Soigner les poumons pour garder du souffle
Les poumons des agneaux peuvent prendre l’eau à la naissance ou souffrir d’une mauvaise aération de la bergerie. Diagnostic en photos et conseil de véto pour redonner du souffle aux jeunes.
Si l’on évalue l’impact des maladies « à microbes » sur les premières semaines de vie de l’agneau, les pneumonies (infection du poumon) en constituent le troisième volet, avec les colibacilles (Pâtre n° 648 de novembre 2017) et le groupe « cordon-arthrites-queue-oreilles » (Pâtre n° 650 de janvier).
Mais leur incidence varie sensiblement selon les élevages : anecdotique, à hauteur de 1 ou 2 % de mortalité, le plus souvent (les inévitables « tasses ») ; ou endémique, avec également des conséquences à terme (saisies, poumons collés sur agnelles et brebis), pour d’autres.
Quand l’agneau boit la tasse à l’agnelage
Lorsque l’agneau s’engage dans le bassin maternel, le cordon ombilical se trouve comprimé, ce qui déclenche le réflexe d’inspiration, et le remplissage d’air dans le poumon qui était auparavant un tissu dense. En principe, à ce stade, la tête est sortie à l’air libre et la poche des eaux est rompue. Mais, si cette dernière ne s’est pas déchirée à temps, des eaux fœtales sont inspirées à la place de l’air. Et si l’agneau s’est présenté par le siège, l’inspiration de liquides devient automatique. Pire, si la mise-bas a duré un peu et si le fœtus a souffert, il a pu commencer à expulser son méconium. Les eaux sont alors salies, et l’agneau couvert de glaires jaunes sera mal léché par la mère. S’il a bu au passage, le risque d’infection devient plus élevé.
Si l’éleveur est présent, il aura soin de secouer l’agneau et de l’aider à se débarrasser du plus gros de ces glaires ; sinon, la mort peut être immédiate. Dans tous les cas, les lobes avant du poumon « inondé » ne se déplieront pas et resteront fermes : « hépatisés » en jargon médical. Ces agneaux à risque sont en principe repérables car ils toussent ou râlent au départ. Mais c’est loin d’être toujours flagrant… En cas de doute, le meilleur test est d’écouter les deux poumons, successivement, en les portant à l’oreille, d’un côté puis de l’autre. Au lieu d’entendre le léger souffle d’un poumon sain (pour s’entraîner, il suffit d’écouter ceux de quelque agneau voisin en pleine forme et de comparer), on perçoit des sortes de ronflements, de sifflements… (photo 1)
Dans les jours suivants, certains des agneaux touchés vont se mettre à battre visiblement des flancs à cadence rapide. Pour beaucoup d’autres, ce sera plus discret au départ, comme une sorte de nonchalance… Il faut se méfier notamment de l’agneau qui se lève lentement, va téter tout de même, mais se recouche rapidement après. Et forcément, comme toujours avec les moutons, même un observateur attentif laissera passer un cas sur trois ou quatre. S’il est pressé, surmené, fatigué, beaucoup plus ! Car les symptômes sont souvent désespérément sournois…
Tout agneau repéré mérite d’être mis sous antibiotique, en version « longue action », deux ou trois prises ou injections à 48 heures d’intervalle ; la vieille oxytétracycline (elle vient de fêter ses soixante-cinq ans) reste malgré son âge souvent efficace en première intention. On peut lui adjoindre un anti-inflammatoire, non stéroïdien de préférence, s’il y a oppression manifeste ou température forte (41 °C).
Cela dit, même s’il y a guérison apparente, les lésions des lobes avant ne disparaîtront jamais, et une rechute, souvent avec complication de pleurésie (« poumons collés ») est possible à toute occasion : elle sera, cette foi, incurable. Chaque agneau traité pour pneumonie doit donc être enregistré et porter un repère (tip tag, queue non coupée…) qui évitera que, le temps venu, il ou elle ne soit trié comme agnelle ou jeune bélier. Une précaution supplémentaire serait même de noter, et d’écarter ensuite de la reproduction, les agneaux nés par siège, a priori plus suspects de porter l'affection de départ…
Des lésions repérables à l’autopsie
À l’autopsie, les lésions sont d’une monotonie absolue : elles démarrent par les lobes avant, d’un côté ou des deux, et s’y cantonnent ou au contraire envahissent le poumon jusqu’aux deux tiers, avec cette fois une mort rapide. (photos 2 et 3)
La zone lésée, au lieu de s’affaisser sous les doigts, est dense au toucher, comme du foie : d’où le terme « hépatisation ». En cas de doute, le test du flottage est très simple. Un morceau est coupé dans la zone suspecte, et un autre dans la pointe arrière, toujours épargnée. Ce dernier, jeté dans un seau d’eau, rebondit à la surface et flotte très haut sur l’eau, comme une éponge sèche : le poumon normal est rempli d’air. Au contraire, le lobe touché va soit couler à pic (atteinte franche), soit remonter à la surface mais flotter bas, comme le glaçon dans un verre d’apéritif (lésion plus partielle).
Le stade ultérieur, « poumon collé », débute rarement avant trois semaines, et peut ensuite se développer à tout stade de la croissance, puis à l’âge adulte. Ce sera soit une surprise à l’abattoir, avec saisie partielle ou totale d’un agneau apparemment sans histoire ; soit un amaigrissement plus ou moins rapide, et cette fois une toux grasse est possible (mais pas automatique !). Les traitements de toutes sortes n’entraîneront qu’une amélioration de courte durée : on pourra en profiter pour réformer, mais la saisie est alors probable. (photos 4 et 5)
Attention cependant, des fausses pistes existent lors de l’autopsie. En théorie, un poumon sain doit être rose et souple (photo 6). Dans la pratique, il est courant qu’un poumon soit foncé ou noir sans qu’il s’agisse de pneumonie. Si l’agneau a agonisé un certain temps, le sang s’est accumulé, soit sous forme de traces entre les côtes (photo 7), soit dans tout le poumon du dessous, s’il est resté couché longtemps sur le même côté… (photo 8) Dans tous ces cas, le poumon n’est pas ferme au toucher, et ne coule pas dans le seau d’eau. Il faut chercher la cause de la mort ailleurs…
Soigner l’ambiance du bâtiment en cas de problèmes répétés
Certains élevages souffrent de problèmes pulmonaires au-delà du seuil plancher des 1 ou 2 % de mortalité dus aux aléas, et notamment des « tasses »… Pour le cerner avec précision, deux outils : les autopsies en ferme, à condition qu’elles soient systématiques (car sur les seuls symptômes, le risque d’erreur est trop important, et un éleveur échaudé par quelques cas risque fort de surjouer le problème par la suite) ; et le taux de saisies en abattoir pour « pleuropneumonies », s’il dépasse régulièrement le 1 % par exemple.
Pour le résoudre, ensuite, deux pistes : le bâtiment et ses paramètres d’ambiance en premier lieu et la recherche de « pasteurelles » en parallèle ou en seconde intention.
La ventilation du bâtiment joue un rôle essentiel sur le développement des maladies infectieuses avec trois facteurs : la régulation de la température, l’évacuation de l’humidité et celle des gaz toxiques tels que l’ammoniac par exemple. Des températures élevées associées à l’humidité favorisent ainsi les maladies pulmonaires. Un diagnostic d’ambiance permet d’avoir une situation précise du bon fonctionnement de la ventilation de la bergerie. Le diagnostic est réalisé pour 200 à 400 euros par des techniciens spécialisés, chambre d’agriculture ou GDS, dont il faut solliciter l’expertise sans hésiter, plutôt que de travailler au doigt mouillé… (photo 9) On peut aussi se référer à la brochure Des agneaux en bonne santé : bonnes pratiques d’élevage et bergerie adaptée réalisée par l’Institut de l’Élevage.
Historiquement, les problèmes concernaient la moitié sud de la France. Tandis que le nord aménageait des toits, des trois faces, ou des hangars conçus pour être polyvalents, les bergers du sud et de montagne s’escrimaient dans des caves voûtées fleurant bon la sueur et l’ammoniac, paradis des pasteurelles et des rétrovirus. Même les bergeries modernes y étaient trop calfeutrées, avec l’obsession de tenir les bêtes au chaud.
Actuellement, le problème toucherait plutôt les méga-bâtiments, conçus pour la mécanisation, mais souvent trop larges, trop carrés, trop hauts, où l’air froid stagne et retombe finalement sur les animaux. Il sera toujours plus facile de bien ventiler deux bâtiments de 400 ou 500 mètres carrés et d’une quinzaine de mètres de largeur, qu’un seul du double… Affaire de choix.
Chercher les pasteurelles et les combattre
Rien de plus banal que d’isoler une pasteurelle à partir d’un poumon lésé : elles y sont omniprésentes, de même que certaines formes de mycoplasmes dits mineurs. La recherche bactériologique devient intéressante en cas d’épidémie : là, les cas explosent, avec forte fièvre, congestion intense, essoufflement marqué et mortalité rapide des premiers touchés. Ces épisodes sont vite dramatiques, mais heureusement assez rares.
Les lésions sont analogues à celles des pneumonies aléatoires, avec une congestion très marquée (photo 10, 11 et 12). La bactériologie permet alors de savoir s’il s’agit d’une « vraie » Pasteurella, dite trehalosi ou multocida ; ou d’une Mannheimia hemolytica, la plus agressive des trois. Un antibiogramme guidera le vétérinaire si l’antibiotique de première intention a échoué. Si la Mannheimia s’incruste dans la durée, un vaccin spécifique peut être conseillé pour la ou les deux campagnes suivantes. Il est peu usité chez les allaitants, un peu plus par les laitiers, sans que le rapport coût/bénéfice ne soit facile à apprécier, car il n’y a jamais de lots témoins.
De toute manière, face à des problèmes pulmonaires récurrents, il est plus logique de s’attaquer aux problèmes d’ambiance que de surjouer la piste « pasteurelles ».
Le saviez-vous
Les agneaux sans laine sont plus sensibles
Certains types d’agneaux, Charollais, Rouges de l’Ouest ou Bleus du Maine notamment, naissent quasiment dégarnis de laine. De ce fait, ils sont plus sensibles au froid que les types « classiques », et doivent être gérés comme tels. En race pure, et notamment en vente de reproducteurs, un protocole de vaccination contre Mannheimia peut s’avérer judicieux. Plus tard, en phase d’engraissement en bâtiment, avec ambiance confinée ou « courants d’air », il me semble que les types jarreux sont cette fois les plus sensibles.
Vigilance lors des allotements
Lorsque l’on rentre un lot de broutards pour les finir en bergerie, ou dans tous les systèmes d’engraissement avec transport, allotement et concentration d’animaux, le microbisme pulmonaire peut profiter de cet ensemble de stress pour se réveiller… C’est là que les porteurs de lésions simples sur les lobes avant, passés inaperçus jusque-là, risquent de développer une complication de « poumon collé », et de mal finir ; ou qu’une « pasto » agressive peut entraîner une série de mortalités. Ces risques peuvent être gérés par le véto sous forme d’une « métaphylaxie », supplémentation anti-infectieuse de courte durée, six jours par exemple, incorporée sur le concentré. Les associations sulfamides/triméthoprim, à toxicité et délais d’attente réduits, peuvent être alors préférées aux tétracyclines.