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Légumes : la difficile gestion du taupin en agriculture biologique

Faute de moyens de gestion curatifs efficaces des taupins dans les systèmes de production AB, la lutte ne peut se faire à l’échelle de la parcelle et de l’année. Le raisonnement et le travail du sol sont les leviers à prioriser.

Pour la production légumière AB, le taupin constitue une menace importante en pomme de terre et plus largement pour tous les légumes racines (carottes, panais, patate douce…). Ce ravageur déprécie très fortement la qualité de la récolte en s'attaquant directement au produit commercialisé. Ses attaques ont pour conséquence des diminutions de vigueur pouvant aller jusqu’à des pertes de plants en cas de pression importante (choux, fenouil, oignon, poireau, courges, concombre, radis, salades, tomates…) ainsi qu’en grandes cultures comme le maïs.

De nombreux leviers expérimentés

De nombreux travaux de recherche et d’expérimentation ont été entrepris ces dernières années sur la régulation des taupins, comme le projet Probiotaupin porté par Arvalis en partenariat avec des centres de recherche, des stations expérimentales et le CTIFL. Ce projet visait à élaborer des stratégies de protection intégrant des solutions de biocontrôle en substitution des solutions phytopharmaceutiques. Trois types de biocontrôle ont été testés : l’utilisation de nématodes entomopathogènes, de champignons entomopathogènes et de substances naturelles. D’autres projets ont été menés sur l’utilisation d’engrais verts assainissants et le piégeage de masse. Ces techniques utilisées seules n’atteignent généralement pas un niveau d’efficacité comparable à une référence chimique et les efficacités les plus intéressantes paraissent peu acceptables en termes de coûts. Il reste indispensable de faire progresser les connaissances fondamentales sur les organismes de lutte biologique (nématodes, champignons) afin de pouvoir optimiser leurs conditions d’utilisation et améliorer in fine leur intérêt technique et économique pour une utilisation en protection des cultures.

A lire aussi : Le son de moutarde insuffisant pour la protection de l'asperge et du melon contre les taupins

Une spécialité à base d’un champignon entomopathogène Beauveria bassiana commercialisée sous le nom Naturalis est homologuée en bio en France sur pomme de terre contre les taupins, mais dont l’efficacité n’a pas pu être démontrée en stations expérimentales, que ce soit en laboratoire ou au champ. L’utilisation de substances naturelles riches en glucosinolates (composés extraits de Brassicacées comme la moutarde brune, technique dite de biofumigation) apportées directement au sol ou produites sur place grâce à des engrais verts fait partie des solutions expertisées. L’incorporation de granulés de graines de Brassica carinata (moutarde d’Ethiopie) et de produits tels que Biofence (extrait de moutarde) et Tapis Vers (engrais organique aux extraits de piment et moutarde) ont été testés dans le cadre du projet Probiotaupin. A l’heure actuelle, aucune des substances actives évaluées et engrais verts testés ne donne de résultats très probants ou économiquement acceptables. Une autre voie de recherche prometteuse pourrait contribuer à une meilleure gestion du taupin via « l’écologie chimique ». Ainsi, une meilleure connaissance des signaux chimiques reconnus par les taupins dans le sol et induisant des comportements d’attraction ou à l’inverse de répulsion pourrait permettre par exemple d’améliorer l’attractivité d’appâts. L’utilisation de plantes de service semées dans la culture qui pourraient piéger les taupins et la mise en œuvre d’une méthode de confusion sexuelle sont aussi des pistes à l’étude. A noter que le levier génétique n’est pas mobilisé pour le moment.

Relation entre présence de larves et dégâts observés

Jusqu’à un passé récent, seule l’estimation des populations de larves était envisageable à l’aide de pièges et a fait l’objet de divers travaux. La pose de ces pièges et leur contrôle étant longs et fastidieux, cette technique n’est pas utilisée en production. De plus, un piégeage différentiel en fonction des espèces de taupins et une mauvaise relation entre le niveau de piégeage et les dégâts ont été observés. L’arrivée des phéromones a fait naître beaucoup d’espoirs, mais après quelques années, l’utilisation du piégeage d’adultes pour prévoir le risque de dégâts à la parcelle n’est pas concluante. Une amélioration existe néanmoins, appelée tri de sol. La technique consiste à faire un prélèvement de sol (20 x 20 x 20 cm), puis de compter le nombre de larves présentes dans cet échantillon de sol. Cette méthode permet d’avoir une meilleure relation entre l’abondance de larves et les dégâts observés sur maïs. La principale limite est d’effectuer les prélèvements dans des conditions climatiques optimales c’est-à-dire ni trop sèches ni trop chaudes, conditions qui font migrer en profondeur les larves de taupins. Faute de moyens de gestion curatifs efficaces des taupins dans nos systèmes de production AB, la lutte ne peut se faire à l’échelle de la parcelle et de l’année. En premier lieu, il faut gérer ce ravageur à l’échelle de l’exploitation, en raisonnant les rotations et l’assolement (éviter d’implanter une culture sensible après une culture favorable ou sur une parcelle historiquement « à risque »). Le second levier à prioriser est le travail du sol en début et fin d’été.

Maxime Davy - Article paru dans Aujourd’hui & Demain n°140

 

Des moyens de lutte limités en AB

 

En AB, la régulation des taupins est difficile en raison de l’absence de moyens de lutte directe et durable. Il est essentiel d’adapter l’assolement après le labour d’une prairie (situation très favorable aux taupins). Par exemple, une culture de pomme de terre ne doit suivre une prairie qu’au plus tôt après deux ans (voire trois ou quatre ans dans l’idéal). Après ce laps de temps, la majorité des larves se sont transformées en nymphes. L’introduction de cultures peu sensibles et qui limitent la ponte des œufs (pois, haricot, féverole) et de cultures de printemps qui couvrent peu le sol en mai (ce qui va favoriser la dessiccation des larves et limiter les pontes) peut permettre de diminuer la pression de l’infestation. Enfin, la mise en œuvre des interventions mécaniques superficielles répétées au printemps et à l’automne (binages par exemple) et la pratique d’un déchaumage le plus tôt possible après récolte (proche de la période des pontes) peuvent aussi contribuer à la réduction des populations d’œufs et de larves en les exposant à la sécheresse et aux prédateurs. Un raisonnement judicieux de la rotation sur les parcelles à risque ou déjà infectées, évitant les cultures très sensibles et/ou favorables ainsi que des travaux de sols estivaux sont les deux seuls moyens de lutte pouvant être actuellement mis en œuvre en production pour la gestion du taupin en agriculture biologique.

 

Un polyphage au potentiel nuisible élevé

 

Les taupins, ou « vers fil de fer », sont des coléoptères phytophages. Les adultes émergent au printemps et ne font pas de dégâts. Ils pondent leurs œufs dans la couche superficielle du sol, préférentiellement sous des couverts végétaux (sol humide nécessaire à la ponte). Les larves effectuent ensuite leur développement dans le sol sur une durée de quatre à cinq ans pour les espèces à cycle long comme Agriotes lineatus, A. sputator ou A. obscurus. Une espèce à cycle court, A. sordidus, réalisant son cycle de vie sur seulement deux à trois ans dont (un à deux ans de vie larvaire) est de ce fait plus difficile à maîtriser. Les larves de taupins passent par plusieurs stades. Tant que leur taille n’excède pas les 5 mm, ils ne causent des dégâts que s’ils sont présents en grand nombre. Ensuite, les larves peuvent causer des dégâts considérables sur les semis et jeunes plants ou dévaloriser les légumes racines par les galeries qu’elles ont creusées. Leur voracité augmente avec leur âge et leur taille. Plusieurs stades larvaires peuvent se développer parallèlement. La présence d’un couvert végétal en place depuis plus de deux ans est le premier facteur favorable au développement des taupins. A l’inverse, la sécheresse, les travaux de sol en début et fin d’été (d’autant plus efficaces qu’ils assèchent le sol), l’absence de cultures très favorables (artichauts, engrais verts…) seront défavorables à son développement.

 

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