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Un Brexit mouvementé pour les éleveurs ovins pastoraux anglais

Le Brexit restreint le pâturage des ovins, bovins et poneys sur les parcours anglais, notamment sur ceux du Dartmoor. Rencontre avec ces éleveurs pastoraux dont les traditions sont menacées.

Dans le Dartmoor (région au sud-ouest de l’Angleterre), les parcours abritent une biodiversité fleurissante, chérie par les défenseurs de la nature anglais. Ici, le silence n’est brisé que par les bêlements d’agneaux ayant perdu leur mère au détour d’ajoncs et fougères dont la taille dépasse souvent la hauteur des bêtes. Les vestiges d’une activité agricole remontant jusqu’à l’âge du bronze jonchent ce parc naturel national, entre vallées incisées et plateaux tourbeux ponctués de « tors » - ces fameuses crêtes rocheuses. La végétation de lande atlantique recouvre les parcours, que les Britanniques appellent commons.

Combiner ovins et bovins de races plus ou moins rustiques au pâturage

Les exploitations sont majoritairement formées de terres peu productives qui produisent du fourrage sur pied, que ce soit sur les parcours ou dans les parcelles individuelles. Les élevages pastoraux misent donc sur la complémentarité ovins-bovins et sur les différentes races, ayant jusqu’à trois troupeaux de rusticité différente pour chaque espèce. Après l’introduction de mesures environnementales drastiques dans les années 1990-2000 marquant le début des restrictions d’usage des parcours, les éleveurs se sont adaptés en utilisant notamment le système de croisement à trois voies. Les brebis rustiques (souvent des Scottish Blackface ou des Swaledale) sont croisées avec un bélier prolifique (le Bluefaced Leicester), produisant des mules mises à la reproduction avec un bélier de race plus conformée comme un Texel ou un charollais. Les animaux rustiques valorisent au maximum les espaces de parcours, tandis que les animaux croisés paissent les prairies permanentes individuelles. Les agneaux issus du croisement terminal sont vendus avant l’hiver pour éviter les coûts d’alimentation en bâtiment. Seuls les élevages ayant des terres plus productives hors Dartmoor ont un troupeau de brebis peu rustiques en plus de leur troupeau pastoral. Sur les parcours, les zones de pâturage sont attribuées de façon qu’il y ait toujours un troupeau d’ovins et un de bovins qui se superposent en partie. De plus, les emblématiques poneys du Dartmoor vivent quasiment à l’état sauvage sur les commons. Ainsi, les éleveurs tirent parti de l’ensemble de leurs ressources, des prairies temporaires à la végétation de lande sur les parcours (voir tableau).

Les parcours se couvrent de plantes peu pâturées

Les parcours de lande au patrimoine culturel et naturel remarquables font l’objet de fortes préoccupations environnementales. Selon le gouvernement, la préservation de ces espaces passe par une utilisation raisonnée du pâturage et du brûlis. En effet, ce dernier est généralement employé pour contrôler la croissance des espèces peu pâturées (arbustes, fougères…). Cela fait maintenant vingt ans que le gouvernement impose régulièrement une réduction du nombre d’animaux sur les parcours tout en maintenant le brûlis au plus bas. « On se dirige tout droit vers un ensauvagement des parcours » se désole Layland Branfield, éleveur pastoral de 85 vaches allaitantes et 520 brebis, membre de la fondation britannique pour les commons. « Les fougères, les ajoncs et la molinie ne cessent de pousser et de revenir encore plus forts après chaque brûlis. Ces plantes ne promeuvent pas la biodiversité, elles surpassent les autres végétaux là où elles poussent. » Pour ne pas arranger les choses, voici désormais le Royaume-Uni engagé dans le Brexit, avec comme ligne directrice de supprimer l’ensemble des paiements directs afin de ne plus subventionner que les efforts environnementaux des agriculteurs au travers de mesures agroenvironnementales (MAE).

Vers une perte de patrimoine génétique et culturel

Les parcours sont presque tous engagés dans des MAE sur dix ans qui arrivent à leur terme cette année ou l’année prochaine. Pour chaque parcours, Natural England (l’agence gouvernementale en charge de l’application des MAE) préconise une réduction du nombre d’animaux sur les parcours plus ou moins forte selon leur jugement de l’état des écosystèmes. De plus, sur les commons qu’ils estiment les plus endommagés, aucun ovin ne sera autorisé l’hiver. Layland explique : « Ce que Natural England ne prend pas en compte, c’est que nos brebis rustiques restent sur les parcours toute l’année et chaque troupeau a appris à rester dans sa zone. C’est quelque chose qu’elles transmettent à leurs agnelles, et c’est ainsi que nos animaux ne se mélangent pas, même s’il n’y a ni clôture ni berger. De plus, elles sont immunisées contre les maladies portées notamment par les tiques. Ce sont les deux raisons pour lesquelles certains d’entre nous ont des troupeaux autorenouvelés depuis plus de 100 ans ! Si on nous supprime le pâturage des brebis l’hiver, à quoi bon garder des animaux de race rustique ? Si nous devons les ramener sur nos prairies, ou pire, à l’intérieur, autant avoir des animaux plus productifs. Cependant, une grande partie d’entre nous n’aura pas la possibilité de nourrir des animaux plus productifs. Que deviendront ces éleveurs ? Il ne faut pas oublier que sur les parcours, nous produisons des animaux vifs engraissés ailleurs. Quel sera l’impact pour l’ensemble de la filière, sur les éleveurs qui se fournissent chez nous ? »

Mettre le savoir-faire au service de l’environnement

Une étude menée par des chercheurs du Countryside and community research institute (CCRI) montre que les subventions représentent actuellement plus de 100 % du revenu des élevages pastoraux du Dartmoor. La baisse de subventions couplée aux fortes contraintes environnementales du Brexit pourrait s’avérer fatale pour ces éleveurs et leurs savoirs. « Nous, éleveurs, pouvons orienter la croissance des végétaux avec le pâturage et le brûlis, nous pouvons entretenir le paysage, et maîtriser les risques de feu. Nous avons le savoir-faire et les connaissances transmises depuis des générations, mais il faut que l’on travaille main dans la main avec les organisations environnementales et pas en opposition frontale comme aujourd’hui. Beaucoup d’éleveurs ont le sentiment que Natural England les tient pour responsables de tous les maux des landes alors que nous n’avons fait qu’appliquer les préconisations de cette agence toutes ces années. »

Chiffres clés

Exploitations de 100 à 400 ha, au moins 75 % de prairies

35 000 ha de parcours en 92 unités distinctes

Altitude comprise entre 150 m et 620 m

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