« Nous récupérons l’eau des toitures pour l’abreuvement de nos vaches »
Le Gaec des Fermes voisines, dans le Doubs, dispose d’une citerne de récupération d’eau de pluie en béton pour alimenter les abreuvoirs. Assuré par une lampe à UV, le traitement de l’eau garantit une qualité sanitaire conforme depuis 2015.
Le Gaec des Fermes voisines, dans le Doubs, dispose d’une citerne de récupération d’eau de pluie en béton pour alimenter les abreuvoirs. Assuré par une lampe à UV, le traitement de l’eau garantit une qualité sanitaire conforme depuis 2015.
Avec ses sols karstiques très filtrants et des sources limitées, le département du Doubs est particulièrement touché en période de sécheresse. L’abreuvement des troupeaux en été y est une préoccupation récurrente. « Il n’est plus rare de voir nos sources et rivières se tarir en été… Certaines communes sont même ravitaillées en eau par camion-citerne pour faire face à la pénurie, témoignent Julien Maire et Mathilde Tirole, tous deux fraîchement installés sur un élevage de 45 montbéliardes à 7 000 kg de lait en filière AOP comté. Nous avons la chance que notre cédant, Christian Jeannerot, ait eu la bonne idée de mettre en place une citerne en béton de 180 m3 sous les logettes pour améliorer notre autonomie en eau. »
Lors de la construction de la stabulation des laitières en 2015, Christian a en effet imaginé une solution pour stocker l’eau pluviale à moindre coût. « Je me suis dit que c’était dommage de ne pas profiter de l’espace vide encadré par la fosse à lisier sous les caillebotis, se remémore-t-il. En créant le réseau et la réserve dès la conception du bâtiment, cela limite grandement le coût de construction de la citerne. Ici, il s’est limité à la dalle qui m’a coûté 6 000 euros à l’époque. »
En périphérie de la citerne, les murs en béton armé mesurent 30 cm d’épaisseur. « Il s’agit d’un béton spécifique résistant aux attaques acides. Il faut bien choisir son entrepreneur car peu de maçons sont capables d’assurer une étanchéité parfaite », précise l’ancien éleveur, aujourd’hui reconverti dans les travaux publics et en maçonnerie. La fosse récupère l’eau de la toiture du bâtiment principal (1 300 m2), mais également l’eau de deux autres toitures, collectée dans la citerne historique de l’ancienne ferme (30 m3) et deux citernes en polyester de 18 m3. Ces citernes aériennes datent des années 2000 et s’écoulent par gravité dans la grande citerne en béton.
La toiture du bâtiment principal est en bac acier. Il n’y a pas de véritable filtration avant la citerne, ce qui fut fatal à la première pompe immergée lors de la perte des feuilles en automne. Le problème a été résolu en la remplaçant par une pompe placée hors de la citerne. Elle est installée dans le local technique aménagé sous le quai de traite. « Désormais, on entend facilement s’il y a le moindre souci de fonctionnement », apprécie Christian.
La nouvelle pompe a été installée dans un local technique aménagé sous le quai de traite contigu à la citerne. Il comporte outre la pompe, le filtre, la lampe à UV, ainsi que le chauffe-eau et le bac de lavage. Tout a été conçu pour être hors gel.
La pompe distribue l’eau dans les abreuvoirs après passage par un filtre et par une lampe ultraviolet. « Ce mode de traitement de l’eau est encore peu connu en élevage », reconnaît Christian, qui a fait confiance à une entreprise locale spécialisée dans le traitement et la récupération d’eau de pluie pour les habitations.
Le filtre autonettoyant et à longue durée de vie se compose d’un mélange de substrats à base de charbon actif et de sables. « Ce mélange peut être renouvelé au bout de quatre cinq ans, mais depuis 2015, nous ne l’avons encore jamais fait. La stérilisation de l’eau est ensuite assurée par un traitement aux ultraviolets. La lampe doit être renouvelée une fois par an (100 €), c’est le seul consommable. »
L’eau distribuée dans les abreuvoirs est parfaitement claire et ne présente aucune odeur. Pour s’assurer de sa qualité sanitaire, une analyse est réalisée chaque année. « Il n’y a jamais eu de souci de conformité, témoigne Christian, convaincu de l’efficacité du traitement. Notre maison est équipée du même dispositif et nous buvons l’eau collectée sans problème ! »
Un entretien régulier et une surveillance quotidienne
La contrainte majeure tient à une surveillance quotidienne et à un entretien assidu tout au long de la chaîne. « Il faut vérifier le niveau d’eau, le fonctionnement de la pompe, le nettoyage fréquent des chéneaux et des filtres, etc. » La citerne est récurée une fois par an, l’accès se faisant par une trappe au niveau des logettes. Une fois les derniers litres d’eau aspirés, un brossage méticuleux au balai-brosse élimine les résidus et dépôts collés aux parois. Ils sont aspirés et un rinçage termine l’opération.
Parmi les améliorations possibles, la présence d’un filtre plus élaboré en amont de la citerne, sous forme d’une passoire inox en maille fine, permettrait de récupérer plus facilement les impuretés et limiterait la présence de matière organique qui risque de rendre le traitement moins efficace. Pour l’instant, c’est une simple mousse filtrante qui limite l’incorporation de feuilles, brindilles, etc.
« Bénéficier d’une infrastructure de stockage de l’eau de pluie est un plus sur l’élevage à l’heure du dérèglement climatique et des attaques de la société contre l’agriculture forte consommatrice d’eau, estime Mathilde Tirole. D’autant que cette ressource constitue un gros budget à l’échelle d’une l’exploitation. » Même s’ils ne sont pas complètement autonomes en eau, les éleveurs considèrent qu’ils font une belle économie. « Cet hiver, avec la citerne pleine après la fonte des neiges, nous avons pu tenir plus de six semaines en autonomie d’abreuvement sans nouvelle pluie signifiactive », illustre Julien Maire. « C’est variable selon les années, mais l’an dernier, avec une pluviométrie régulière, nous n’avons pas eu besoin de recourir à l’eau du réseau pour abreuver le troupeau », conclut Christian Jeannerot.
Côté éco
Le traitement aux UV coûte actuellement entre 6 000 et 8 000 €, hors main d’œuvre. Ce prix inclut tous les filtres, la pompe, le stérilisateur, la plomberie en cuivre, le régulateur de pression, le compteur, etc. La main d’œuvre revient environ à 2 000 euros.
Un entretien régulier est essentiel
Le fonctionnement du stérilisateur d’eau à ultraviolet est simple mais impose un changement de lampe régulier. Les UV ont un pouvoir bactéricide fort mais sans rémanence.
« Nous équipons depuis une dizaine d’années des particuliers et des communes avec notre stérilisateur d’eau UV. Les analyses chimique et bactériologique tous les deux mois attestent de l’efficacité du traitement en termes de potabilité de l’eau, validée par l’ARS », décrit Patrick Roy de Eco-Logis, entreprise spécialisée dans le traitement de l’eau. Une cinquantaine de fermes de Franche-Comté ont elles aussi choisi ce traitement, notamment pour l’abreuvement des animaux.
Renouvellement de la lampe et nettoyage de la gaine de quartz
Le traitement ultraviolet consiste en un traitement mécanique. L’eau passe d’abord dans un filtre en nylon de 100 à 400 microns, puis dans une bonbonne remplie de différents substrats (sable AG, zéolite, charbon actif) qui filtre les particules supérieures à 15 microns ainsi que les micropolluants (métaux lourds, etc.). Une vanne électronique permet un rétrolavage régulier de ce filtre, sans consommable. « Le substrat filtrant peut être changé au bout de quatre à cinq ans, selon l’intensité de l’utilisation. Au bout de sept ans, certains sont toujours en très bon état. »
Après cette filtration, l’eau est stérilisée en passant autour d’un tube transparent en quartz, éclairé en permanence par une lampe (à base de mercure) rayonnant des UV-C à une certaine fréquence afin de détruire virus, bactéries et champignons. Le tout est encapsulé dans un coffret réfléchissant en acier inoxydable dont les parois reflètent les UV. « Les lampes doivent impérativement être changées après 8 000 à 9 000 heures d’utilisation, et la gaine de quartz nettoyée régulièrement. » L’entretien des filtres, la hauteur des flotteurs, les cycles de rétrolavage et le nettoyage annuel de la citerne sont également essentiels à contrôler. Par rapport au traitement par le chlore, il n’y a pas de rémanence, mais cela ne pose pas de problème si l’eau est utilisée rapidement et en continu.
Avis d’expert : Isabelle Forgue, de la chambre d’agriculture interdépartementale Doubs-Territoire de Belfort
« Concilier autonomie et qualité de l’eau »
« Sur le département du Doubs, la mise en place de citernes de récupération d’eau de pluie connaît un fort engouement ces dernières années suite aux sécheresses et fortes chaleurs qui entraînent des difficultés d’abreuvement des troupeaux. L’achat de citernes ou leur réhabilitation ont été encouragés financièrement par les collectivités locales et l’État, notamment à travers le plan de relance. Dans le Doubs, plus de 240 dossiers de demandes de subvention ont été déposés auprès des conseils régional et départemental. Les citernes sont le plus souvent enterrées, ce qui nécessite des travaux de terrassement. Le dimensionnement des équipements se calcule en cohérence avec le nombre d’animaux présents et la surface de toit disponible. Il varie aussi en fonction de la pluviométrie locale. Pour une ferme moyenne de 90 UGB (53 vaches), la préconisation en capacité de stockage approche 150 à 200 m3 d’eau, avec une toiture de 2 000 m2. Sachant que la consommation moyenne d’un tel troupeau atteint environ 8 m3 d’eau par jour, l’autonomie en eau d’abreuvement atteint 60 à 70 %. »
Une analyse d’eau obligatoire par an
La qualité de l’eau fait partie des exigences sanitaires des quatre AOP fromagères franc-comtoises (comté, bleu de Gex, mont d’or et morbier), regroupées dans le passeport lait cru. Pour l’abreuvement, l’utilisation d’eau de gouttière non filtrée et non traitée, ainsi que celle de l’eau de mare et d’étang, n’est pas autorisée. Les points d’eau stagnante doivent être clôturés, et il ne peut y avoir d’accès direct aux rivières sans aménagement. Si l’abreuvement se fait avec de l’eau hors réseau, il est obligatoire de fournir une analyse d’eau par an. « Le comité interprofessionnel de gestion du comté va imposer une analyse d’eau par an au point de traite pour tout type d’eau afin de garantir la bonne qualité sanitaire de la filière, confirme Denise Renard, du CIGC. Cette analyse porte sur 32 germes (E. Coli, coliformes totaux et entérocoques intestinaux inférieurs à 1 UFC/ml) qui sont représentatifs de la qualité de l’eau. » Pour le nettoyage de la machine à traire et du tank, le passeport lait cru impose de l’eau potable.
Un guide pour optimiser l’abreuvement
Piloté par la chambre régionale d’agriculture Bourgogne-Franche-Comté, le projet Assecc (abreuvement : solutions et ressources en élevage face au changement climatique) vise à évaluer les besoins en eau des élevages et les disponibilités locales en fonction des caractéristiques de chaque territoire. « Des cartographies ont été établies par filière selon les saisons, précise Pauline Murgue, de la chambre d’agriculture régionale. Au cours de l’année, les consommations évoluent selon le type d’alimentation et les températures. » En outre, un guide de l’abreuvement va paraître en 2022. Il présentera les différentes solutions techniques pour optimiser l’abreuvement au champ et en bâtiment, dans le respect des exigences sanitaires et réglementaires (aménagement des parcelles et bâtiment, dimensionnement des ouvrages de stockage, positionnement et types d’abreuvoirs, solutions de traitement de l’eau, etc.). D’autres projets, notamment en Auvergne-Rhône-Alpes (Cerc’eau) s’intéressent également à la question de l’eau en élevage, avec la création de références.