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Construire l’irrigation de demain

La gestion de l’eau est une problématique de plus en plus prégnante en viticulture. La filière a tout intérêt à prendre les devants en ouvrant le débat dans les territoires.

Le Sud-Est connaît actuellement une sécheresse historique, certains secteurs ayant reçu moins de 100 millimètres d’eau depuis le printemps dernier. Dans cette région, la vendange 2017 a d’ailleurs été fortement marquée par le manque d’eau, avec des lourdes pertes de rendement. Dès lors, il devient évident que l’eau est un véritable sujet en viticulture. Si l’Inao a levé un verrou en élargissant le champ de l’irrigation en AOC l’an dernier, cela ne résout qu’une partie du problème. La question de l’approvisionnement en eau est en effet un réel point d’achoppement, car le changement climatique va induire des problèmes dans le partage de la ressource. « Je pense que les politiques ont pris conscience de cela, ce qui est une bonne chose », se félicite Éric Frétillère, président d’Irrigants de France. Le discours d’Alain Thirion, préfet de l’Aude, lors de sa visite à la cave coopérative d’Ouveillan en septembre dernier en est un bon exemple.

Une cellule d’experts pour actionner les leviers disponibles

Le représentant de l’État confiait à nos confrères de La Dépêche vouloir mettre en place une stratégie territoriale qui permettrait aux vignerons d’avoir accès à la ressource en eau. Mais le symbole le plus fort vient encore de la part des ministères de l’Agriculture et de la Transition écologique. Face aux problématiques soulevées par l’aridité particulière de cet été, Stéphane Travers et Nicolas Hulot ont demandé la création d’une cellule d’expertise sur la gestion de l’eau en agriculture. « Le but est de définir comment on peut accélérer les projets de territoire déjà existants sur la ressource en eau », confie Luc Servant, de l’Association permanente des chambres d’agriculture et membre de la cellule. Car de nombreuses actions ont été engagées ces dernières années, mais ne débouchent sur rien de concret. Les experts vont donc analyser quels sont les blocages (financiers, réglementaires, techniques, sociaux…), observer les problèmes et proposer des solutions pour avancer. D’ici fin avril, ce ne sont pas moins de 46 projets qui devraient être étudiés, avec, pour les projets les plus avancés, des retours prévus dès la fin janvier. Mais ce travail, bien que louable et nécessaire, ne fait pas tout. Il faudra ensuite que les ministères prennent des décisions. Rien ne dit que les 150 millions de mètres cubes de réserve en projet sortiront finalement de terre. Ce qui serait regrettable, pour Éric Frétillère. « Dans l’idéal, il faudrait étudier les besoins futurs, et commencer dès maintenant à créer des stockages d’eau pour préparer le changement climatique, estime-t-il. Mais le financement est un vrai problème. »

Prendre les devants en organisant le débat local

Mais pour Guy Fradin, trésorier du Conseil mondial de l’eau et ancien du ministère de l’Agriculture, la question financière n’est pas le premier problème. « Il faut tout d’abord que chaque territoire définisse son projet collectif, argue-t-il. Veut-il faire le choix de garder une économie viticole ? Si la réponse est oui, alors la question de l’irrigation des vignes sera intégrée dans l’équilibre social, économique et environnemental souhaité, et le financement suivra. » En cela, tout le monde a un rôle à jouer, les ministères en définissant une feuille de route commune entre l’Agriculture et l’Environnement, et les collectivités territoriales pour l’orientation du projet local. Guy Fradin exhorte d’ailleurs les viticulteurs à se rapprocher de ces dernières, et à mobiliser les élus sur la problématique de l’eau. « Le monde agricole a tout intérêt à prendre les devants et à organiser le débat, sans être vindicatif, affirme-t-il. Cela permettrait d’éviter de se retrouver plus tard dans une situation de crise où chacun campe sur ses positions. » L’exemple du barrage de Sivens, dans le Tarn, en est l’illustration parfaite.

La ressource sera suffisante si sa gestion est anticipée

Si la situation est devenue explosive sans que l’on sache très bien pourquoi, c’est qu’à l’origine, la concertation était défaillante. Aujourd’hui, alors que les parties prenantes ont été mises autour de la table, le conflit est désamorcé et le dialogue s’installe… Il n’y a d’ailleurs aucune raison pour que l’eau devienne une source de conflit en France. Car si l’on en croit les experts scientifiques du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), notre pays n’a pas de raison d’être inquiet vis-à-vis de cette ressource. Certes, les périodes de sécheresse estivales sont appelées à s’accentuer, mais la quantité totale de précipitations ne devrait pas évoluer. La question n’est donc pas de savoir à qui donner la priorité, mais comment nous devrons la gérer pour qu’elle soit disponible toute l’année. Et pour cela, les moyens ne manquent pas. En parallèle, les professionnels devront poursuivre leurs efforts pour améliorer les pratiques et poursuivre les progrès déjà réalisés en matière d’économie, notamment en planchant sur le matériel et le végétal.

témoignages

Jérôme Despey, président du conseil spécialisé vin de FranceAgriMer

« Retenir l’eau des épisodes cévenols »

« L’eau est un sujet prégnant, et il faudrait pouvoir optimiser les dispositifs existants. Par exemple, dans le Languedoc, nous avons le lac du Salagou. À l’origine, il a été construit pour irriguer les terres agricoles. Or, à présent, il s’agit d’un lac touristique. Le but n’est pas d’empêcher le tourisme, mais il faudrait pouvoir redonner plus de volume aux agriculteurs et viticulteurs durant l’été.

Par ailleurs, nous attendons des réponses sur la possibilité de mettre en place des retenues collinaires. En automne, lors des épisodes cévenols, des milliards de mètres cubes tombent et vont directement dans la Méditerranée. Il faudrait pouvoir capter cette eau. Des outils financiers existent avec les fonds Feader, avec un cofinancement européen. Mais il y a beaucoup de contraintes ; la réglementation est très lourde. Des simplifications seraient d’ailleurs les bienvenues…

De plus, FranceAgriMer accompagne déjà les viticulteurs, via les aides à la restructuration, pour financer l’installation d’une irrigation goutte-à-goutte. Mais il faut faire évoluer les cahiers des charges viticoles, afin de pouvoir employer l’eau comme compensation du stress hydrique. »

Henri Miquel, président du cru saint-chinian, dans l’Hérault

« Profiter des crédits européens »

« Avec l’évolution du climat, il y aura de plus en plus besoin d’irrigation sur l’appellation ; cela devient semi-désertique. Il faut trouver des parades. L’Espagne et l’Italie utilisent des aides européennes pour construire des systèmes de stockage de l’eau durant l’hiver et irriguer en été. Il faudrait en faire autant. Et ce d’autant plus que le taux de subvention est de 80 % jusqu’en 2020. Après, il descendra à 65 %. Il serait dommage que seuls nos concurrents en bénéficient.

Sur mon domaine, j’ai construit une réserve d’eau et ai pour cela bénéficié d’aides du Feader, avec cofinancement européen. »

voir plus loin

Devant le besoin d’approvisionnement en eau pour irriguer le vignoble, plusieurs techniques s’offrent aux viticulteurs.

La recharge de nappe. Elle consiste à mettre des obstacles dans des zones drainantes, pour faire stagner l’eau des précipitations et la faire percoler jusqu’à la nappe phréatique.
La retenue d’eau. C’est le fameux barrage, qui permet de stocker l’eau lors des épisodes pluvieux. Elle est particulièrement plébiscitée par les agriculteurs, mais sa construction crée souvent la polémique.
Le transfert d’eau. Il s’agit d’acheminer l’eau de bassins excédentaires vers des déficitaires. Cela implique de bien anticiper les bilans de masses d’eau dans le contexte de changement climatique.
L’utilisation des eaux usées en sortie de station d’épuration. Elle est pour l’instant interdite en France, mais très documentée dans d’autres pays et devrait se développer à la faveur de la raréfaction de la ressource.
La dessalinisation. C’est en théorie une méthode très intéressante pour les zones littorales, qui est maîtrisée et a un coût acceptable. Se pose toutefois la question des besoins énergétiques et de la gestion du sel coproduit.

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