La spécificité de la bactérie indigène est un mythe
Qu’on se le dise, la bactérie lactique œnococcus œni est une grande voyageuse. À partir de 200 vins, une étude a montré sa grande diversité génétique et son absence d’adaptation à une zone de production. À deux exceptions près toutefois.
Le mythe de la souche indigène d’ Oenococcus œni spécifique d’une région, d’une appellation, d’un cru ou d’un domaine est tombé. Pour la première fois, une analyse de la diversité génétique réalisée sur plus de 2000 colonies d’Oenococcus œni isolées à partir de 200 vins vinifiés en 2012 en provenance de quatre régions (Bordeaux, Bourgogne, Languedoc Roussillon, Liban) a en effet montré que dans un lieu donné il existe de nombreuses souches d’Oenococcus œni, soit 430 pour les quatre régions étudiées. Et même si 75 % des souches d’une région sont trouvées uniquement dans cette région et que la plupart des souches trouvées dans une exploitation ne le sont pas dans une autre, rien ne permet pour autant de conclure à leur spécificité. En effet, cette étude a montré que les souches retrouvées sur un lieu donné ne sont pas les membres d’une même “ famille génétique ” qui aurait pu s’adapter à ce lieu. Elles appartiennent au contraire à différentes familles dont des membres sont retrouvés dans diverses régions. En outre, dans une exploitation on peut observer d’une année sur l’autre
trois phénomènes : certaines souches persistent, d’autres disparaissent tandis que d’autres apparaissent. Les chercheurs estiment donc que les souches voyagent d’une exploitation à une autre, d’une région à autre, et qu’elles ne sont qu’“ en transit ”, pour une ou plusieurs années, dans chaque endroit. Autre point important révélé par l’étude : aucune souche, commerciale ou non, n’a pris le pas sur d’autres dans un lieu donné.
La bactérie ne signe pas le terroir
“ D’une façon générale, explique Patrick Lucas, professeur en microbiologie à l’ISVV (1), un vigneron qui souhaiterait élaborer un levain malolactique ‘maison’, en sélectionnant une souche ‘maison’, aurait donc toutes les chances que cette souche soit peu ou pas présente dans d’autres exploitations, mais on ne peut pas dire que cette souche sera une ‘signature’ du terroir. Elle ne sera que le reflet du hasard, qui aura permis son apparition une certaine année, dans un certain lieu. Il sera impossible d’affirmer qu’elle aurait, a priori, une bonne aptitude à fermenter les vins de l’exploitation. ”
Face au grand brassage génétique révélé par cette étude menée sur des vins en cours de fermentation malo-lactique, deux situations font cependant exception : la Bourgogne pour ses vins blancs de chardonnay et la Champagne. Dans ces deux régions, toutes les souches d’Œnococcus œni sont de la même “ famille génétique ”. On suppose que cette spécificité est le résultat d’une adaptation aux conditions acides de vinification rencontrées dans ces vins. “ Si la photographie de la diversité génétique des 430 souches étudiées ici permet de conclure qu’il n’existe pas de familles de souches adaptées à des régions ou à des exploitations , conclut Patrick Lucas, elle met en revanche en lumière qu’il existe des familles de souches adaptées à certains types de vins. Pour l’instant, seule une famille spécifique des vins blancs acides (bourgogne) a été détectée, ce qui n’exclut pas que l’étude d’autres vins en mette en évidence de nouvelles. ”
(1) Institut des Sciences de la vigne et du Vin.