Quelle ration pour produire du lait bio en hiver ?
La station expérimentale de Trévarez a testé plusieurs rations selon la disponibilité en fourrages et les objectifs recherchés. La ration corrigée par du soja est rentable mais au détriment de l’autonomie.
La station expérimentale de Trévarez a testé plusieurs rations selon la disponibilité en fourrages et les objectifs recherchés. La ration corrigée par du soja est rentable mais au détriment de l’autonomie.
« Produire du lait bio en hiver suppose d’avoir assez de fourrages et de pouvoir assurer un équilibre énergie-azote suffisant pour des vaches en lactation », résume Pauline Chatel, de la station expérimentale de Trévarez, dans le Finistère. L’énergie peut être apportée par de l’ensilage de maïs, de plus en plus utilisé en bio quand l’objectif est de produire du lait en hiver ; les autres fourrages conservés (ensilage d’herbe, enrubannage) sont sources d’azote s’ils sont récoltés précocement et des mélanges céréaliers grains permettent de concentrer la ration. « Le choix de la ration dépend aussi des objectifs : soit l’autonomie alimentaire à l’échelle de l’exploitation ou de la région, soit une production élevée pour livrer plus de lait en hiver. »
Plusieurs essais de ration hivernale ont été menés à Trévarez, dont l’un des troupeaux est en bio depuis 2013. Ils ont permis de faire des simulations de marge sur coût alimentaire pour 75 vaches laitières. La ration de base est composée dans tous les cas de 5 kg MS d’ensilage de maïs et d’ensilage d’herbe à volonté (graminées-légumineuses), plus 1 kg de céréales au robot. Les coûts sont ceux des aliments produits à Trévarez ou achetés (prix 2018-2019) et le prix du lait est celui payé à la station en 2018-2019.
1 Apporter du tourteau de soja
Pour améliorer l’apport en protéine, il est possible d’ajouter du soja bio à la ration de base. À Trévarez, elle a été complémentée soit par 3 kg de mélange céréalier humide à l’auge, soit par 2 kg de ce mélange céréalier et 1 kg de soja au robot (ration totale à 0,9 UFL/kg MS). L’apport de soja s’est traduit par l’amélioration du rapport PDI/UFL (85 g contre 75 g) de la ration. Il a augmenté la production laitière de 5 kg/VL/j pendant l’essai, avec un arrière-effet de +2,8 kg/VL/j les deux semaines qui ont suivi son arrêt, du fait d’un meilleur fonctionnement du rumen. Au total, avec du soja à 915 €/t, la marge sur coût alimentaire pour 75 VL augmente de 14 000 euros. « L’apport de soja bio permet de produire plus de lait, de manière rentable, mais au détriment de l’autonomie alimentaire et avec un aliment importé de loin », souligne Pauline Chatel. Certaines laiteries ou collecteurs interdisent de plus l’utilisation d’aliments importés. D’autres correcteurs bio peuvent aussi être envisagés s’ils sont disponibles (colza…).
2 Distribuer de l’ensilage d’herbe précoce
L’ingestion des vaches en hiver peut être améliorée avec un ensilage de RGH-TV récolté précocement. L’essai de Trévarez mené pendant deux hivers a comparé un ensilage fauché toutes les 4-5 semaines (0,87 UFL et 70 gPDIE) à un ensilage fauché toutes les 6-7 semaines (0,84 UFL et 61 g PDIE). Les vaches consommaient par ailleurs 5 kg MS de maïs, 3 kg brut de maïs humide et 900 g de céréales au robot. L’essai montre une augmentation de l’ingestion de 4,2 kgMS/VL/j grâce à un moindre encombrement de l’ensilage d’herbe et un meilleur équilibre énergie-azote. La production laitière augmente de 4 kg/VL/j pendant l’essai, avec un arrière-effet de +1,7 kg/VL/j pendant deux semaines. Au total, la marge sur coût alimentaire s’améliore de 11 000 euros. « Cette ration préserve l’autonomie alimentaire à l’échelle de l’exploitation. Mais comme l’ingestion augmente, il faut pouvoir récolter suffisamment de stocks, 33 t MS de plus pour 75 vaches laitières. »
3 Supplémenter avec de la luzerne déshydratée
Distribuer 3 kg de bouchons de luzerne déshydratée à 18 % MAT améliore l’équilibre énergie-azote de la ration (+8 PDI/UFL), mais la déconcentre en énergie. L’essai à Trévarez (mené avec un ensilage d’herbe précoce) montre que l’apport de luzerne a un effet bénéfique sur l’ingestion totale (+2,9 kg MS/VL/j). La production augmente de 1,9 kg/VL/j, avec un arrière-effet de +1,3 kg/VL/j pendant deux semaines. Les animaux perdent aussi moins de poids. « Tout dépend du prix du lait et de celui de la luzerne, analyse Pauline Chatel. En 2018-2019, avec une luzerne à 304 €/t MB, la marge sur coût alimentaire était légèrement positive grâce à l’arrière-effet. L’intérêt d’apporter de la luzerne achetée est toutefois limité mais préserve l’autonomie régionale ou nationale puisque la luzerne déshydratée bio est d’origine France. » Faire déshydrater de la luzerne bio produite sur l’exploitation s’avère par contre toujours intéressant. Dans le contexte de prix et primes de 2018-2019, le gain de la culture de 1,8 hectare de luzerne en remplacement de mélanges céréaliers grains vendus est estimé à 2 000 euros pour trois mois d’utilisation.
Vêlages d’automne ou de printemps : des performances annuelles similaires
À Trévarez, les vaches ont produit au final la même quantité de lait sur 305 jours.
Quand on fait le choix de vêlages groupés, la question se pose de la période : printemps, automne ou les deux. La station de Trévarez a deux périodes de vêlage de trois mois : mars-avril-mai et septembre-octobre-novembre. « Les vêlages de printemps permettent de bien valoriser l’herbe en pleine pousse et de produire du lait à bas coût, souligne Guylaine Trou, de la chambre d’agriculture. Les vaches vêlant à l’automne, taries en été, diminuent le nombre d’animaux en lactation pour que ceux-ci restent en 100 % pâturage l’été. »
Un prix du lait moyen sur l’année identique
Tous les animaux sont alimentés de la même façon quelle que soit leur période de vêlage. L’été, le coût alimentaire est divisé par quatre par rapport à l’hiver. Au final toutefois, les performances des deux périodes de vêlage sont similaires. « Les vaches produisent la même quantité de lait sur 305 jours, autour de 5 670 kg/VL. Le pâturage permet aux vêlages de printemps d’avoir une production supérieure à 20 kg sur plus de quatre mois. Mais la fin de lactation sur régime hivernal amène à une production plus faible. La production des vêlages d’automne est plus stable. » En moyenne sur l’année, le TB est plus élevé d’un point pour les vêlages de printemps, le TP étant similaire. La différence de taux peut être plus importante à certaines périodes, ce qui entraîne des différences de prix payé atteignant 28 €/1 000 l à certaines saisons. « Toutefois, malgré une grille incitative, le prix payé moyen sur l’année est le même pour les deux périodes, proche de 460 €/1 000 l. »
Avis d’éleveur : Françoise Faucheux, Campénéac (56)
« Des vêlages d’automne et de l’enrubannage »
« Comme je suis seule avec 47 vaches sur 43 hectares, mon objectif est de limiter le travail et la mécanisation. 41 hectares sont accessibles aux vaches et je bénéficie de 30 hectares chez mon frère, que mes vaches pâturent en déprimage et après les foins. Bien que les terres soient séchantes, je suis en tout herbe. À partir de mars, pendant cinq à neuf mois, aucun stock n’est distribué. Pour éviter de manquer de fourrages et regrouper les naissances des génisses de renouvellement, 60 % des vêlages ont lieu d’août à octobre et une grande partie des vaches sont taries l’été. De mi-décembre à mi-février, les vaches sont au bâtiment. Elles reçoivent principalement de l’enrubannage que j’étale devant les cornadis pour deux ou trois jours. Pour l’enrubannage, je privilégie les prairies avec de la luzerne que je récolte en avril-mai, au stade précoce. La valeur moyenne de l’enrubannage est de 14 % de MAT. Je trie les fauches, ce qui permet d’adapter précisément la ration. Le troupeau est complémenté avec 2 kg/VL/j de mélange de céréales issues de l’exploitation et que je trie également pour estimer leur valeur. Les vaches produisent 18 kg/j de lait en hiver et plus de 6 200 l/an. Le coût alimentaire en 2018 est de 55 €/1 000 l, avec 35 heures de travail par semaine pour moi et l’aide de mon fils pour la fauche. »