La vente multicanaux, une sécurité
Les vignerons indépendants vendent massivement (75,6 %) en multicanaux, une manière d’assurer des volumes de ventes suffisants tout en soignant le chiffre d’affaires. C’est le cas pour Isabelle et Régis Falxa, au château Lalande-Labatut, en Gironde.
L’aventure des vignobles Falxa a commencé en 1971 à Sallebœuf, en Gironde, sous la houlette Dominique Falxa. « Fils de viticulteur, mon père avait toujours rêvé d’acquérir ses propres parcelles, d’avoir son vignoble. Il a ainsi créé un domaine d’une trentaine d’hectares sur lequel il produisait 40 000 bouteilles destinées à la vente directe, le reste de la production étant commercialisée en vrac. », nous explique son fils Régis Falxa, qui a intégré le domaine à la fin de ses études, trois ans après sa sœur Isabelle.
Tous deux ont suivi un cursus de techniciens agricoles, plutôt orienté production et gestion pour le frère, et commerce pour la sœur. L’objectif avoué étant d’aider leurs parents à la propriété familiale.
« Notre arrivée au domaine, entre 1994 et 1997, a coïncidé avec le développement de nos canaux de ventes directes, poursuit Régis Falxa. Malgré le passage à 45 hectares, nous avons rapidement eu la volonté de cesser la vente en vrac, trop peu rémunératrice. Grâce au temps que notre père a pu libérer par notre arrivée, il a enfin pu écumer les salons et développer la clientèle. »
L’entrée dans la grande distribution s’est d’abord faite à l’étranger
Dès l’an 2000, la vente en vrac est stoppée. Frère et sœur commencent à démarcher la grande distribution. « Nous avons envoyé des dizaines d’e-mails, en grande distribution (GD) française et européenne, se remémore Isabelle Falxa, en charge de la GD. Seule une centrale d’achat belge nous a contactés. Nous travaillons avec elle depuis maintenant quinze ans. Elle nous achète un tiers de nos cols, soit 85 000 actuellement, et représente 25 % de notre chiffre d’affaires (CA). Nous proposons des vins de milieu de gamme, avec en permanent le rouge 100 % merlot. Nous sommes en passe de faire de même pour le blanc et le rosé, jusque-là seulement proposés lors d’opérations commerciales. »
La collaboration avec la GD française a démarré deux ans plus tard. « Comme nous ne voulions surtout pas créer de confusion chez nos clients en proposant notre vin du château Lalande-Labatut, nous leur avons vendu les vins du château Les Gauthiers, que nous avons en fermage depuis 1990, poursuit-elle. Nous avons rejoint le grand export à peu près en même temps et ces deux marchés représentent à présent le deuxième tiers de la vente de notre volume, pour un CA de 25 % également. Nous passons la plupart du temps par un négociant pour ces deux marchés, mais la vente directe n’est pas interdite, même si au niveau administratif l’export demande du temps. »
Ces deux marchés sont pour les Falxa le « tiers aléatoire » : ils ne savent ni où ni combien de bouteilles ils vendront, mais Isabelle Falxa aime cette forme d’insécurité : « cela nous permet d’être en contact direct avec la réalité du marché et c’est très important. »
Pour son frère, le travail avec la GD se fait en toute confiance : « Ils sont exigeants en qualité, en quantité, mais travailler avec eux n’est pas synonyme de mal de tête. Avoir une médaille facilite le premier contact, mais elle ne fait pas tout et vous ne vendrez pas plus cher votre vin. Il faut savoir commercialiser son vin en étant presque le père de celui-ci, pas le commercial du domaine, ce n’est pas ce qu’ils nous demandent en tant que vigneron indépendant. »
Isabelle Falxa est plus mesurée lorsqu’elle évoque les échanges avec la GD : « Ils sont à la pointe de la relation client, savent exactement ce qu’ils veulent et vous demandent de le leur fournir. Que ce soit en termes d’allergènes, ou de communication, ils savent où en est la demande. C’est à vous de prendre le train avec eux et de ne surtout pas en descendre, car pour y remonter… les petites structures comme la nôtre peuvent vite être affolées. ».
La vente directe, plusieurs casquettes et beaucoup de travail
Isabelle Falxa est à la boutique et gère la GD, tandis que Régis Falxa prend en main le dernier tiers du volume de vente, qui représente 50 % du chiffre d’affaires : les canaux de ventes directes. « C’est un travail de passionné acharné, note-t-il. Il faut occuper le terrain pour garder ses parts de marché, éventuellement en gagner d’autres, que ce soit en CHR (cafés-hôtels-restaurants) ou sur les salons. Sur le tiers du volume commercialisé dont je m’occupe, nous réalisons 70 % des ventes directement aux particuliers, pour 30 % en CHR. Le maître mot, c’est simplement d’être là, d’occuper l’espace que l’on s’est créé à force de travail et de présence sur le terrain. Je participe donc à treize salons des vignerons indépendants, répartis sur deux courtes périodes de l’année. C’est du sport mais le jeu en vaut la chandelle. Nous avons également un agent commercial sur Paris qui s’occupe essentiellement de la vente en CHR et aux cavistes. »
« Compenser le luxe des grands crus par la proximité et le partage »
Prochain objectif pour les Falxa : internet. « Tout le monde dit que c’est le prochain canal de vente à ne pas rater, explique Isabelle Falxa. Aujourd’hui, notre présence sur ce support se résume au site du château et à notre site de vente en ligne, qui ressemble un peu à une annexe de la boutique que nous avons ouverte en 2010 et où nous commercialisons notre production (bouteilles et BIB) et une sélection quasi exclusive de vins de vignerons indépendants. Nous allons bientôt intégrer le site de vente en ligne des vignerons indépendants, pour essayer de progresser sur ce canal, qui représente actuellement moins d’un pourcent du volume total des ventes. »
Régis Falxa, quant à lui, a commencé des travaux d’aménagement des chais en pensant à l’œnotourisme. « La boutique est sur l’axe le plus fréquenté de Gironde, et à deux pas du Château, analyse-t-il. Il serait dommage de ne pas pouvoir y accueillir les gens. Nous n’avons pas la chance d’avoir de grands chais qui font rêver, mais avec quelques aménagements nous serons en mesure d’accueillir des visiteurs et des repas, et de compenser le luxe des grands crus par la proximité et le partage. »
La fierté se sent chez Régis et Isabelle Falxa ; la fierté de vendre leur vin, celui imaginé par leur père plus de quarante ans auparavant. La fierté et la passion : « Que ce soit avec les CHR, les négociants, les particuliers et les centrales d’achat, le secret c’est d’aimer ce que l’on fait. De vendre ses produits avec passion et de la transmettre. Nous avons, en tant que vignerons, la chance de jouir de l’aura culturelle mondiale de celui-ci. Et, s’il ne faut pas oublier que nous sommes avant tout des agriculteurs, il faut prendre conscience de la qualité de notre travail, en commercialiser le fruit à sa juste valeur, et ne surtout pas le brader. »
Un manque d’intérêt des jeunes pour la vente directe
Les Rencontres des vignerons indépendants de France ont permis de mettre en lumière divers aspects de la commercialisation de leurs vins.
Près de 75 % des sondés vendent leurs vins à l’étranger pour 15 % du volume de récolte. D’après Christophe Chevré, de la fédération des vignerons indépendants (VI), « malgré le contexte socio-économique français, les VI voient l’avenir positivement au niveau mondial. J’en veux pour preuve qu’ils continuent augmenter leur surface de production ».
Autre aspect de ces rencontres, les prémices d’un manque d’intérêt pour la vente directe. « Les jeunes ont du mal à concilier leur vie de famille et les déplacements nécessaires à la vente directe. Ils se tournent de plus en plus vers les autres canaux dont, bien sûr, la grande distribution », poursuit Christophe Chevré.
Ce dernier canal ne concerne que 31 % des VI, mais les deux parties semblent de plus en plus s’intéresser l’une à l’autre. « Les tarifs proposés par la grande distribution sont bons, ils paient en temps et en heure, pressent moins les prix quand les VI font la démarche de venir vendre non seulement leur vin, mais aussi leurs services (mise en rayon, présentation des vins…) », argumente-t-il.