Tendance de consommation
Mais où s'arrêtera la vague du "sans OGM" ?
Marché en plein boom, le lait issu de vaches nourries sans OGM est très demandé en Suède et en Allemagne. La France commence à développer des collectes spécifiques.
Marché en plein boom, le lait issu de vaches nourries sans OGM est très demandé en Suède et en Allemagne. La France commence à développer des collectes spécifiques.
La vague du lait issu de vaches nourries sans OGM touche la France. "L'Allemagne est le premier client de la France à l'export, notamment pour des fromages. Cet engouement des consommateurs allemands pour des aliments "sans OGM" est donc un enjeu majeur pour les transformateurs laitiers français", pointe Benoît Rouyer, économiste au Cniel. Des industriels se trouvent obligés de développer une collecte spécifique s'ils veulent conserver des contrats et leurs clients allemands. C'est par exemple le cas de Sodiaal, où trois sites sont concernés (Guingamp, Langres, Puy-en-Velay). Mi-juin, la coopérative comptait 200 éleveurs engagés dans le respect du cahier des charges allemand (label Vlog), avec une prime de 10 €/1000 l dès la période de conversion de trois mois. D'autres laiteries françaises développent aussi une collecte "sans OGM" pour des produits vendus en Allemagne, et d'autres laiteries ont de plus petits débouchés pour le marché français : Freiwald, Fromagerie Hutin, Triballat Noyal, Prospérité fermière, LSDH, Gillot Fléchard, Laiterie de Verneuil... La prime aux éleveurs engagés va de 6 à 10 €/1000 l.
En Allemagne, c'est un marché en plein boom. "En avril 2017, plus de 6000 produits disponibles sur le marché allemand étaient labellisés "Ohne Gentechnik" (sans manipulation génétique), représentant 4,4 milliards d'euros de chiffre d'affaires, dont 2,4 milliards pour les produits laitiers. C'est environ 15% du marché allemand des produits laitiers !", développe Benoît Rouyer. Depuis l'été 2016, Lidl en Allemagne commercialise exclusivement du lait issu de vaches nourries sans OGM ; et depuis l'automne 2016, les fromages. En Suède, tous les produits laitiers d'Arla foods sont certifiés "sans OGM". Pour inciter les producteurs d'Arla des autres pays à s'engager dans le "sans OGM", la coopérative a mis en place il y a un an une prime de 10 €/t lait pour les éleveurs engagés.
Le consommateur français en demandera-t-il ?
Et en France ? Les consommateurs sont-ils réceptifs au "sans OGM" ? Y aurait-il aussi un marché ? Selon Véronique Pardo, du Cniel, la dernière enquête de 2016 sur les inquiétudes alimentaires montre que la question des OGM fait son apparition - par rapport à l'enquête de 2010 - mais reste marginale concernant les produits laitiers. Mais attention, ce n'est pas parce que cette attente n'a pas été exprimée que ce n'est pas une réelle attente des consommateurs, comme l'avait exposé le directeur qualité et développement durable de Carrefour lors des dernières Journées GTV. Il citait à titre d'exemple, le succès de leur poulet fermier d'Auvergne "sans OGM" et "sans antibiotique" qui a engendré quatre fois plus de ventes que prévu (1 million vendu/an), alors que "cette attente , les études ne l'avaient pas démontrée. Tout l'enjeu pour nous distributeurs est d'essayer de comprendre ce que le consommateur attend sans être capable de le dire clairement".
D'autres questions se posent. Le "sans OGM" deviendra t-il une norme pour le lait ? "Il faut rester vigilant. Comme ce qui s'est passé pour les œufs de poules, une démarche peut vite devenir une nouvelle norme", prévient Benoît Rouyer. À quel prix ? Le développement du "sans OGM" peut se heurter à la disponibilité en protéines non OGM et donc à son prix. "S'il y a un dérapage inflationniste, il faudra augmenter la prime aux éleveurs. Mais dans ce cas-là, le consommateur suivra-t-il toujours ? En Suède, les systèmes d'élevage étaient très proches du cahier des charges, basés essentiellement sur l'ensilage d'herbe et le tourteau de colza. En Allemagne, la filière des biocarburants est une source de compléments protéiques. Mais la politique énergétique en Europe évolue et pourrait changer la donne", expose Benoît Rouyer.
Les AOP laitières réagissent
Quel impact sur le bio ? Le bio garantit une alimentation sans OGM. Mais comme la production peine à suivre la demande en produits laitiers bio, le "sans OGM" pourrait prendre des parts de marché au bio.
Quel impact sur les autres signes de qualité ? Si le consommateur français en demande, le sans OGM deviendra une norme des signes de qualité. Certaines AOP laitières exigent déjà une alimentation sans OGM du troupeau. Les autres s'interrogent, à l'image des AOP fromagères normandes. Lors de la dernière assemblée générale de l'Union des producteurs de lait AOP camembert de Normandie, livarot et pont l'évêque, un éleveur s'est exprimé ainsi : "Je pense que le consommateur imagine qu'une AOP est forcément "sans OGM". Il y a un risque à ne pas inclure une obligation "sans OGM" dans nos cahiers des charges. On peut facilement se passer des OGM dans nos systèmes d'élevage." Benoît Duval, le président, acquiesce : "Il faut y aller, mais une révision du cahier des charges est longue à mettre en œuvre. Producteurs et transformateurs, nous pouvons déjà mettre en place des solutions sans attendre, comme le montre l'exemple de Gillot Fléchard avec un lait sans OGM en Filière qualité Carrefour fabriqué avec des excédents de lait AOP (lire Réussir lait n°314 de juin 2017, page 19)." Il ajoute qu'il faudra aussi travailler sur la valorisation de la viande. "Aujourd'hui, il n'y a pas de filière."
Le "sans OGM" est réglementé
Une réglementation existe depuis 2008 en Allemagne et depuis 2012 en France. En France, un lait certifié doit provenir d'un animal nourri sans OGM (jusqu'à 0,1% ou 0,9% de contamination accidentelle) depuis au moins six mois. En Allemagne, la loi impose un délai de trois mois et un niveau de contamination accidentelle possible jusqu'à 0,1%. En Allemagne, le label "Ohne Gentechnik" (sans manipulation génétique), créé par le ministère de l'Agriculture, est géré par l'association Vlog.
"Le "sans OGM" nous conduit à plus d'autonomie protéique"
Les 51 exploitations laitières de la coopérative Lait Bresse Val de Saône, dans l'Ain, livrent la Laiterie Saint Denis de l'hôtel (LSDH) qui transforme et conditionne leur collecte (26 millions de litres) en lait de consommation sous deux marques : C'est qui le patron et le lait de la Bresse et du Val de Saône. Ces deux marques garantissent un lait issu de vaches nourries sans OGM. "Aujourd'hui, les 51 exploitations adhérentes de la coopérative sont certifiées sans OGM", assure Martial Darbon, président de la coopérative.
Cette année a été propice à une alimentation sans OGM. "Une très bonne pousse de l'herbe, de qualité. Je dirais qu'à 98%, les adhérents utilisent en complément de leurs fourrages, du tourteau de colza, des drêches de blé, voire des drêches de brasserie. On évite le soja non OGM, très coûteux." Martial Darbon est optimiste sur la capacité des élevages français à produire du sans OGM en se passant du soja non OGM.
Éviter le tourteau de soja non OGM
Les éleveurs de la coopérative font davantage d'ensilage d'herbe précoce complémenté par du maïs épi. Ils produisent plus de fourrages riches en protéines : luzerne, trèfle, pois, méteil... "Nous voulons améliorer l'autonomie protéique de nos élevages. C'est grâce à notre prix du lait (390 €/1000 l sur les volumes valorisés par les marques, soit près de 95% de la collecte depuis juin dernier) que nous essayons plein de solutions. On peut se permettre de remplacer des cultures de vente par plus de prairies ou d'autres cultures fourragères, de prendre du temps, d'avoir des loupés... Bref, un prix du lait motivant rémunère notre recherche."
Le rêve de la coopérative ?Être certifié "alimentation 100% française". "Des PME commencent à s'intéresser à produire du tourteau régional", espère Martial Darbon.