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Lutte/campagnols des champs : la bromadiolone laisse place au phosphure de zinc

Souris, rats, mulots… les rongeurs rencontrés en nombre dans les parcelles de grandes cultures sans travail du sol sont précisément des campagnols des champs. Les moyens de lutte montrent une efficacité aléatoire. Le phosphure de zinc est la seule solution chimique qui perdure.

Marcel Estienne
Agriculteur à Saint-Jean-Sur-Moivre (Marne), Marcel Estienne recourt à plusieurs moyens pour détruire les campagnols : utilisation du rodenticide Ratron, bassines-pièges, injection de monoxyde de carbone dans les trous...
© SCEA Destival

Clap de fin pour la bromadiolone. La matière active rodenticide qui avait été remise en service en 2014 pour lutter aux champs spécifiquement contre les campagnols n’est plus commercialisée. À travers le produit Super Caïd Appâts Bleu, la bromadiolone est encore utilisable jusqu’au 21 décembre 2020 par les agriculteurs avec les règles draconiennes qui subsistent.

Un autre rodenticide peut se substituer à la bromadiolone, le phosphure de zinc, homologué en France fin 2017 sous deux noms commerciaux Ratron GL et Ratron GW. Ce dernier est autorisé à une dose plus élevée en matières active : 25 g/kg contre 8 g/kg au Ratron GL, pour une dose maximale identique de 2 kg/ha/an pour les deux spécialités. Ratron GL se présente sous forme de lentilles contenant du phosphure de zinc tandis que chez Ratron GW, la matière active est sur des grains de blé qui servent d’appâts. Pour les deux produits, le principe d’utilisation est le même : introduire les grains ou lentilles dans les trous des rongeurs à l’aide de cannes d’application (fusils à blé).

Une toxicité secondaire quasi inexistante pour le phosphure de zinc

« Ratron GL se montre moins efficace que Ratron GW contre le campagnol des champs selon les essais réalisés par Expélia, le réseau des Fredon. Parfois, son effet est même quasiment nul, relève Geoffroy Couval, responsable du pôle vertébrés à la Fédération régionale de défense contre les organismes nuisibles (Fredon) Bourgogne Franche-Comté. Concernant Ratron GW, son efficacité est légèrement inférieure à celle des anticoagulants comme la bromadiolone. » Ce produit à base de phosphure de zinc est donc un bon candidat pour succéder à la bromadiolone.

Il présente une toxicité secondaire bien moindre que la bromadiolone, donc un risque d’intoxication plus faible pour les prédateurs de rongeurs comme les rapaces ou le renard. « La toxicité primaire du phosphure de zinc est en revanche élevée, ce qui nécessite de bien mettre les grains de produit dans les trous pour éviter toute ingestion accidentelle par des animaux autres que les campagnols », précise Geoffroy Couval.

Encadrement nécessaire de l’utilisation de Ratron GW

Il suffit de quelques grains pour tuer des gibiers tels que des lièvres ou des oiseaux granivores. D’ailleurs, la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) a rédigé une note sur le phosphure de zinc. Si la LPO se réjouit de la fin de la bromadiolone à cause de son effet sur des rapaces tels que le milan royal, elle appelle ses adhérents « à suivre avec la plus grande attention l’usage sur le territoire de cette nouvelle substance toxique ».

En son temps, l’utilisation de la bromadiolone était très encadrée par un arrêté interministériel. Ce n’est pas le cas avec les produits Ratron. « Ratron GL est vendu librement par des distributeurs. Le réseau des Fredon propose le Ratron GW et ce pour toutes les régions (la bromadiolone était exclue de certains territoires). Nous avons la volonté d’encadrer l’utilisation de ce type de produit avec, par exemple, des miniformations de bout de champ. Les questions de toxicité et de bonne application sont importantes à prendre en compte pour obtenir une efficacité satisfaisante tout en préservant la faune non-cible », explique Geoffroy Couval. En premier lieu, le produit Ratron GW ira aux agriculteurs déjà formés à l’utilisation de la bromadiolone.

Plusieurs passages de herse pour obtenir un effet sur les rongeurs

La lutte contre les campagnols ne s’arrête pas aux produits chimiques. Piégeages, outils mécaniques, prédation favorisée… d’autres moyens peuvent être mis en œuvre et/ou sont en cours de test. Le projet ZERRAC a consisté à étudier les effets d’une herse Magnum dans des contextes de non-travail du sol sur l’habitat du campagnol des champs. « Sur les huit parcelles d’essais, nous constatons un faible effet de l’utilisation de cette herse mais les agriculteurs qui participent à ce projet reconnaissent ne pas l’utiliser toujours suffisamment, observe Geoffroy Couval. Il faudrait plusieurs passages de l’outil avant semis, ce qui n’est pas toujours possible et, en plus, cela peut favoriser les remontées indésirables de graines d’adventices. »

En Champagne-Ardenne, un autre projet a démarré, Macc 0 (méthode de lutte alternative contre le campagnol des champs vers le zéro rodenticide). « Nous expérimentons la combinaison de techniques devant perturber le campagnol des champs durant son cycle. Cela passe par l’utilisation d’outils de travail du sol, des actions pour favoriser la prédation comme la pose de perchoirs, des piégeages, des tests de plantes répulsives (mélilot) », présente Élise Vannetzel, directrice adjointe de la Fredon Grand Est.

Des récoltes anéanties chez les cultures porte-graines

Dans cette région, luzerne et autres fourragères porte-graines sont la cible privilégiée des rongeurs. « Ce sont des cultures appétentes restant sur une même parcelle quelques années. Avec le non-travail du sol, les rongeurs ne sont pas gênés. Les dégâts vont jusqu’à une non-récolte en production de semences, rapporte Charlotte Buridant, ingénieur région Nord-Est à la Fédération nationale des agriculteurs multiplicateurs de semences (Fnams), organisme partenaire du projet Macc 0. Des parcelles ont été détruites cette année alors qu’en 2018 et 2019, il y avait eu peu de dégâts. On sent une certaine recrudescence. Mais cela reste en deçà de 2012-2013 où plus d’un tiers des parcelles suivies montraient plus de 33 % de pertes de rendement. »

Charlotte Buridant évoque des méthodes déjà mises en œuvre pour réduire l’impact des rongeurs. « Il faut veiller à ne pas avoir une culture trop haute à l’automne. Après récolte, le broyage de la culture porte-graines expose davantage les campagnols à la prédation, surtout si l’on met des piquets pour les rapaces. Le passage d’une herse étrille perturbe les campagnols dans leurs déplacements, ce qui les rend également plus vulnérables aux prédateurs. Nous menons des essais de roto-étrille ou d’utilisation de macération d’ail. Enfin, sur certains bords de parcelles, nous avons disposé des bassines spécifiquement conçues pour piéger les campagnols. Cette piste semble intéressante… »

 
Avis d’exploitant : Marcel Estienne, agriculteur à Saint-Jean-sur-Moivre, Marne

« Très compliqué de contrôler les campagnols sans chimie »

« Certaines années, il peut ne pas y avoir de campagnols ou très peu. Mais 2020 est une année à forte présence, comme 2015 qui avait connu aussi une arrière-saison très sèche. Mes graminées porte-graines et ma luzerne sont particulièrement touchées. Mes luzernes, semées sous couvert d’orge, peuvent redémarrer leur croissance après une pluie quand elles sont consommées par les campagnols. Ce n’est pas le cas d’une graminée : elle ne repousse pas avec les tiges coupées par les rongeurs.

Dans le secteur, il y a eu des rendements de 5 q/ha à cause de ces attaques au lieu de 20 q/ha en temps normal. J’ai effectué un traitement au Ratron GL début août. Cela ne semble pas efficace. La bromadiolone que j’ai pu utiliser précédemment certaines années ne se montrait pas très performante non plus.

J’ai eu recours à d’autres méthodes qui ont permis de détruire bon nombre de ces rongeurs comme l’ennoiement des terriers avec l’aide d’une cuve de pulvé et un tuyau d’arrosage ainsi que l’utilisation d’un appareil injectant du monoxyde de carbone dans les trous. Sur 13 hectares, nous avions tué 1100 campagnols en 2015 en noyant les terriers. Mais ces méthodes sont très coûteuses en temps.

Des perchoirs à rapaces sont mis en place. Les rongeurs sont bien régulés par les prédateurs quand ils ne sont pas trop nombreux mais cela n’évite pas les pullulations. Demandant une parfaite maîtrise de l’enherbement, les graminées porte-graines vont être arrêtées avec le passage en bio de l’exploitation. Arriver à contrôler les campagnols sans chimie, c’est très compliqué. Le produit Ratron n’est pas autorisé en bio. »

SCEA Destival : 170 hectares, en cours de conversion en bio, dont 45 de blé tendre, 24 de graminée porte-graines (fétuque élevée et Koeleria), 25 à 30 de luzerne (déshydratation), 25 d’orge de printemps, 10 d’escourgeon, 10 de betterave, 13 de pois protéagineux, 15 d’œillette. En non-labour depuis 2000.

Le phosphure de zinc plus coûteux que la bromadiolone

La société allemande Frunol Delicia commercialise les deux produits Ratron à base de phosphure de zinc. En France, ils sont distribués par Lodi Group. Il faut compter 130 euros le bidon de 750 grammes avec applicateur pour le produit Ratron GL pour une dose maxi de 2 kilos par hectare et par an (kg/ha/an) contre 3 euros le kilo pour le produit à base de bromadiolone (Super Caïd Appâts bleus) utilisable à 7,5 kg/ha/an.

Le phosphure de zinc coûte plus cher à l’usage que la bromadiolone. Une autre formulation de phosphure de zinc est en cours de test et pourrait être commercialisée à terme en France, des granulés de luzerne contenant du phosphure de zinc à 25 g/kg. Ce produit serait plus attractif pour les rongeurs. Il est utilisé en Allemagne et vendu par la société Detia Degesch. Il serait plus particulièrement adapté à la lutte contre le campagnol terrestre, espèce de prairies, autrement plus préjudiciable que le campagnol des champs.

Bordures enherbées, des viviers pour les campagnols

Zone parcellaire non travaillée, les bandes enherbées sont des zones refuges pour toute une vie sauvage, auxiliaire de l’agriculture ou pas. « Les campagnols font des allers-retours entre les bandes enherbées et les cultures, observe Geoffroy Couval, Fredon Bourgogne-Franche-Comté. Des fauches plus fréquentes de ces bandes et des fossés mettent à mal l’habitat du campagnol et favorisent la prédation avec la mise en place des perchoirs amovibles. » À compter de janvier 2021, le projet de recherche Durban (Gestion durable des bandes enherbées en agriculture de conservation des sols pour contrôler les populations des campagnols des champs) a pour objectif de développer un mode de gestion adapté des bandes enherbées afin de réduire la pression en campagnols tout en préservant la biodiversité utile.

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