Magasins de producteurs
La vente en circuit court valorise les agneaux lourds
En Haute-Marne, Jean-Luc Eymann se distingue avec son élevage spécialisé ovin principalement commercialisé en circuit court.
L’élevage ovin en Haute-Marne est très grandement constitué d’ateliers complémentaires d’une activité céréalière ou bovine. Le département compte en tout 36 000 brebis et 144 exploitations possédant un troupeau ovin de plus de 50 têtes. Les grands bassins de population, tels que Troyes, Dijon ou Nancy, sont relativement éloignés et le temps de trajet, proche d’une heure pour chaque destination, n’incite pas facilement les producteurs à se tourner vers la vente directe ou le circuit court. « Il y a tout de même un peu de vente directe sur le département. Les circuits privilégiés vont être l’approvisionnement en direct de bouchers, de grandes surfaces locales et de quelques points de vente collectifs, décrit Marine Rosselle, conseillère en élevage ovin et bovin à la chambre d’agriculture de la Haute-Marne. Il y a aussi quelques éleveurs qui font de la caissette, mais ça reste anecdotique ». Il faut dire que la coopérative Cobevim, bien implantée dans le département et complètement opérationnelle, prodigue conseils et bonne commercialisation des agneaux aux moutonniers adhérents.
Le mouton comme activité principale et non pas complémentaire
C’est donc un peu à contre-courant que Jean-Luc Eymann a fait évoluer son exploitation. Lors de la reprise de la ferme familiale, dans le petit village de Bay-sur-Aube, en 1980, l’activité était tournée vers les bovins allaitants et les cultures. Jean-Luc conserve l’atelier bovin pendant dix ans avant de l’arrêter définitivement et met en place sa troupe ovine avec 100 brebis. Cinq ans après, son troupeau ovin compte déjà 500 brebis Ile-de-France. Il possède 112 ha de surface agricole utile, dont 75 servent au pâturage, avec moitié de prairies permanentes et moitié de prairies temporaires. Le reste du parcellaire est cultivé pour donner des céréales, du colza et de la luzerne. Il conduit ses agneaux en système mixte herbager – bergerie et les valorise pour les deux tiers en circuit court, vendus à deux magasins de producteurs, Brin de campagne et Multiferm, respectivement installés à Chaumont (Haute-Marne) et à Asnières-lès-Dijon (Côte-d’Or). Multiferm, un projet collectif créé par quatorze producteurs associés, propose un grand choix de viandes et de légumes issus de l’agriculture raisonnée. Brin de campagne a, pour sa part, été créé par trois fermes de productions bovine, porcine et de volailles. Le magasin se fournit aujourd’hui auprès de fermes et de petites entreprises locales en ayant à cœur de garantir des produits de qualité à ses clients. Pour Jean-Luc Eymann, ces principes de qualité du produit sont primordiaux, d’autant qu’il est quasiment le seul fournisseur d’agneaux des magasins. « Même si ceux-ci ne représentent que 3 % des ventes des magasins, c’est un débouché important pour moi et je tiens à proposer des bons produits aux clients », assure-t-il, avant d’enchérir : « Avec les attaques que nous, éleveurs, subissons venant d’associations du type de L214, il faut vraiment que notre viande soit irréprochable et fidélise le consommateur ».
Tourner une contrainte en opportunité
Les agnelages ont lieu pour la majorité en novembre mais les ventes, elles, sont étalées sur toute l’année. « C’est la difficulté de la vente en circuit court, il faut arriver à fournir un nombre d’agneaux limité mais régulièrement », analyse l’éleveur, qui vend également un tiers de sa production au grossiste Bétail champenois. Pour les magasins de producteurs, ce sont entre cinq et huit agneaux qui sont envoyés à l’abattoir chaque semaine, selon la demande, soit environ 420 agneaux par an. Jean-Luc Eymann apprécie la liberté que lui laissent les clients des magasins sur le poids des agneaux à l’abattage. Du fait de l’étalement très long de la production des agneaux, ceux-ci vont avoir un poids variable suivant l’époque où ils seront abattus. Jean-Luc parvient donc à vendre des agneaux lourds, allant parfois jusqu’à 30 kg carcasse, poids impensable en filière longue. En comparaison, les agneaux qu’il fournit au Bétail champenois font en moyenne 20,4 kg carcasse. « En vente directe, le client porte peu d’attention au poids de l’animal ou à la taille des morceaux. Ce qui prime avant tout c’est la qualité gustative du produit, qu’il se démarque de la grande distribution », argumente l’éleveur.
Un effectif bien dimensionné pour répondre à la demande toute l’année
Pour lui, ce fonctionnement avec les magasins de producteurs est très intéressant, « J’apporte les agneaux à l’abattoir de Chaumont et c’est tout ce que je fais ! Les magasins se chargent ensuite de récupérer les carcasses et celles-ci sont découpées sur place, par les bouchers salariés des points de vente », explique-t-il. C’est également lui qui fixe le prix à l’année. En moyenne, le montant du kg de carcasse tourne autour de 6,90 € en circuit court, contre 6,30 € avec le grossiste, alors que le prix moyen sur toute la région Grand Est avoisine les 6,05 € par kg carcasse. Ainsi sur l’année 2016, la SCEA de la Cude, l’exploitation de Jean-Luc Eymann, a permis de dégager un produit d’exploitation de 172 000 € composé à 63 % par la vente des ovins, 12 % par la vente des céréales, colza et luzerne cultivés sur l’exploitation et 25 % par les aides PAC. L’EBE de la SCEA représentait 38 % du produit. Grâce à la vente directe, le revenu est intéressant mais fragilisé par la baisse globale de consommation de viande et par un mois de juillet maussade. Jean-Luc souhaite conserver son effectif tel quel, car il est parvenu à un point d’équilibre et entend bien s’y maintenir.