L’épigénétique, un nouveau levier d’amélioration
Mieux contrôler l’expression du potentiel
génétique en reliant les « marques » épigénétiques
à divers facteurs de la conduite d’élevage : c’est tout
l’enjeu de cette nouvelle science.
LA VACHE PENDANT
LA GESTATION
peut modifier
les « marques
épigénétiques »
et ainsi avoir
un impact sur
le veau à naître.
Comment expliquer que toutes les cellules d’un individu ne sont pas identiques alors qu’elles possèdent le même patrimoine génétique ? Pourquoi n’utilisent- elles pas cette information génétique de la même façon? La réponse est à chercher dans l’épigénétique et les «marques » épigénétiques (modifications chimiques de l’ADN ou des protéines qui lui sont associées).
Ces marques viennent s’apposer sur le génome en des sites précis. « Elles ne modifient pas le génome mais apportent une strate d’informations supplémentaires qui guident l’expression des gènes, a expliqué Hélène Jammes, de l’Inra Jouyen- Josas, aux Rencontres Recherche Ruminants (3R). Une image simple: le livre de cuisine représente le génôme, avec des recettes à chaque page pour chaque gène, et des post-it collés sur les pages à lire. Les post-it sont les marques épigénétiques. Comme les post-it, ces marques se posent sur la molécule d’ADN mais ne modifient pas sa séquence, tout en permettant une sélection et une lecture dirigée de l’information génétique ».
Si l’épigénétique suscite aujourd’hui tant d’intérêt en filière bovine, c’est que ces marques épigénétiques sont impliquées dans l’expression du potentiel génétique (phénotype) et sont modifiables en fonction de l’environnement, avec des conséquences à plus ou moins long terme. « Ces marques, qui sont héritables, agissent comme une véritable « mémoire » de l’environnement (nutrition, stress…), en orientant ou non l’expression des gènes ».
Elles peuvent expliquer pourquoi certaines vaches à haut potentiel mises dans certaines conditions d’élevage n’arrivent pas à exprimer pleinement leur potentiel.
Des conséquences épigénétiques sur plusieurs générations
Les modifications des marques épigénétiques liées à l’environnement peuvent être enregistrées dès la vie foetale. De nombreuses données montrent que, dès les stades précoces du développement de l’embryon, la nutrition maternelle a des effets à long terme sur le phénotype des animaux et sur la santé chez l’homme.
Ainsi, un bilan énergétique négatif en début de lactation d’une vache gestante pourrait conduire à une prédisposition de la descendance à des problèmes métaboliques à l’âge adulte.
D’autres données montrent qu’on peut également impacter la descendance via la nutrition paternelle. On sait aussi que des marques épigénétiques spécifiquement mammaires se mettent en place et d’autres s’effacent tout au long du développement de la glande mammaire (qui commence dès la vie foetale et se poursuit tout au long des gestations). Ainsi la monotraite(1) ou l’inflammation lors des mammites ont des effets à long terme sur le développement mammaire et la lactation.
Plus étonnant encore, chez l’homme, les conséquences épigénétiques peuvent être transgénérationnelles et s’exprimer sur plusieurs générations. Transposé à l’élevage, non seulement l’alimentation déséquilibrée d’une vache gestante pourrait avoir un impact sur la santé ou la production de sa fille, mais aussi sur celles de sa petite fille, sans que celle-ci ait été exposée in utero au stress alimentaire.
Donner des compléments alimentaires à des moments clés
L’épigénétique ouvre donc de nouvelles perspectives. Car si les interactions génotype- milieu et l’effet maternel sont connus depuis longtemps, elle permet de comprendre les mécanismes qui soustendent ces interactions et ainsi d’intervenir.
En agissant sur des paramètres de la conduite d’élevage, il sera possible de modifier les marques épigénétiques, et donc de contrôler l’expression du potentiel génétique.
Mais tout un travail de caractérisation de ces marques reste à fournir. Il consiste à relier les marques épigénétiques à des facteurs environnementaux. C’est tout l’enjeu de la nutrition adaptée au statut de l’animal, à l’étude dans différentes stations expérimentales de l’Inra (projet GenEpi(2)).
L’objectif est de définir les moments précis (tarissement, postvêlage…) pendant lesquels des apports nutritionnels donnés (compléments alimentaires) peuvent influencer la production laitière, la reproduction et la santé des mères, mais aussi le développement du veau in utero et donc la santé de la descendance. Les travaux en cours se proposent de chercher ces signatures épigénétiques au niveau des cellules du sang afin de développer des outils d’épigénotypage (et de les associer aux outils de génotypage).
Restera à imaginer comment la connaissance de l’épigénôme pourra s’inscrire dans les schémas de sélection.
(1) D’après une étude menée sur huit primipares, l’épigénétique pourrait expliquer les effets rémanents d’une semaine de monotraite sur la lactation en cours (- 1,1 kg de lait) et son faible impact sur la lactation suivante (Eve Devinoy-Inra). (2) entre quatre équipes : Inra, 3 UE/IE-Inra, Groupe Pilardière et Codelia.