes de champignon de couleur ocre miel, cela signifie que l’attaque est avancée et que la mort du cep est proche.
Les plantes hôtes du pourridié
-Arbres fruitiers : pommier, pêcher, poirier, abricotier, cerisier, olivier, noyer, amandier…
-Arbustes ornementaux et plantes grimpantes : rhododendron, buis, glycine, lilas, rosier, troène…
-Arbres : chêne, marronnier, bouleau, peuplier, érable
-Vivaces ligneuses : jasmin, lavande
Didier Pauriol, viticulteur dans les Bouches du Rhône et président du Vignoble du Roy René
« Une maladie que l’on détecte souvent vers 20 à 30 ans »
« Sur mon exploitation de 17 hectares, j’ai quelques parcelles concernées par le pourridié. C’est une maladie insidieuse qui gagne pied par pied et qu’on détecte souvent sur des vignes de 20 à 30 ans. La seule solution est d’arracher, de bien extirper les racines et d’attendre plusieurs années avant de replanter. D’un point de vue réglementaire, entre deux plantations, il faut compter au maximum trois ans pour la demande et trois ans pour la replantation ; c’est de mon point de vue un minimum pour espérer évincer le pourridié. Notre secteur est malheureusement concerné car, historiquement, avant la vigne, il y avait des vergers d’abricotiers et des amandiers. Et le grenache est un cépage sensible. On vit avec cette maladie même si on est inquiet. »