Corse
Du lait de brebis sur l’île de beauté
Les éleveurs de brebis laitières corses produisent du lait qui sert à produire du brocciu et une multitude de fromages typiques et odorants.
Les éleveurs de brebis laitières corses produisent du lait qui sert à produire du brocciu et une multitude de fromages typiques et odorants.
On ne fait que pas du brocciu avec le riche lait de brebis (et de chèvre) corse. C’est même par essence un coproduit d’autre fabrication fromagère puisqu’il est fabriqué avec le petit-lait. Chauffé à 50 °C, ce lactosérum est mélangé avec 10 à 20 % du lait puis salé. Le brocciu est ensuite récolté à l’aide d’une écumoire et mis à égoutter. En 2019, 300 tonnes de brocciu ont été fabriquées par les laiteries et 37 tonnes par les fermiers. C’est environ 12 % du tonnage des fromages corses qui compte nombre de spécialités comme le Niulincu, Venachese, Calinzanicu, Bastelicacciu ou le Sartinese.
L’idée d’appellations pour protéger ces différents types de fromages a fait long feu. Bien qu’issus de traditions séculaires incontestables, ces fromages n’auraient pas eu une assise économique suffisamment large pour pouvoir vraiment vivre comme appellation fromagère.
Vieillissement des éleveurs ovins
Les 17 laiteries corses ont collecté un peu plus de six millions de litres de lait de brebis en 2019. Mais pour faire face à une demande de fromages en croissance, un peu plus de quatre millions de litres sont venus d’Occitanie. Ce volume de lait provenant d’autres bassins de production a doublé en six ans car les laiteries corses ont développé des marchés et car les producteurs insulaires n’arrivent pas à fournir assez de matière première.
En effet, malgré un marché porteur et rémunérateur et un prix du lait incitatif, la filière souffre d’un vieillissement des éleveurs et d’un faible taux d’installation. Les transmissions ou installations hors cadre familial sont inexistantes du fait de la difficulté d’accès au foncier liée à la spéculation touristique et à l’indivision des propriétés.
Des aides exceptionnelles pendant le confinement
Environ quatre millions de litres sont transformés par les fromagers fermiers. Pendant le confinement, certains éleveurs fromagers se sont retrouvés avec trop de lait sur les bras et les laiteries ont joué le jeu de les collecter pour ne pas qu’elle se retrouve en difficultés. Plus de 200 000 litres, issus de 34 éleveurs fermiers, ont ainsi été collectés chez des fermiers qui ne pouvaient plus transformer autant, faute de débouchés pour leurs fromages.
Contrairement à d’autres régions, l’île de beauté a connu moins de touristes cet été, capables d’absorber la production fromagère. L’Odarc, l’Office du développement agricole et rural de la Corse, a alors mis la main à la poche pour prendre en charge une partie des surstocks. Elle a fait de même en rachetant et congelant plus de 2 000 agneaux et près de 400 cabris au prix moyen de 6 euros et 7,5 euros le kilo.
Vers la reconnaissance de l’agneau de lait
Les professionnels corses travaillent sur un pôle viande petit ruminant regroupant abattoir et atelier de découpe à Vescovato, à une quinzaine de kilomètres au sud de Bastia. « À terme, nous voulons pouvoir y collecter tous les agneaux et cabris, ainsi que les chèvres et les brebis de réforme », explique Matthieu Massiani de l’Interprofession laitière ovine et caprine corse (Ilocc). Si l’étude technico-économique est bien avancée, il reste plusieurs questions à régler dont celle du financement. Même si la Collectivité territoriale Corse apporte un important soutien, le premier abattage d’agneaux ne devrait pas avoir lieu avant trois à quatre ans.
Le temps peut-être de finaliser l’instruction du dossier de l’IGP agneau de lait (« Agnellu di Corsica ») que les professionnels peaufinent en ce moment. « L’indication géographique protégée permettra de protéger le nom tout en essayant d’apporter valorisation supplémentaire », espère Matthieu Massiani en précisant que les agneaux abattus devront être de race Corse et nés et élevés en Corse. Le cahier des charges devrait préciser que ces agneaux de 45 jours maximums n’auront que tété au pis et auront un poids carcasse de 5,5 à 7 kilos.
Un sérieux coup de main sur l’achat de matériel
Marqueur de l’identité de l’île, l’élevage ovin laitier profite d’un important soutien de la collectivité territoriale. Les éleveurs de chèvres et de brebis corses bénéficient ainsi d’achats groupés de matériel cofinancé à 80 % par l’Odarc, l’Office du développement agricole et rural de la Corse. Depuis 2017, les machines à traire, tank à lait, silos et vis d’alimentation peuvent être subventionnés en remplissant un dossier auprès de l’Ilocc. Une centaine de machines à traire et environ 150 tanks à lait ont ainsi été installés depuis trois ans. « En remplaçant du matériel obsolète ou sous-dimensionné, les éleveurs ont pu améliorer leur condition de travail ou la qualité du lait, apprécie Matthieu Massiani de l’Ilocc. Certains trayaient encore au pot de traite voir à la main. En ne passant plus qu’une heure à la traite matin et soir, contre trois heures auparavant, ça dégage du temps pour faire autre chose et ça a un vrai impact sur la qualité de vie. » Une cinquantaine de fromagers fermiers producteurs de brocciu ont également pu profiter des achats groupés de lave-vaisselle, tables d’égouttage, machines à vide, thermoscelleuse ou réchaud à gaz.
Le renouveau du Brocciu
Depuis son redémarrage en 2011, le syndicat de l’AOP Brocciu multiplie les démarches pour faire connaître et reconnaître le fromage de lactosérum traditionnel corse. « Le syndicat ne faisait plus grand chose tant au niveau des contrôles que de la communication ou de l’animation, explique Olivia Vanni de l’AOP Brocciu. L’Inao nous avait alertés et il a fallu redonner de la confiance entre les producteurs et leur signe de qualité. » Aujourd’hui, l’appellation regroupe 130 éleveurs fermiers (de chèvre ou de brebis), 280 livreurs de lait et 16 laiteries. Animé par l’Ilocc, le syndicat a travaillé la communication en créant par exemple un livret de recette. « Le brocciu se consomme nature ou légèrement sucré mais il se prête aussi très bien à la cuisine, pour faire des cannelloni, du fiadone ou en omelette », apprécie Olivia Vanni.
Un cahier des charges pour intégrer le lait de deux jours
Un petit livret de recettes a été édité et ces recettes se retrouvent également sur le site internet aop-brocciu.com, en ligne depuis 2018, ou sur les réseaux sociaux Facebook ou Instagram. Le syndicat promeut aussi le brocciu en participant au salon de l’agriculture, à la semaine du goût ou au salon Arte gusto.
Le syndicat travaille aussi à la révision de son cahier des charges. Il veut notamment transformer l’actuelle limite maximale de 20 % des aliments achetés provenant hors de la zone en une limite minimale de 70 % d’aliment (y compris le pâturage et les parcours) provenant de la zone. Les producteurs de brocciu aimeraient aussi pouvoir fabriquer avec du lait de deux jours. Cela intéresserait autant les fromagers fermiers, qui sont de plus en plus nombreux à ne cailler qu’un jour deux, que certaines laiteries qui ne collectent pas le dimanche. « Mais pour rendre éligible les broccius du lundi, nous devons justifier que la qualité n’est pas altérée ».