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« Notre exploitation laitière a des atouts pour séduire des jeunes »

Au Gaec Coiplis, dans l’Orne, Bruno et Dominique Leliard misent sur leur système simple, rentable, permettant de dégager du temps libre et un montant de reprise raisonnable pour assurer la relève.

Bruno et Dominique Leliard sont installés dans la commune des Rives-d’Andaine, dans le bocage ornais. Proches de la soixantaine, les deux frères commencent à poser des jalons pour trouver de futurs repreneurs. « Dominique à 59 ans et moi 57 ans. Nous avons décidé de partir en même temps d’ici trois ou quatre ans », relate Bruno. Les trois enfants de Bruno ayant choisi une autre voie professionnelle, la ferme sera transmise à des tiers. « Nous sommes en contact avec un jeune couple intéressé par notre exploitation », avance-t-il prudemment.

L’exploitation devrait susciter de l’intérêt chez les jeunes attirés par les systèmes pâturants. D’autant que les éleveurs ont fait en sorte de concilier performance économique et temps libre. « Notre but est de dégager un revenu correct sans forcément s’agrandir. Nous travaillons pour vivre et non l’inverse. Nous avons fait en sorte de nous rapprocher des autres catégories socio-professionnelles », expliquent-ils.

« Les jeunes que nous rencontrons veulent souvent s’agrandir. Je crains qu’ils se retrouvent vite en surcharge de travail. Si vous êtes toujours à la bourre, vous n’avez plus de plaisir à faire votre travail », souligne Bruno. Les associés prennent un week-end sur deux à partir du samedi matin 9 h jusqu’au lundi matin. Ils font également en sorte d’avoir des activités en dehors de l’exploitation. Bruno part généralement une semaine au ski et prend quinze jours de vacances en été.

87 hectares groupés autour de l’exploitation

L’efficacité économique du système mis en place est également un atout. « Le gros point fort du Gaec est la maîtrise du coût de production, grâce à la valorisation du pâturage et à un recours modéré aux concentrés (931 kg/VL/an - 117 g/l de lait) », commente Vincent Roussel, conseiller au Cerfrance Orne. Sur l'exercice, les éleveurs ont acheté 67 tonnes d’aliments pour l’atelier lait, dont 30 tonnes de tourteau de colza et le reste à parts égales entre du tourteau tanné et une VL 3 litres.

« Cette année, nous avons mis les vaches dehors le 3 mars. Avec le changement climatique, nous les sortons de plus en plus tôt. Cela les perturbe un peu. Mais nous préférons les sortir le plus tôt possible pour valoriser au maximum l’herbe, quitte à pénaliser un peu les résultats de repro durant cette phase de transition. Il faut trouver le bon compromis. » La région bocagère et le parcellaire de l’exploitation se prêtent particulièrement bien au pâturage. « Nous avons 87 hectares groupés autour de l’exploitation. C’est un atout pour des candidats à la reprise. »

Le silo de maïs n’est jamais fermé

Vingt hectares sont accessibles aux vaches. Les parcelles de deux hectares en moyenne sont redivisées à l’aide d’un fil avant, voire avec un fil arrière quand elles sont plus grandes. « L’utilisation d’un fil facilite la fauche des parcelles quand elles sont débrayées. » Les producteurs ont recours au topping pour gérer l’épiaison et assurer une bonne dynamique de pousse de l’herbe. Les prairies sont à base d’un mélange de plusieurs variétés de RGA-trèfle blanc complétées parfois par de la fétuque élevée. Le mélange est semé à 30 kg/ha.

Le silo de maïs n’est jamais fermé. « Nous préférons distribuer au minimum 5 kg MS par vache pour éviter le surpâturage, notamment en période sèche, et maintenir le niveau de production des vaches. » En début de saison, les éleveurs distribuent un peu de paille si nécessaire pour apporter de la fibre. Et quand l’herbe vient à manquer, ils complètent l’apport d’ensilage de maïs avec de l’ensilage d’herbe ou de l’enrubannage.

La ration hivernale se compose d’ensilage de maïs (55 %) et d’ensilage d’herbe (45 %). Les fourrages sont complétés par deux kilos de tourteau de colza. Les vaches à plus de 30 kg de lait (26 kg pour les primipares) reçoivent jusqu’à 2 kg de tourteau tanné et autant de VL 3 litres au DAC.

La luzerne fait son retour dans l’assolement

La luzerne va être réintégrée dans l’assolement pour améliorer l’autonomie en protéines. « Nous avons fait de la luzerne pendant une quinzaine d’années. Puis nous avons arrêté pendant deux ans parce que nous n’avions plus de parcelles adaptées », précise l’éleveur. Six hectares vont être implantés fin août-début septembre sur une parcelle très bien exposée. Selon les années, quatre ou cinq coupes sont réalisées avec un rendement total d’environ 7 à 8 t MS/ha. Les deux premières coupes sont récoltées en ensilage. Les suivantes en foin ou enrubannage. « La récolte de la luzerne est délicate. Comme l’herbe, elle a parfois tendance à coller dans la goulotte de l’ensileuse quand elle est riche en sucres. » La difficulté de conserver les feuilles de la luzerne récoltée en foin est également citée par les éleveurs. Suivant leur logique de recherche d’autonomie protéique, les deux frères vont implanter six hectares et demi de trèfle violet destinés à la fauche.

Pas de normandisation du troupeau Holstein

Côté troupeau, la prim’Holstein est la race de prédilection dans l’élevage. « Nous avons encore quelques brunes. Ce sont des vaches très dociles. Le problème, c’est la valorisation des veaux mâles. » Ce choix pourrait surprendre dans un secteur en plein cœur d’AOP fromagères normandes, où la race normande est de plus en plus incontournable. Mais Bruno et Dominique ont écarté l’option normandisation. « Cela aurait nécessité d’augmenter la taille du troupeau pour produire notre référence. Il aurait fallu agrandir notre stabulation, la fosse à lisier et la fumière. »

Leur laiterie ne valorisant pas les laits différenciés, le retour sur investissement était très hypothétique. Les établissements Fléchard, qui collectent le lait du Gaec, ont pourtant racheté la fromagerie Gillot, spécialisée dans la fabrication de fromages AOP. Mais le cahier des charges des deux entités est diamétralement opposé, indique Bruno. Les laits non OGM ou issus d’un système pâturant ne sont pas encouragés financièrement par la laiterie.

Un effort sur le montant de la reprise

Au final, le Gaec a perçu 361 €/1 000 l lors de la campagne 2020-2021, grâce à une plus-value de 30 €/1 000 l liée aux taux (45,1 de TB et 33,5 de TP) et à la qualité sanitaire du lait (6,84 €/1 000 l). En mars dernier, le prix de base était de 405 €/1 000 l pour le volume A et de 446 €/1 000 l pour le volume B. En avril, le prix de base a augmenté à 426 €/1 000 l.

 

 
Le dernier lot de 18 bœufs partira en 2023. Puis cet atelier sera arrêté pour simplifier le travail, se focaliser encore plus sur le lait et renouveler certaines prairies libérées.
Le dernier lot de 18 bœufs partira en 2023. Puis cet atelier sera arrêté pour simplifier le travail, se focaliser encore plus sur le lait et renouveler certaines prairies libérées. © F. Mechekour

 

Sur l’élevage, le produit viande n’est pas négligé. « Le prix des vaches de réforme est élevé depuis plusieurs mois. En janvier, nos réformes sont parties à 4,30 €/kg de carcasse. Et depuis, les cours ont encore augmenté. Nous finissons nos vaches car c’est rentable lorsque le prix est assez élevé. » En octobre dernier, les dix-huit bœufs âgés de moins de 30 mois valorisés dans la filière « Bœuf de nos régions » (SVA Jean Rozé) ont été vendus 4,37 €/kg de carcasse en moyenne. Par ailleurs, le croisement avec du Blanc bleu belge est pratiqué sur les vaches dont ils ne veulent pas garder la descendance ou qui sont à la troisième insémination. Environ 10 % des vaches sont concernées chaque année.

Les atouts du système mis en place sont donc nombreux. Mais il reste encore un élément déterminant : le montant de la reprise. Il sera évalué en septembre. « Compte tenu de leur stratégie d’investissement et de leur volonté de transmettre leur exploitation, le montant du capital à reprendre devrait être raisonnable, estime Vincent Roussel. On peut l’estimer autour de quatre à cinq fois l’EBE, soit entre 520 000 et 650 000 euros. »

Chiffres clés

SAU 98 ha dont 23 ha de maïs et 68 ha de prairies et 7 ha de blé
Cheptel 72 prim’Holstein à 8 000 l de lait brut, 11 bœufs vendus par an (arrêt de l’atelier en 2022)
Référence 580 000 l de lait
Poulailler de 1 130 m² de surface utile : production de dindes et dindons
Chargement 1,30 UGB/ha de SFP
Main-d’œuvre 2 UTH

Avis d’expert : Vincent Roussel, Cerfrance Orne

« Un système rentable et peu chronophage »

 

 
Vincent Roussel, Cerfrance Orne. « Le système est rentable et peu chronophage. »
Vincent Roussel, Cerfrance Orne. « Le système est rentable et peu chronophage. » © F. Mechekour
« Bruno et Dominique Leliard font en sorte que leur exploitation suscite de l’intérêt chez des jeunes attirés par un système pâturant et pas trop chronophage. Ils ont acheté du foncier (67 ha en propriété sur les 97 ha), parfois par obligation, mais aussi pour sécuriser la transmission de leur exploitation. Cela évitera aux futurs repreneurs d’être confrontés à un éventuel refus d’un propriétaire de leur louer ses terres. Leurs investissements sont prudents et bien ciblés. Ils ont investi dans une nouvelle salle de traite en 2015 pour améliorer le confort de travail. Ils aménagent le bâtiment volaille pour répondre au cahier des charges Blanc bleu cœur, et avoir un outil fonctionnel et reprenable. »

 

L’atelier volailles complète bien le système mis en place

Bruno et Dominique ont continué la production de dindes et dindons déjà présente à l’époque de leurs parents, car elle permet de dégager un complément de revenu. Et les fientes sont valorisées sur les cultures.

 

 
Atelier dinde. Le Gaec va construire « un jardin d’hiver » de 420 m2. L’investissement de près de 90 000 € bénéficie d’une aide de 26 000 € dans le cadre de la mesure pacte biosécurité et bien-être animal.
Atelier dinde. Le Gaec va construire « un jardin d’hiver » de 420 m2. L’investissement de près de 90 000 € bénéficie d’une aide de 26 000 € dans le cadre de la mesure pacte biosécurité et bien-être animal. © F. Mechekour

 

Si Dominique préfère assurer la traite matin et soir plutôt que de s’occuper de cet atelier, de son côté, Bruno s’en accommode plutôt bien. Il met en avant son intérêt économique. « Quand vous calculez le revenu dégagé par rapport au temps de travail, quinze à vingt minutes matin et soir en l’absence de problèmes et hors enlèvement des animaux et nettoyage, aujourd’hui il vaut mieux faire de la volaille, même industrielle, que du lait », constate-t-il.

« Au Gaec Coiplis, l’atelier volailles représente près de la moitié du produit. Mais il pèse beaucoup moins dans la marge. Elle a été de 40 000 euros pour les dindes contre 178 000 euros de marge totale sur la surface fourragère lors de cet exercice », précise Vincent Roussel, conseiller au Cerfrance Orne.

Un tuilage pour aider les futurs installés

Convaincus de l’intérêt de continuer cette production, les deux frères viennent d’investir près de 90 000 euros pour aménager « un jardin d’hiver » de 450 m2 attenant au bâtiment. « Nous prenons un risque financier car nous ne savons pas si les futurs repreneurs continueront cette production. Mais, à terme, cela deviendra obligatoire que les animaux puissent sortir. » Bruno est même prêt à faire une ou deux années de tuilage, en tant que salarié, avec les futurs repreneurs pour les aider à se lancer dans cette activité si nécessaire.

Par ailleurs, la valorisation des fientes de volailles sur les cultures est un atout supplémentaire. « Nous avons signé une MAEC SPE2 en 2015 qui interdisait l’emploi d’engrais azoté sur le maïs. Grâce à l’épandage de 8 à 9 t/ha de fientes de volailles, nous avons pu maintenir des rendements autour de 13 t MS/ha. » Avec l’envolée du prix des intrants, cet argument pourrait peser en faveur du maintien de l’atelier volailles après leur départ.

Au-delà de la subvention annuelle de 24 000 euros, Bruno et Dominique ont opté pour cette MAEC parce qu’elle correspondait à leur souhait d’augmenter la part d’herbe dans leur système et de diminuer celle des cultures. La surface en maïs a baissé de 23 hectares à 15 hectares. Celles en céréales ont été réduites à 7 ou 8 hectares contre 23 hectares auparavant. « Nous avons moins de paille. Mais nous avons la chance de pouvoir en acheter à un voisin. » Le Gaec en a acquis 80 tonnes en andains à 35 €/t en 2021. Pour la volaille, il se fournit en paille broyée auprès d’une entreprise au prix de 150 €/t. « Nous en consommons environ dix tonnes par lot de dindes. »

Vers des prim’Holstein moins grandes

 

 
Le potentiel laitier étant là, la taille, la locomotion et les taux sont les principaux critères de choix des taureaux.
Le potentiel laitier étant là, la taille, la locomotion et les taux sont les principaux critères de choix des taureaux. © F. Mechekour
Bruno et Dominique Leliard sont plus attentifs à la taille dans le choix des taureaux depuis trois ans. « Nous avons remarqué que c’était toujours les grandes vaches qui faisaient des chutes dans le bâtiment », expliquent-ils. Les bétons des couloirs de la stabulation ont par ailleurs été scarifiés en 2020 pour limiter les risques de glissades. « Nous n’avons pas enregistré de chutes cet hiver », apprécient-ils. Le nouvel ISU de la prim’Holstein sorti en 2021 favorise la largeur au détriment de la taille afin d’obtenir des animaux mieux proportionnés et plus éclatés. La locomotion, les taux et dans une moindre mesure la production sont les trois autres critères retenus par les éleveurs pour choisir leurs taureaux. « Nous ne cherchons pas des vaches à 12 000 kilos, mais adaptées à notre système pâturant. » Une quinzaine de génisses sont inséminées avec de la semence sexée. Aucune femelle n’est génotypée.

 

 

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