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Dans un contexte de libéralisation
Une organisation de la filière est indispensable

Dans les pays qui pratiquent une vraie dérégulation, le secteur laitier est fortement fragilisé. Leur exemple montre que, dans un contexte de libéralisation, il est indispensable pour les producteurs de chercher à organiser la filière laitière.


Comment à travers le monde les pays ont-ils adapté et organisé leur filière laitière ? Pour Frédéric Chausson, directeur de la FNPL, trois grands groupes de pays se dégagent. Un groupe de pays « hyperstructurés », comme le Canada et les États-Unis qui disposent d´un système de classes de prix très protecteur pour les producteurs. Un groupe de « faux libéraux », comme la Nouvelle-Zélande et le Danemark, qui s´appuient sur un monopole coopératif. Et enfin un groupe de « vrais libéraux » comme l´Australie et le Royaume-Uni, sans mécanisme d´organisation de producteurs, où la situation de la filière laitière n´est guère brillante. « Les expériences de vraie dérégulation déstabilisent des secteurs qui ont besoin de stabilité. L´exemple de ces pays montre que, dans le contexte de libéralisation actuel, les producteurs ne doivent surtout pas baisser les bras, et au contraire avoir une démarche volontariste pour organiser la filière », conclut-il de l´analyse des modes d´organisation de la filière laitière de ces six pays(1). En voici un rapide tour d´horizon.
Canada et Etats-Unis : les hyperstructurés
« Le Canada et les États-Unis ont mis tous deux en place depuis longtemps des systèmes de classes de prix, légaux et solides, qui protégent les producteurs, constate Frédéric Chausson. La législation européenne actuelle ne permet pas la mise en place de telles classes de prix ».
Au Canada, le dispositif réglementaire date de 1971. La collecte est gérée par les producteurs qui revendent le lait aux transformateurs avec un système de cinq classes de prix. Suivant sa destination (beurre, fromages, lait pasteurisé.), le lait est orienté vers l´une des cinq classes qui correspondent à des prix différents. Les producteurs canadiens sont par contre tous payés au même prix grâce à un système de péréquation. La production est contingentée par un système de quotas matière grasse géré par les producteurs. Il existe par ailleurs un prix de soutien basé sur les coûts de production garanti par des achats d´intervention. Au final, les éleveurs perçoivent un prix du lait élevé. Le revers de la médaille sont des coûts de transmission des exploitations prohibitifs, et des barrières douanières importantes pour se prémunir des importations (essentiellement des USA).

Les producteurs des États-Unis bénéficient d´un système de classes de prix depuis 70 ans ! Il est encore plus sophistiqué que le Canadien car viennent s´y superposer plusieurs dispositifs : un programme d´aide à l´export qui s´ajoute aux traditionnels systèmes de crédits à l´export et d´aides alimentaires, des paiements directs, une assurance revenu et même la possibilité de vendre le lait à terme pour les producteurs. A cette panoplie complète, il ne manque que la maîtrise de l´offre. C´est ce qu´essayent de créer producteurs et coopératives en mettant en place ensemble un programme (CWT) qui finance le retrait de troupeaux et le dégagement à l´export. Ce dispositif « extraordinaire », qui fonctionne grâce à la présence des coopératives, fait qu´il n´y a pas de négociations des prix de gré à gré entre producteurs et transformateurs. Et se traduit par un prix du lait très variable, qui oscille du simple au double.
Les Etats-Unis ©ici en Californie et le Canada ont mis tous deux en place depuis longtemps des systèmes de classes de prix, légaux et solides, qui protégent les producteurs. ©A. Conté

Nouvelle-Zélande et Danemark : les faux libéraux
L´organisation du secteur laitier des « faux libéraux » repose sur l´émergence d´un monopole coopératif, à l´opposé du principe de base de l´économie libérale qu´est la libre concurrence. « Il implique des dispositions réglementaires nationales spéciales, souligne le directeur de la FNPL. Dans ces grosses coopératives, qui sont des formes très efficaces d´organisation de producteurs, la péréquation entre les différentes destinations du lait se fait en interne. Le monopole permet d´assurer des prix stables en évitant des guerres de prix suicidaires entre entreprises. Cette stabilité permet de bâtir des stratégies à l´export efficaces. »
En Nouvelle-Zélande, l´État a permis et encouragé la naissance d´une seule et unique coopérative, Fonterra. Celle-ci a un objectif : l´export(2). Fonterra a un système très particulier par rapport au prix du lait : il consiste à faire auditer son activité par un organisme indépendant qui calcule ce que devrait payer la coopérative si elle était parfaitement efficace. Fonterra rémunère de plus en plus ses producteurs sous la forme de dividendes liés à son activité mondiale. Le coût d´entrée dans la coopérative devient prohibitif. Mais ses producteurs vont-ils accepter longtemps d´être payé 150 euros pour 1000 litres par une société qu´ils possèdent et qui a de très bonnes perspectives sur le marché mondial ?
Comme en Nouvelle-Zélande, les autorités danoises et suédoises ont autorisé la création d´une très grosse coopérative, Arla foods, qui est elle aussi très active. Arla semble bien placée pour arriver en tête de la ligue des champions des entreprises européennes. Le prix du lait y fait aussi l´objet d´un système particulier, surveillé par les pouvoirs publics.
En Australie, le bilan de cinq ans de dérégulation est accablant : 30 % des producteurs ont arrêté leur activité et l´industrie laitière est en déclin. ©V. Louarn

Une vraie dérégulation en Australie et au Royaume-Uni
Dans les pays sans aucun mécanisme d´organisation des producteurs, les secteurs laitiers fonctionnent très mal. Et les industries des « faux libéraux » en profitent pour s´engouffrer dans la brèche : on retrouve ainsi la coopérative néo-zélandaise Fonterra en Australie, et la danoise Arla au Royaume-Uni. « Deux règles de base font que la dérégulation appliquée aux marchés céréaliers n´est pas transposable aux marchés laitiers : la longue durée du cycle de production d´une vache (6-7 ans), et la très faible élasticité de la consommation au prix (une baisse du prix des produits laitiers a peu d´impact sur leur consommation), » explique Frédéric Chausson. Très peu de pays ont d´ailleurs fait le choix de la dérégulation totale.
Cela a été le cas en Australie au début des années 2000. Avant 2000, il existait un système de classes de prix avec une péréquation au niveau des producteurs comme au Canada ou aux États-Unis. Il n´existe plus aujourd´hui en Australie d´organisation économique. Un soutien partiel des producteurs a été mis en place pour accompagner cette plongée dans la dérégulation, grâce à un prélèvement sur le lait de consommation.

Ce soutien, qui était limité dans le temps, a dû être reconduit dans l´urgence pour donner une bouffée d´oxygène à une filière asphyxiée.
Le bilan de la dérégulation australienne est accablant : en cinq ans, le nombre d´éleveurs a diminué de 30 %, et l´industrie laitière australienne est actuellement très fragile.
La situation du secteur laitier n´est guère meilleure au Royaume-Uni où la dérégulation a fait son entrée en 1994. Avant 1994, un organisme d´Etat (le Milk marketing board) possédait l´exclusivité de la collecte. Depuis, plusieurs coopératives ont tenté de recréer (au sein du Milk Mark) une péréquation, mais elles ont échoué. Depuis, le Royaume-Uni se distingue avec le plus bas prix du lait européen, le plus faible taux de valeur ajoutée de l´industrie laitière européenne, et des importations de produits laitiers en progression constante.
Au vu de ces différents exemples, quelle peut être la voie pour le secteur laitier français ? « Les formes d´organisation mises en place à travers le monde sont très diverses,conclut Frédéric Chausson. La voie française sera forcément un mélange de modèles, qui ne seront pas tous nécessairement exclusivement issus du monde laitier ».

(1) Présenté le 4 avril dernier lors du congrès de la FNPL
(2) Chiffre d´affaires de Fonterra par zones : Amériques 37%, Asie 30%, Europe 16%, Afrique 11%, Océanie 6%.

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