Organisation et autonomie, les clés de la réussite au Gaec de La chèvre de Russilly
Les trois associés du Gaec de La chèvre de Russilly en Saône-et-Loire ont réussi à concilier leurs différents objectifs pour créer un outil de travail qui leur convient et atteindre une autonomie alimentaire complète.
Les trois associés du Gaec de La chèvre de Russilly en Saône-et-Loire ont réussi à concilier leurs différents objectifs pour créer un outil de travail qui leur convient et atteindre une autonomie alimentaire complète.
Pour accéder au Gaec de La chèvre de Russilly, il faut laisser derrière soi la plaine de Chalon et gravir les coteaux de Givry, en Saône-et-Loire. Philibert Gonot, Laurent Descombin et Lucie Zins y élèvent 120 chèvres produisant 80 000 litres de lait, intégralement transformés à la ferme. Une vingtaine de charolaises partagent les surfaces avec le troupeau caprin. L’exploitation s’étend sur 80 hectares, dont 20 en parcours sur une zone Natura 2000, permettant de produire fourrages et concentrés en autonomie depuis cette année.
Philibert a repris l’exploitation en 1995 à la suite de ses parents. L’atelier caprin avait été créé en 1962 : « c’est assez courant dans la région cette association vigne-chèvres », explique Philibert. Il est rejoint en 2011 par son neveu, Laurent. Le troupeau s’agrandit alors et passe de 65 à 100 chèvres. Arrivée il y a deux ans, Lucie s’est associée après son apprentissage (deux ans de CAP et deux de BPREA) et une année de parrainage : cinq années effectuées à La chèvre de Russilly.
Autonomie alimentaire en fourrages et concentrés depuis cette année
« Après quatre années passées à travailler tous les trois, nous ne nous voyions plus, Philibert et moi, retravailler seuls. Nous avons donc tout naturellement proposé à Lucie de s’associer avec nous », se rappelle Laurent. Originaire de Lorraine et non issue du milieu agricole, la jeune femme a adopté la région et apprécie le changement : « ce n’est pas pareil d’être associée, on ne voit pas tous les aspects de la gestion d’une exploitation en tant qu’apprentie. Aujourd’hui, je suis à l’aise dans les prises de décision et ai apporté certaines évolutions, dans la fromagerie notamment. Le changement de posture s’est fait en douceur ».
De 500 à 750 litres de lait par chèvre en dix ans
Et si chacun a son domaine de prédilection sur l’exploitation, tous peuvent se remplacer, ce qui permet de bien organiser les week-ends et les congés. « Aujourd’hui, des mises bas jusqu’à la mise à l’herbe des vaches, nous travaillons à deux le week-end. Puis jusque mi-juillet, un associé est de permanence, avec un d’astreinte le samedi matin et disponible en cas de besoin, le troisième en repos. Le reste de l’année, nous travaillons seul un week-end sur trois. Et nous prenons une semaine de congés chacun en été et en hiver. C’est l’avantage d’être à trois et qu’aucun de nos conjoints ne travaille sur l’exploitation. »
Au fil des ans, ils ont créé l’outil de travail optimal pour atteindre leurs objectifs à la fois économiques et organisationnels avec un minimum d'astreintes. À l’arrivée de Laurent en 2011, le Gaec a investi dans une nouvelle chèvrerie, lumineuse et bien ventilée. L’hiver dernier, les associés ont profité de la pause hivernale pour construire un nouveau bâtiment comprenant une nurserie, un espace de stockage du fourrage et des cellules pour le méteil grain et les céréales, avec un aplatisseur pour fabriquer le concentré maison, un investissement de 170 000 euros.
Le travail de sélection et de suivi des animaux est couronné de succès, la production par chèvre est passée de 500 à 750 litres de lait en moins de dix ans. L’élevage est suivi au contrôle laitier et l’objectif est d’atteindre 800 kilos par chèvre dans ce système pâturant.
« La pause hivernale dans la lactation nous permet de nous consacrer aux travaux, mais aussi de désinfecter la fromagerie à fond et de déparasiter les chèvres correctement. Et ce n’est pas un inconvénient côté commercialisation, nous l’expliquons tout simplement à nos clients. »
Complémentarité bovins-caprins pour valoriser les fourrages
Même si l’exploitation est dans une région viticole, la pression foncière est limitée car elle se situe au-delà de la zone d’appellation AOC de la Côte châlonnaise. Les 80 hectares de SAU sont groupés, avec des terrains plutôt séchants. 25 hectares sont labourables et cultivés en céréales (10 ha), luzerne (12 ha) et le reste en ray-grass et méteil grain. Un peu de sorgho en dérobée est également produit pour les vaches allaitantes. 35 hectares de prairies naturelles et 21 hectares de parcours communaux en zone Natura 2 000 sont à disposition des vaches et des chèvres. Sur ces pelouses calcaires, orchidées sauvages et ellébores sont notamment préservés. « Les deux troupeaux se complètent bien : les vaches permettent de valoriser les refus des chèvres, mais aussi de baisser la pression parasitaire. Elles pâturent systématiquement derrière les chèvres, avec au final un coût d’engraissement très faible. » Les mâles sont vendus au sevrage et les femelles engraissées et commercialisées en label rouge.
Le concentré maison est autoproduit : un mélange de méteil grain (triticale, avoine, pois fourrager, féverole), recoupé avec du triticale pur en fonction de la période et du stade de lactation. « Depuis cette année, nous n’achetons plus de correcteur azoté », annoncent fièrement Lucie, Laurent et Philibert.
« Notre objectif maintenant est de produire avec zéro intrant sur l’ensemble des cultures. Et nous souhaitons disposer d’une vingtaine d’hectares supplémentaires pour consolider l’autonomie alimentaire des chèvres et celle des vaches, y compris sur la paille que nous achetons pour partie en andains dans la plaine aujourd’hui. Et côté élevage, nous limitons les traitements, notamment liés au parasitisme grâce au parcours et aux plantes à tannins », concluent les trois jeunes associés.
Coûts de production de l’atelier caprin du Gaec de La chèvre de Russilly en 2019
La rémunération permise par l’atelier caprin est évaluée pour 2019 à 2,3 Smic/UMO, avec une productivité de la main-d’œuvre à 28 074 litres/UMO.
Chiffres-clés
3 associés et 1 apprenti
120 chèvres en lactation
80 000 l de lait produits et transformés
20 vaches allaitantes
80 ha dont 21 de parcours
" Une production bien valorisée dans un système optimisé "
« Les associés du Gaec de La chèvre de Russilly sont très complémentaires et c’est une de leurs forces. En passant d’un à deux puis trois associés en dix ans, avec une augmentation du nombre de chèvres et de la production par chèvre, l’exploitation est dans une belle dynamique. Le facteur humain est souvent sous-estimé dans le bon fonctionnement des exploitations et il est important de communiquer, ce que parviennent bien à faire Philibert, Laurent et Lucie.
Le travail génétique, l’autonomie alimentaire, la présence d’un petit troupeau de vaches allaitantes pour optimiser les surfaces fourragères… conduisent à des coûts de production réduits, avec des charges de mécanisation, qui peuvent paraître assez élevées, mais sont nécessaires dans ce système autonome pour garantir une chaîne de récolte des fourrages efficace. Et en cumulé, le coût alimentaire est très bas.
Depuis deux ans, ils ont également développé l’autonomie protéique avec des méteils grains. La possibilité de pâturer sur plusieurs hectares de parcours et la récolte de luzerne sont aussi des atouts pour l’exploitation.
En parallèle de ce travail sur les charges, la valorisation du lait a bien progressé, à 2,30 euros le litre, grâce à plusieurs nouveaux débouchés et le développement de fromages correspondant aux attentes des clients.
La gestion du temps de travail au printemps lors du pic de lactation est un point de vigilance. »
« Nous ne mettons pas tous nos œufs dans le même panier »
Collèges et lycées, magasins fermiers, restaurants et épiceries, un marché et la vente à la ferme… les associés du Gaec de La chèvre de Russilly ont su diversifier et sécuriser leurs débouchés.
Le Gaec de La chèvre de Russilly a la chance d’être situé dans un bassin de population important, à proximité de Chalon-sur-Saône et sur la route des vins.
Avec un troupeau saisonné, en complément des crottins de 180 grammes en frais, d’une spécialité de l’exploitation — le Russilly —, des bûches et d’un bouton, le Gaec propose des faisselles et une tomme. « Le pic de lactation est important sur notre exploitation, nous avons donc décidé de travailler une tomme. Il nous a fallu trois ans pour la mettre au point, mais cela permet de faire un peu de fromage de report », exposent Lucie, Laurent et Philibert.
La valorisation du lait s’est fortement améliorée ces dernières années : « cela est passé par l’augmentation du prix, qui était un peu bas par rapport au marché, et par le travail technique et génétique. En améliorant les taux, cela se traduit dans le rendement fromager ».
Chaque enfant repart avec un fromage
Le Gaec a aussi travaillé sa communication : « vendre des fromages est un travail sans fin », sourit Philibert. Et les idées ne manquent pas ! « Être sur la route des vins et au départ de circuits de randonnées est un plus, reconnaissent les associés. Répertoriés sur les sites Bienvenue à la ferme et l’office du tourisme de Chalon-sur-Saône, nous avons organisé des randonnées estivales. Cela attire du monde. Nous recevons aussi un peu de scolaires, et chaque enfant repart avec un fromage. Nous avions aussi l’habitude [interrompue par la crise sanitaire] d’organiser une porte ouverte au printemps pour lancer la saison. »
La restauration scolaire fait aussi partie des clients depuis quelques années. « Le syndicat caprin avait organisé dans les collèges La quinzaine du fromage de chèvre. À la suite de cela, nous avons poursuivi la collaboration avec certains d’entre eux. Aujourd’hui, nous travaillons régulièrement avec une vingtaine d’établissements scolaires. Le format bûche leur plaît, c’est facile pour faire des portions individuelles », précise Philibert.