« Partager le temps de travail sécurise mon exploitation laitière »
Installé en Moselle, Jean-François Perrin n’est pas un éleveur stressé. Il a fait de l’organisation de son travail et de la gestion de sa main-d’œuvre ses deux points forts. Ils lui permettent de se libérer assez facilement du temps quand il en a besoin.
Installé en Moselle, Jean-François Perrin n’est pas un éleveur stressé. Il a fait de l’organisation de son travail et de la gestion de sa main-d’œuvre ses deux points forts. Ils lui permettent de se libérer assez facilement du temps quand il en a besoin.
Monter sur les silos de maïs et d’herbe de l’EARL Perrin, à Bibiche en Moselle, est instructif. Ils se situent au centre du site. Le télescopique n’effectue que quelques dizaines de mètres pour charger les ingrédients de la ration, concentrés compris, dans la mélangeuse au bol de 17 m3 qui n’a, elle, que la longueur des bâtiments à parcourir pour distribuer leur ration aux vaches d’un côté, aux taurillons et génisses de l’autre.
Jean-François Perrin a réfléchi à cette disposition des lieux en 2001 quand il a déménagé l’atelier laitier du village jusqu’au nouveau site construit à deux cents mètres à l’extérieur. « Les aliments achetés sont livrés par semi-remorque. Tout est centralisé, mais chaque bâtiment reste indépendant. Cinquante minutes suffisent pour préparer et distribuer sa ration à chaque catégorie d’animaux. Il faut être efficace », résume-t-il. L’éleveur fait concasser ses céréales par un prestataire et se constitue ainsi un stock de trois à quatre semaines. En 2013, quand il augmente son troupeau laitier, il équipe ses logettes de matelas qu’il recouvre de farine de paille. « Cela économise les deux tiers du temps nécessaire à un paillage classique », souligne Jean-François. En 2014, il investit dans un détecteur de chaleurs. Jean-François s’est posé la question du robot de traite. Il ne l’a pas adopté car il estime sa TPA 1x10 d’origine, passée depuis en 2x10, « bien dimensionnée ». Elle permet à une personne seule de traire le troupeau en une heure et demie.
« Il faut savoir s’entourer »
L’élevage a toujours disposé de la main-d’œuvre nécessaire. « Être seul jusqu’à midi à m’occuper de 100 vaches ne m’intéresse pas. Il faut savoir s’entourer », glisse Jean-François. Il calcule qu’il faut une personne à temps plein pour 50 vaches. En s’installant en 1994 avec 40 vaches, il travaille d’abord avec son père, puis sa mère. La fin de l’aide familiale lui fait embaucher un salarié en 2013. En même temps, il double le nombre de ses vaches et réduit de 90 à 30 le nombre de taurillons. En 2015, il engage son neveu Benjamin comme apprenti, d’abord pour son bac, ensuite pour son BTS.
En janvier 2019, le départ du salarié ne perturbe guère l’organisation du travail car, entre-temps, Jean-François a pris un second apprenti, Pierre, en formation BTS, qu’il avait déjà accueilli pour un stage. De plus, le dimanche matin et les jours fériés il se fait seconder par Éric pour remplir et distribuer la mélangeuse. « Il n’était pas actif dans l’agriculture, mais il avait un faible pour l’activité. Nous avons discuté, sympathisé. Il m’aide depuis. C’est le relationnel qui fait », explique Jean-François, qui sait que si l’un de ses apprentis est en maladie, il peut encore faire appel à un frère plus âgé. En mobilisant tous ces relais, Jean-François ne se retrouve vraiment seul que durant huit semaines dans l’année.
« Je ne me suis jamais vraiment senti sous pression, sauf peut-être en 1999-2000 quand j’ai voulu un peu trop participer à la mise aux normes. À présent, l’élevage tourne à son rythme de croisière. Le partage du temps de travail sécurise une structure comme la mienne. Le système avec deux apprentis me va bien. Tout s’est mis rapidement en place avec eux car ils connaissaient tous deux la ferme. Dans les cas où nous sommes présents tous les trois, nous pouvons établir des tours et l’un de nous peut rester chez lui. Toutes les personnes qui interviennent ici sont assez autonomes pour tout ce qui touche aux animaux. Chacun est par exemple capable de traire. Cela donne de la souplesse. Je suis tranquille. Cela fonctionnait déjà comme ça avec mon salarié. La surveillance du troupeau est la seule chose où je garde la main. La compétence pour juger de la santé des veaux ou des vaches n’est pas la même pour tous », précise Jean-François.
Il a déjà réfléchi à l’organisation du travail qui devrait se mettre en place quand ses deux apprentis auront terminé leurs études. Pierre ne restera pas. Mais Benjamin est prêt à devenir salarié à temps plein ou partiel. Et Lilian, son fils de 16 ans, suit une formation en élevage avec la ferme intention de rejoindre un jour son père. « Il n’y aura pas de rupture franche », se félicite Jean-François.
Un minimum de productivité
Dans la gestion économique de son élevage, Jean-François a placé un principe au-dessus des autres : « un salarié doit rapporter ce qu’il coûte ! La difficulté est d’arriver à déterminer ce qu’il produit. Je calcule que je dois arriver à le et à me payer et à investir. Il me faut donc un minimum de productivité et un minimum de prix du lait. Techniquement, je ne fais pas ce qu’il y a de mieux. Mais pinailler sur chaque détail, cela prend du temps et impose d’être disponible pour certaines tâches. Je veux éviter toutes celles qui sont inutiles comme racler au tracteur ou pousser les vaches dans l’aire d’attente. Elles pénalisent l’efficacité de la main-d’œuvre ».
Cette ligne de conduite permet à Jean-François de bien contrôler ses coûts. « Je prends du recul et je considère la globalité de l’atelier. Pour rémunérer quelqu’un convenablement et pérenniser l’activité, j’estime que les 1 000 litres ne devraient pas être payés moins de 380 euros. En-dessous, on sacrifie, soit des heures de travail, soit du revenu. Être éleveur est souvent une passion avant d’être un métier. Et cela détourne de certaines réflexions. J’essaye de trouver un compromis entre valeur ajoutée et productivité, j’évalue tous les paramètres. Je sais qu’à partir de tel prix, je ne sais plus faire. »
À 49 ans, Jean-François Perrin mène une vie qui lui convient. « Je peux me libérer assez facilement. Depuis une quinzaine d’années, je pars régulièrement en vacances, une semaine en été et de une à deux en hiver. J’aime bien travailler, mais j’aime aussi bien voyager. » Le seul bémol, c’est l’astreinte de la traite du soir. « Au bout de vingt-six ans, elle commence un peu à peser », note Jean-François qui avoue : « à la place, je préfèrerais passer un peu plus de temps avec mes enfants ».
Taxi-lait, le bon investissement
En 2013, son taxi-lait a coûté 3 500 € à Jean-François Perrin. Une dépense judicieuse. « Il y a trois buvées, une par lot de veaux. Le lait est toujours à bonne température. Le volume délivré est constant. C’est plus pratique. Après dix à quinze jours et en fonction du lot, je réduis à un repas par jour pour simplifier le travail. Je donne bien entendu des concentrés à volonté matin et soir ». Seule la paille fait office de fourrage grossier afin qu’il n’y ait qu’un constituant dans la nurserie attenante à la stabulation. La vieille sert de litière, la fraîche garnit les râteliers à l’arrière du box.