Communication
Les éleveurs parlent aux consommateurs !
Journées portes ouvertes, événements culinaires, tenue d’un blog… Il existe différentes façons de recréer du lien avec les consommateurs et de parler de son métier.
Journées portes ouvertes, événements culinaires, tenue d’un blog… Il existe différentes façons de recréer du lien avec les consommateurs et de parler de son métier.
Les agriculteurs ne représentent plus que 1 à 2 % de la population, et ils se sentent à juste titre incompris, très mal connus et reconnus. Les motivations pour communiquer vers l’extérieur sont diverses : montrer le rôle de l’élevage dans l’économie et l’entretien des paysages, pour se défendre contre une urbanisation qui exclut les agriculteurs, pour répliquer aux opposants radicaux à toute forme d’élevage, ou tout simplement pour faire reculer l’ignorance sur ce qu’est l’élevage aujourd’hui. L’objectif recherché est aussi de valoriser son métier, sa production, son impact sur le territoire, se sentir mieux considéré. Et pour certains, il s’agira de mieux vendre leurs produits en vente directe.
Les éleveurs d’aujourd’hui ont donc un fort besoin de communiquer, individuellement ou collectivement. "La communication, c’est nouveau pour nous. Les éleveurs sont plutôt des taiseux ; ils ne se racontent pas. Mais aujourd’hui, cela devient vital, pour établir des liens directs avec les consommateurs. Nous ne devons pas laisser nos laiteries faire la communication à notre place, et se servir de notre image", a lancé Marie-Laure Bechepois, présidente de la commission communication de Sunlait, à l’assemblé générale de l’OP Cleps Ouest de mars dernier.
S’investir en tant qu’élu ou dans un groupe
Communiquer en groupe, c’est aussi la voie que choisissent des agriculteurs de Geda. La communication était précisément un des thèmes du dernier Festival des groupes organisé par la FNGeda avec l’appui de Trame, et Jean-Marc Deshommes, éleveur et président du Geda de Châteaugiron, accueillait les agriculteurs participants à ce circuit. "Nous utilisons certes 80 % du territoire, mais avec l’urbanisation, on ne peut plus raisonner comme si nous étions maîtres sur ce territoire. Nous devons prendre en compte les attentes des habitants. Ma ferme se situe dans la première ceinture de Rennes. L’urbanisation galopante, je connais. Sur trois communes, c’est 130 maisons en plus par an ! Et même si le plan d’urbanisme aujourd’hui prend plus en compte l’emprise au sol et vise à densifier le centre bourg, il faut défendre les terres agricoles. L’impact de cette pression, c’est l’impossibilité de s’agrandir et c’est la perte de foncier, avec des conséquences pour l’avenir de l’agriculture familiale périurbaine, pourtant chère aux urbains. Il faut donc avoir des élus du milieu agricole dans les communes et les intercommunalités. Il faut communiquer sans cesse vers le grand public sur l’importance de l’agriculture et de l’élevage, et sur nos pratiques et nos contraintes." Il est élu municipal, président du Geda local qui organise des opérations de communication, entre autres responsabilités. Pour pouvoir s’engager, il fait en sorte de se libérer du temps : "un système laitier simple pour travailler dans de bonnes conditions et pouvoir facilement me faire remplacer."
Lors du Festival des groupes, une animatrice d’un groupe d’éleveurs a fait part de son embarras. "La coopérative laitière de mes adhérents nous conseille de ne plus ouvrir nos fermes au public. Elle a peur des images volées par les associations de type L214, et détournées pour une communication à charge contre les éleveurs." Les autres éleveurs l’ont encouragée à ne pas céder à la peur : "ce n’est pas une solution, au contraire. Il ne faut pas se fermer, sinon on ne peut pas donner d’information sur nos métiers, et on rompt le lien avec les consommateurs."
Le numérique révolutionne la communication
D’autres communiquent à titre individuel. Animateurs de blog, de page Facebook, ou twittos, de plus en plus d’éleveurs se saisissent des outils numériques pour s’exprimer et raconter la vie sur la ferme, comme Vincent Luherne et Élodie Le Mailloux, actifs sur Twitter (lire Réussir Lait n° 311 de mars 2017, page 82). Le numérique offre aussi la possibilité pour réagir directement sur les pages internet qui véhiculent des informations fausses, ou des attaques (lire Réussir Lait n° 310 de février 2017, page 15).
La vente directe est aussi un bon moyen de communiquer. Et ce lien avec le consommateur peut prendre une forme très différente de l’échange qui a lieu sur la ferme ou sur le marché. "Avec le site Monpotager.com, nos clients s’approprient le produit : ils choisissent les variétés et plantent leur potager virtuel sur la plateforme internet (25 000 inscrits). Cela nous permet de savoir très précisément ce qu’ils veulent. Les clients nous interrogent, et nous parlons par exemple des interventions à effectuer ; cela restaure la confiance", a indiqué Thierry Desforges, fondateur du site, au Sima lors d’un débat sur l’apport du numérique en vente directe.
La ferme accueille le grand public, les élus, les scolaires
En Ille-et-Vilaine, le Geda de Châteaugiron commence à avoir une expérience solide en matière de communication. Les Terriales sont une association dont le Geda de Châteaugiron est le principal partenaire. C’est une grande fête cantonale qui a lieu tous les quatre ans sur une exploitation. "Les comices agricoles s’essoufflaient. Le grand public ne venait plus, on perdait le lien entre eux et nous. Les éleveurs se sentaient mal compris, avec des réflexions sur l’odeur du lisier et la gêne sur les routes. L’enjeu est de maintenir un lien social, pour se comprendre, et réussir à partager l’espace dans le respect. À l’époque, les Terriales ont déposé un CTE avec un financement pour l’animation, et ont reçu l’appui du réseau FNGeda et de Trame", expose Jean-Marc Deshommes, président du Geda. Les Terriales proposent toutes sortes d’activités : course de poney, danse folklorique de la moisson, démonstration de traite, baptême de tracteur, marché de producteurs, randonnée et halte gourmande à la ferme, pièce de théâtre, conférence… Le budget de 40 000 euros est financé pour moitié par les communes et pour moitié par le conseil départemental, le bénéfice réalisé par les Terriales et des sponsors ?????, dont la chambre d’agriculture.
Jusqu’à 600 enfants en une journée
Le bénéfice des Terriales sert à financer un autre événement : la journée des enfants à la ferme. Chaque année, une exploitation accueille jusqu’à 600 scolaires d’une dizaine d’années sur une journée ! Soixante-dix agriculteurs animent des ateliers, sur le fonctionnement du sol, comment on fabrique de la farine, du beurre… "Il faut que ce soit ludique et que les enfants participent. Le but est qu’ils fassent le lien entre ce qu’ils mangent et l’agriculture, et qu’ils connaissent mieux ce qu’est une ferme."
Enfin, des membres du Geda font venir des élus sur une ferme pour les informer sur les évolutions des structures et les évolutions réglementaires. "Nous leur montrons les enregistrements que l’on doit effectuer, le local phyto… Nous avons fait venir l’administration qui a fait une intervention sur les contrôles. On voit une évolution positive, les élus comprennent mieux l’agriculture. Les dossiers installations classées passent mieux", expose Cécile Planchais, du Geda.
Des randonnées pour créer du lien
Dans l’Orne, des groupes d’éleveurs ont monté des groupes de randonnées : "Partie de campagne", "Rando fermes"… "Par exemple, Partie de campagne est portée par cinq agriculteurs ; je viens juste en appui technique", indique Jérôme Grosjean, de la chambre d’agriculture de l’Orne. Tous les ans, environ dix jours de randonnées sont organisés. Une randonnée compte cinq ou six étapes. Le groupe de cinq agriculteurs démarche des agriculteurs, des entreprises locales, ou du patrimoine pour recevoir les randonneurs sur les étapes. "Les randonneurs sont des agriculteurs, des retraités et des gens hors milieu agricole. Ce sont souvent les mêmes qui se retrouvent. Cela crée des liens entre eux."
Les Toqués de Janzé, un événement porté par une coopérative
Des idées sont à prendre dans d’autres productions. La coopérative des fermiers de Janzé (170 exploitations) a peu de moyens de communication. Qu’à cela ne tienne, elle a des idées pour faire parler d’elle et gagner en notoriété. En 2016, elle transforme la fête du chapon qui se déroulait à Janzé, en un événement alliant éleveurs et chefs cuisiniers : Les Toqués de Janzé, en plein cœur de Rennes. Dans la halle Martenot, il y a des jeux et des éclosions d’œuf en direct, ainsi que des ateliers culinaires et des combats de chefs animés par des chefs locaux. Les éleveurs s’impliquent en participant au montage et aux animations. Ils échangent avec les consommateurs et une visite de ferme est organisée. "Cet événement valorise le métier des éleveurs et des cuisiniers. Il a aussi créé une cohésion chez les éleveurs et leur apporte de la motivation", souligne Stéphane Letué, directeur de la coopérative.
Ils ont dit
• "Porter un projet positif en temps de crise, ça requinque !"
• "Ces opérations redonnent de la fierté, c’est valorisant, et ce sont des moments de convivialité."
• "Les événements créés et animés par les groupes permettent aussi de réunir les agriculteurs et de recréer du lien entre nous !"
• "Si on ne se fait pas comprendre du grand public, c’est peut-être qu’on a encore des choses à comprendre concernant leurs attentes."
• "Expliquer comment on travaille, tout simplement, ça désamorce déjà beaucoup d’attaques. Ils sont surpris de tout ce qu’on a à faire et à justifier."
Entendus lors du Festival des groupes"RACONTER ET ne pas enjoliver"
David Butler, social média et web manager chez Alltech (1), apporte quelques conseils sur Comment communiquer ? "Donner des informations brutes ne suffit pas. Ce qui fonctionne bien, c’est de raconter votre histoire, votre quotidien. Etre trop positif est contre productif ; les consommateurs ne vous croiront pas. Il faut raconter les choses telles qu’elles sont, et ne pas enjoliver."
Il conseille une communication directe, "de personne à personne, c’est le plus efficace. En ouvrant sa ferme. Sinon, ou en plus, tenir un blog ou être présent sur les médias sociaux : Facebook, twitter, instragram… Les médias sociaux sont une bonne arme".
Faire vivre des expériences positives
Il rappelle qu’il ne faut pas que les agriculteurs soient perçus comme des gens qui se cachent et qui cachent des choses. "Les gens veulent savoir comment ça fonctionne dans une ferme, comment c’est produit."
De plus en plus d’agriculteurs s’intéressent à la vente directe. Mais pour développer une activité suffisante, il faut savoir communiquer : tracts, porte ouverte, événement festif, site internet, réseaux sociaux… "Certains attirent les gens en créant des événements : fête, loto, concours photo. D’autres créent une nouvelle activité ludique sur la ferme : vaches à caresser, parcours sportif, parc d’attractions ! Les gens veulent à la fois comprendre comment les aliments sont produits, et passer un bon moment. Faites leur vivre une expérience positive !"
(1) Lors d’une intervention lors du congrès Alltech en Normandie.