Le marcottage de la vigne : dans quels cas est-il intéressant ?
Évidence pour les uns, hérésie pour les autres, marcotter les complants se révèle un moyen efficace mais éphémère. La technique est à réserver aux parcelles approchant de la fin de vie.
Face aux dépérissements de la vigne qui vont croissant, beaucoup de viticulteurs sont en recherche de solutions pour gérer les manquants qui se multiplient. Entre le prix des greffé-soudés, leur entretien et la lenteur du retour en production, la complantation coûte cher. Quand on sait qu’il suffit de courber un sarment en terre pour résoudre ces trois problématiques, cela laisse songeur… Certains viticulteurs pratiquent le marcottage depuis toujours, comme un geste traditionnel hérité du passé, d’autres se demandent s’ils n’auraient pas intérêt à le remettre au goût du jour.
Mais que penser de cette technique ? Est-ce, in fine, une bonne ou une fausse bonne idée ? Car elle revient, qu’on le veuille ou non, à remettre des racines de Vitis vinifera en terre. Si on affranchit la marcotte, on crée purement et simplement un franc de pied, avec tous les problèmes que cela engendre vis-à-vis du phylloxéra. Si on ne l’affranchit pas, elle sera indemne de maladie mais risque d’affaiblir le pied mère. « Comme toujours dans la vie, tout n’est pas noir ou blanc, plante Olivier Yobrégat, ingénieur matériel végétal à l’IFV Sud-Ouest. Cette pratique présente l’avantage de pouvoir regarnir rapidement un trou dans la végétation, mais on ne sait jamais vraiment combien de temps ça va tenir. » Ses recommandations sont donc très claires : sur une vigne âgée dont on sait qu’elle sera arrachée dans la dizaine d’année qui suit, c’est une très bonne technique pour maintenir un peu les rendements jusqu’à la fin. Dans les autres cas, c’est une mauvaise idée.
La mort des racines est inéluctable, c’est une question de temps
Vitis vinifera se bouture très facilement, de nouvelles racines émanent rapidement des bourgeons, ce qui fait que le système racinaire secondaire s’implante bien et vite. En parallèle, le phylloxéra met généralement un peu de temps pour s’installer, cela prend ainsi plusieurs années pour que les racines soient attaquées. Le marcottage est tout bonnement un pari sur la vitesse de recontamination. « Ça peut prendre trois ou quatre ans comme ça peut en prendre vingt, observe Olivier Yobrégat. C’est une véritable loterie. » D’où la différence de traitement qu’il recommande entre les vieilles vignes et les plus jeunes. Statistiquement, une vigne à qui il ne reste que dix ans de vie risque moins de subir les affres du puceron ravageur qu’une vigne que l’on espère garder encore vingt, trente ou quarante ans.
De nombreux vignerons vous diront que le marcottage fonctionne très bien, du moment que l’on ne coupe pas le lien entre la marcotte et le pied mère. « Certes, cela permet d’avoir un filet de sécurité vis-à-vis du phylloxéra, commente Olivier Yobrégat. Mais dans le cas où c’est le pied mère qui dépérit, il entraîne avec lui la ou les marcottes, ce qui revient à la mort de deux voire trois pieds d’un coup. » De plus, comment savoir si la marcotte, toujours attachée, possède encore toutes ses racines ou si elles ont été détruites sans que l’on s’en aperçoive ? « Il est très difficile de déceler les symptômes car cela se traduit par de toutes petites nodosités sur les radicelles, indique l’ingénieur. A priori, tant que la souche mère est en forme, on ne voit rien. »
Le ravageur peut, de la sorte, grignoter tout le système racinaire si la vigne ne régénère pas ses racines aussi vite que le phylloxéra ne les détruit. À ce stade la marcotte s’alimente à 100 % sur le pied mère, et n’est plus qu’une grande baguette tirée de côté et touchant le sol. Avec les conséquences que cela peut avoir sur la vigueur et la vitalité de la souche mère, ainsi que sur la qualité. « L’autre inconvénient d’une marcotte non affranchie c’est la gêne qu’elle occasionne lors du passage des outils interceps », prévient Olivier Yobrégat.
Un retour en production dans l’année suivant le marcottage
Un constat que fait Philippe Ivancic, vigneron au domaine de la Croix Mélier à Montlouis-sur-Loire, dans l’Indre-et-Loire. Son prédécesseur marcottait régulièrement, depuis une dizaine d’années, et lui-même continue à le faire sur une centaine de plants par an, sur de vieilles vignes principalement et quand l’occasion se présente d’avoir un sarment disponible à côté du manquant. « Les pieds sont plus fragiles face aux outils de travail du sol », confirme-t-il. Aussi, il coupe la marcotte au bout de deux ou trois ans. Le vigneron observe que ces vignes se comportent bien, et apprécie le retour en production dans l’année suivant l’opération. Il ne rapporte pas de mortalité, même sur celles ayant été marcottées il y a dix ans. « Cela vient probablement du fait que nous le faisons là où il y a le plus de sable possible, et de façon très ponctuelle, ce qui doit réduire le potentiel de pression parasitaire, imagine-t-il. Car nous sommes bien conscients que le phylloxéra est toujours présent. »
bon à savoir
Rien n’interdit, à l’échelle nationale, de pratiquer le marcottage, sauf dans le cas particulier des parcelles vignes mères de greffons. C’est au niveau des cahiers des charges d’appellation que d’éventuelles restrictions pourraient exister. Si celui de l’AOP côtes-de-provence, par exemple, indique noir sur blanc que le marcottage est autorisé, très peu en font mention, créant de fait une zone d’ombre. Pour le syndicat général des côtes-du-rhône, le cahier des charges de l’AOP n’indique rien donc la pratique est permise de facto. Au syndicat des bordeaux et bordeaux supérieur, le service technique assure que le seul critère pris en compte lors des contrôles est l’observation d’un pied manquant. Interrogé sur le sujet, l’Inao explique ne pas avoir de directive sur le sujet, cette pratique étant relativement marginale. Et ne se penchera sur la question que si elle revient au goût du jour au point de devenir un véritable enjeu. « Nous faisons confiance aux contrôleurs, qui sont à même d’apprécier s’il y a un abus dans la parcelle avec de trop nombreux pieds marcottés et non affranchis », commente Stéphane Meunier, délégué territorial adjoint pour la délégation Centre-Est.
Comment réaliser un marcottage ?
Il existe plusieurs façons de marcotter la vigne. On peut partir d’un pampre, que l’on enterre et que l’on fait ressortir plus loin, à l’emplacement du pied manquant. Ou bien on peut réaliser un marcottage aérien en pliant un long sarment aoûté pour le ramener en terre. Dans les deux cas, il faut garder à l’extrémité du rameau une partie aérienne avec un ou deux yeux. C’est de là que partira la base du nouveau plant. L’opération peut se faire en hiver, pendant le repos végétatif de la vigne, ou bien au printemps.La plupart des vignerons réalisent l’opération à la pioche. Sur les réseaux sociaux, certains échangent toutefois leurs astuces pour gagner du temps ou pour s’économiser de la peine. Ainsi, quelques-uns utilisent une minipelle pour préparer le trou, avec parfois une dent de chisel à la place du godet. D’autres réalisent un trou ou plusieurs trous à la tarière, y placent le sarment et rebouchent. En Charente, un viticulteur s’est même confectionné une machine spécifique qu’il attelle en position latérale entre-roues. Un vérin hydraulique vertical plonge deux lames métalliques parallèles, espacées d’une dizaine de centimètres, et le tour est joué. Net et sans bavure.