Le porte-greffe, une source d’adaptation du vignoble à exploiter
Le porte-greffe est identifié comme une variable d’ajustement prometteuse pour répondre aux mutations actuelles du vignoble. Il faudra toutefois pouvoir jouer avec leur diversité.
Le porte-greffe est identifié comme une variable d’ajustement prometteuse pour répondre aux mutations actuelles du vignoble. Il faudra toutefois pouvoir jouer avec leur diversité.
En plus de vingt-cinq ans de carrière au Domaine de l’Espiguette de l’IFV, Laurent Audeguin n’a jamais senti de la part de la profession autant d’engouement pour le matériel végétal qu’aujourd’hui. Nombreux sont ceux qui œuvrent à ressortir des placards les cépages ancestraux oubliés, à s’intéresser aux variétés résistantes ou à lorgner sur des cépages étrangers qui, finalement, pourraient être pertinents dans nos vignobles. Le porte-greffe n’échappe pas à cette effervescence. Il faut dire qu’il y a beaucoup à dire et à faire à ce sujet. « En tout et pour tout, il ne doit exister qu’un peu moins d’une centaine d’individus différents dans toute la France viticole, relate François Dal, conseiller viticole à la Sicavac de Sancerre. La diversité génétique est très pauvre. » Il s’est lancé il y a trois ans dans la prospection, le recensement et l’identification de rejets de porte-greffes dans les vieilles parcelles. Quand il y a un intérêt, il les tuteure et les préserve, sans les bouturer, réglementation oblige.
Professionnels et amateurs unis pour sauvegarder le patrimoine
« Les vignes où l’on observe ces rejets sont généralement vieilles et très belles, ce qui montre son adaptation au terroir, dit-il. Cela peut venir de phénomènes épigénétiques, c’est pourquoi il faut les garder. » Pour lui, il faudrait que ce travail de conservation soit effectué dans tous les vignobles hexagonaux pour ne pas perdre à tout jamais ce patrimoine, qui pourrait toujours être utile un jour. Car même si les recherches officielles connaissent un nouveau souffle, « l’Inrae ne pourra pas tout faire seul », estime le conseiller. Certains vignerons (professionnels et amateurs) ont eux aussi pris conscience de cette disparition du patrimoine existant, et œuvrent à sa conservation. Il n’y a qu’à voir l’animation sur le groupe Facebook « Cépages hybrides et porte-greffes - Identification - Sauvegarde », crée par Gaël Valet.
Une variable d'adaptation pleine d'espérance
Ce dernier, néovigneron, s’est pris au jeu lorsqu’il a récupéré 40 ares de vignes en Charente-Maritime : il y avait sur cette parcelle pas moins de 12 cépages différents et des porte-greffes non identifiés. Maintenant qu’il reprend 11 hectares en Dordogne, il va emporter avec lui sa réflexion sur les porte-greffes. « Car au-delà de l’intérêt patrimonial, cela peut avoir une réelle utilité pour faire correspondre le matériel avec des géologies qui sont diverses et des conditions climatiques qui évoluent, estime-t-il. J’aimerais pouvoir créer mon petit conservatoire et échanger mes retours d’expériences. » L’enjeu de cette préservation est effectivement important, car le porte-greffe peut jouer un rôle dans l’adaptation au changement du climat, ou encore dans l’arrêt des herbicides. « C’est une variable d’adaptation qui est loin d’être neutre, sur laquelle on peut fonder des espoirs, notamment vis-à-vis du manque d’eau et de la précocité », confirme Laurent Audeguin. Il constate que l’on arrive de plus en plus à des situations d’échec ou à des impasses, notamment avec nos 5 porte-greffes principaux qui représentent une écrasante majorité du vignoble (140Ru, 110R, SO4, 3309C et 41B).
Des individus espagnols, italiens et californiens à l’essai
Mais il voit surtout que les fortes contraintes hydriques et les raccourcissements de cycle de ces dernières années sont en train de rebattre les cartes. « Il est clair que de planter du merlot à Bordeaux sur un Riparia précoce n’est plus un bon choix, illustre-t-il. De même on commence à voir du 110R dans le nord de la vallée du Rhône et une tendance sur le 333EM à Cognac. En Amérique du Sud, le 1103P est devenu dominant, préféré pour sa tolérance au stress hydrique et sa vigueur. » À Sancerre, François Dal ne conseille plus le Riparia lui non plus, car trop faible. « Le 41B est intéressant car il permet de garder une belle acidité, mais il est juste en vigueur. Ce serait bien d’en avoir un avec les mêmes caractères mais plus vigoureux », explique-t-il. Les instituts, conscients du potentiel qu’offrirait une plus grande diversité ainsi que du peu d’inscriptions au catalogue depuis un demi-siècle (trois seulement), testent d’ores et déjà des candidats comme le 135 Evex espagnol, le 775P italien et bientôt le 039-16 de l’université UC Davis de Californie, qui présente une bonne résistance aux nématodes. Mais Laurent Audeguin l’affirme : il y a déjà des marges de manœuvre possibles dans les cas où le changement est nécessaire. « Comme de mettre des Paulsen dans le Sud, avance-t-il. On retrouve parfois du 196-17Cl dans les Pyrénées-Orientales ou du 44-53M dans le Grand Sud, il faut essayer ! » Et pourquoi ne pas imaginer implanter un Riparia, réputé pour sa précocité, dans le Nord, associé avec un cépage du Sud ?
Implanter des porte-greffes plus puissants afin d’enherber les vignes
Pour David Perrier, conseiller à la chambre d’agriculture de la Gironde, le porte-greffe peut aussi être un levier pour s’adapter aux nouvelles pratiques culturales. « Avec l’arrêt progressif des herbicides, les vignes sont de plus en plus contraintes par la concurrence et les rendements ne font que baisser, observe-t-il. Les porte-greffes qui fonctionnaient bien il y a quinze ans sont aujourd’hui à la peine. Des pieds sur SO4 plantés dans les années 90, qui donnaient trop et étaient peu qualitatifs, aujourd’hui on est content de les avoir. » Le conseiller est persuadé qu’il faut dès aujourd’hui se tourner vers des porte-greffes plus vigoureux. Il compte par ailleurs tester d’implanter des vignes sur un porte-greffe très puissant dans une parcelle qui sera conduite en enherbement total, y compris sous le rang. L’idée étant de trouver un équilibre qui permette de garder la qualité. « Se lancer dans l’agroécologie avec des merlots sur 101-14MGt sera difficilement tenable », illustre-t-il.
Des choses sont donc possibles. Seulement les expérimentations manquent et le temps presse, car les mutations du vignoble accélèrent. « C’est un sujet trop négligé, regrette François Dal. Nous risquons d’être dans une position inconfortable car nous allons être amenés à conseiller des choses aux viticulteurs sur ces problématiques de porte-greffes, et nous n’aurons aucune bille pour les aider. »
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