Nutrition : La fibre est bonne pour les reproducteurs Gallus chair
En incorporant massivement de la paille broyée dans la ration des reproducteurs, le fabricant d’aliments Le Men procure de meilleures conditions d’élevage aux coqs et poules Hubbard.
En incorporant massivement de la paille broyée dans la ration des reproducteurs, le fabricant d’aliments Le Men procure de meilleures conditions d’élevage aux coqs et poules Hubbard.
Depuis quelques mois, le sélectionneur Hubbard a progressivement mis une nouvelle stratégie alimentaire pour ses lignées mâles de reproducteurs Gallus chair, en collaboration avec le fabricant d’aliments Le Men (22). En rassasiant mieux les animaux, cet aliment plus fibreux a changé leur comportement, amélioré leur bien-être et leurs performances.
« L’origine des problèmes était avant tout nutritionnelle », constatait fin juin Pascal Renault, l’ex-responsable technique chez Le Men (remplacé depuis par Anaïs Fabre). « La sélection génétique est allée plus vite que la nutrition, qui a eu du mal à s’adapter à ces évolutions rapides. » C’est d’autant plus vrai que les lignées Hubbard à croissance rapide sont désormais sélectionnées aux États-Unis dans un contexte alimentaire très différent de la France. Habituellement basées sur une concentration en énergie de l’ordre de 2700-2800 kcal/kg et sur 14-15 % de protéines brutes, les formules françaises n’étaient plus adaptées. Les solutions de rattrapage ne l’étaient pas plus.Ajouter de la paille pour mieux rassasier
Établi dès 2015, ce diagnostic avait dans un premier temps débouché sur une formulation d’aliment « haute énergie-basse protéine », qui avait résolu une partie des problèmes. Mais pour Philippe Berthelot, technicien sélection d’Hubbard en France, il fallait aller plus loin, en essayant d’allonger la durée des repas distribués deux fois par jour sur les poules en ponte.
L’objectif était d’occuper les volailles et de limiter les comportements agressifs qui découlaient de la limitation de l’aliment. « Nous y avons travaillé pendant deux ans. Les idées et les constats des éleveurs nous ont été précieux pour trouver la solution. »
L’essai a été réitéré pendant deux mois chez un autre producteur d’œufs ayant un lot altéré. « Les poules ont mangé jusqu’à 60 g de bouchon par jour, soit 40 tonnes qui ont été distribuées à la main. Elles ont retrouvé un comportement et un emplumement normal. »
Pour Philippe Berthelot, il ne fait aucun doute que c’est lié à l’effet rassasiant de la fibre. « On a même distribué du bouchon avant l’aliment, afin de caler les poules les plus gourmandes, et ça a marché. »
D’autres avantages ont été mis en évidence, comme l’arrêt de la limitation d’eau qui était pratiqué pour ne pas dégrader l’état des litières. « Les fibres de paille améliorent la rétention d’eau. En revanche, nous n’avons pas assez investigué par savoir si la digestibilité des nutriments est améliorée. »
Incorporer la paille dans l’aliment
L’ingestion de paille ayant fait ses preuves, l’étape finale a été son intégration dans l’aliment, afin de soulager et de simplifier le travail de l’éleveur. De plus, la thermisation de l’aliment à l’usine Le Men de Saint Brandan (22) apporte une garantie sanitaire supplémentaire.
La formulation est calculée sur les matières « nobles », en postulant que la paille n’a aucune valeur nutritionnelle. Les quantités de paille et d’aliment varient selon l’âge et la souche. Pour une ration quotidienne de 250 g, la quantité de paille peut atteindre 60 g, soit le quart de la ration. L’aliment obtenu garde la présentation habituelle en farine.
L’apport d’aliment fibreux a commencé l’an dernier sur les jeunes grands parentaux (GP) et grands-grands parentaux (GGP) des lignées mâles M77 et M99. Avec des poules moins lourdes, le sélectionneur a retrouvé des animaux « avec un comportement qui fait plaisir à observer ».
L’homogénéité se maintient ; les mortalités sont fortement réduites ; le sélectionneur a retrouvé des calibres d’œufs exploitables et obtient plus d’œufs à couver avec une meilleure éclosabilité et de qualité. « Nous ne voyons que des effets positifs à ces évolutions alimentaires, si ce n’est la hausse du coût alimentaire, indique Gaétan Rocaboy, directeur de la production Hubbard. Mais, il est largement compensé par une meilleure productivité et surtout par une meilleure prédictibilité des performances. »
À terme, le sélectionneur nourrira tous ses cheptels ainsi, y compris les souches premium à croissance intermédiaire. « Cette technique pourrait aussi profiter aux éleveurs multiplicateurs de parentaux confrontés aux mêmes difficultés, complète Gaétan Rocaboy. Il est encore trop tôt pour affirmer que cette nouvelle approche nutritionnelle améliorera la qualité des poussins commerciaux, mais ce critère de première importance est en cours d’analyse. »
Aliment basse protéine et haute énergie
La première modification alimentaire apportée par les Ets Le Men a consisté à retravailler la formulation, en visant la satisfaction du besoin d’ingestion des animaux, de l’ordre de 200 g/jour pour une femelle. Connaissant les besoins quotidiens réels en protéines et énergie, il a été possible de redéfinir une formule. « Nous avons abaissé le taux de protéines, résume Pascal Renault, ce qui a permis de se passer du soja, et nous avons augmenté le niveau d’énergie. » Résultat, le sélectionneur Hubbard améliore son bilan carbone, a résolu ses problèmes d’envolées de prise de poids et mieux maîtrisé l’emplumement. Mieux nourris, les coqs ont gagné en viabilité et les poules en ponte.
Une pratique alimentaire inadaptée
En sélection de poulets de chair à croissance rapide, surtout dans les lignées mâles les plus lourdes, la prise de poids trop importante des reproducteurs au comportement boulimique pose de nombreux problèmes de ponte et de viabilité.
Les désordres sont variés et compliqués à corriger : poules et coqs trop lourds ayant plus de dépenses d’entretien donc le besoin de manger plus, coqs moins actifs et moins fertiles, poules fuyant les mâles et pondant moins, œufs trop gros (plus de 70 g) avec des coquilles trop fragiles et difficiles à incuber.
Pour les atténuer, on limite habituellement les quantités ingérées dès le jeune âge, ce qui traduit par de la compétition pour accéder à l’aliment, une hétérogénéité des animaux, des durées de consommation courtes entraînant du nervosisme, des pontes au sol importantes, un emplumement des poules qui se dégrade, de la surmortalité.
Au final, le bien-être des volailles et les performances globales de reproduction se dégradent fortement.
Finie la chasse au surpoids des repros
Chez Nathalie et Noël Hervouin, la première bande de 8 000 poules et 800 coqs nourrie entièrement avec le nouvel aliment fibreux, a été mise en place au mois de janvier.
Moins d’agressivité générale
Avec l’aliment fibreux, les durées de consommation d’un repas sont passées de 30 minutes à 3 heures (compter de 15-20 minutes à 1 h 15 en phase d’élevage). On ne parle plus de rationnement alimentaire et hydrique. « Le comportement général des poules change totalement, ajoute Philippe Berthelot, le technicien sélection. Elles sont plus calmes et pondent moins au sol. Avant, elles préféraient attendre l’aliment devant les chaînes plates, plutôt que d’aller au nid. »
« À 50 semaines d’âge, les poules sont encore très bien emplumées et elles en paraissent 35 », complète Didier Chevance, d’un œil avisé. Cette usure est naturellement provoquée par les cochages répétés. Quant aux coqs pesant un peu moins de 5 kg à cet âge (guère plus que les poules), ils sont dans une forme olympique, avec une belle crête et de beaux barbillons, un bréchet sans excès de muscle et des aplombs solides. « Un coq fertile et qui coche bien est un coq maigre", affirme le technicien. Il souligne également l’aspect moulé des fientes et la litière de copeaux qui s’est compostée naturellement en un substrat bien sec. « Ça fait longtemps qu’on n’avait pas vu cela. C’est un plaisir d’élever des animaux dans de telles conditions. »