En Nouvelle-Zélande, le tabou de l’intensification de la production laitière
La conversion de terres autrefois dédiées à l’élevage ovin ou bovin viande a atteint ses limites en Nouvelle-Zélande. L’irrigation y est massive, la pollution des eaux aux nitrates inquiète les autorités et le maïs complémenté au tourteau de palmiste fait de plus en plus partie du paysage.
La conversion de terres autrefois dédiées à l’élevage ovin ou bovin viande a atteint ses limites en Nouvelle-Zélande. L’irrigation y est massive, la pollution des eaux aux nitrates inquiète les autorités et le maïs complémenté au tourteau de palmiste fait de plus en plus partie du paysage.
À l’arrivée par avion, l’image verte et vertueuse de la Nouvelle-Zélande commence déjà quelque peu à battre de l’aile. De larges bandes jaunies contrastent avec des parcelles d’un vert éclatant. Une fois atterri sur le plancher des vaches dans la région du Canterbury, sur l’île du Sud, impossible de louper les immenses pivots d’irrigation. Ils fonctionnent sur les prairies de nuit comme de jour alors que la température talonne les trente degrés en cette belle journée d’été. « S’il n’y avait pas d’irrigation, il n’y aurait rien à pâturer », décrypte James Mayer, de la ferme Ashley Deen de la Lincoln University. C'est ce qu'il a expliqué à un groupe de responsables professionnels lors d'un voyage d'études en Nouvelle-Zélande. Celui-ci a été organisé en février 2023 par Agrilys, agence de voyage spécialisée dans les voyages d’étude pour les professionnels de l’agriculture, et l'Institut de l'Elevage.
Côté éco
Les coûts des infrastructures d’irrigation avoisinent 300 à 1 200 dollars par hectare, estime Ted Rollinson, éleveur laitier dans la région du Canterbury.
Dans tout le pays, la superficie des terres irriguées a doublé entre 2002 et 2019, passant de 384 000 à 735 000 hectares. Près des trois quarts de cette augmentation est liée aux exploitations laitières, indique le ministère de l’Environnement dans son rapport Our freshwater 2023.
Une qualité d’eau qui se dégrade
Les sols de la deuxième région laitière néozélandaise – après le Waikato dans l’île du Nord et devant le Southland à l’extrême sud du pays – sont argilo-sableux, très légers et propices au lessivage.
« Les analyses sont bonnes. » Difficile d’en savoir plus lorsque l’on s’aventure sur le terrain des nitrates. Les éleveurs néozélandais comme les professionnels deviennent rapidement avares de chiffres.
Au niveau des autorités, les chiffres sur l’eau potable manquent. « En Nouvelle-Zélande, la surveillance des nitrates dans l’eau potable était limitée avant l’entrée en vigueur de la loi sur les services de l’eau de 2021 », peut-on lire dans le rapport Addressing risks associated with nitrates in drinking water publié en mai par le ministère de l’Environnement.
Une pollution aux nitrates qui s’accroît
L’estimation de la tendance des niveaux de nitrates dans les sources d’eau est réalisée à partir des données de surveillance des eaux de surface (rivières et lacs) et des eaux souterraines. Selon le rapport Our freshwater 2023, « 19 % des 433 sites de surveillance des eaux souterraines n’ont pas respecté les normes de qualité de l’eau potable pour les nitrates et l’azote à au moins une occasion entre 2014 et 2018 ». Les statistiques gouvernementales indiquent également qu’entre 2016 et 2020, 69 % des cours d’eau néozélandais présentent des concentrations d’azote modélisées indiquant un risque de dégradation de l’environnement.
En Nouvelle-Zélande, le lien entre l'élevage laitier et la pollution des eaux aux nitrates est clairement établi. Parmi les facteurs cités dans le rapport Addressing risks associated with nitrates in drinking water figurent en bonne place « l’augmentation du nombre de vaches laitières » qui a bondi de 82 % entre 1990 et 2019 et « l’augmentation des ventes et de la distribution d’engrais azotés » alors que la fertilisation azotée minérale est limitée à 190 kg N/ha.
« Les exploitations à dominante laitière sont celles qui ont épandu la plus grande quantité d’azote : 67 % de l’ensemble des exploitations », précise le ministère. Tout particulièrement, les exploitations laitières du Canterbury et du Waikato. Pour le Canterbury, il s’agit d’une augmentation de 306 % entre 2002 et 2019.
No more dairy
« Dans le Canterbury, notre objectif n’est pas de diminuer notre fertilisation minérale, décrypte Chris Irvine, de Fonterra (première coopérative laitière néozélandaise). Mais qu’elle soit utilisée au mieux pour limiter les pertes. » Il explique que les prélèvements pour le Canterbury sont au-dessus des normes et bloquent le développement du lait dans la zone. Un propos corroboré par Nick Martin, de la Rabobank : « Dans le Canterbury la production laitière a atteint son maximum. » Avant d’ajouter : « C’est aussi le cas dans tout le pays. La croissance laitière, c’est terminé. »
La réglementation s’est et va rapidement se durcir. Dans ces îles à la politique libérale assumée, le développement du secteur n’a été que peu suivi en termes réglementaires. « Lorsque j’ai converti mon exploitation de grandes cultures en lait dans les années 1980, il n’y avait aucune régulation, confie un éleveur du Canterbury. J’ai appelé l’administration pour savoir ce que je devais mettre en place pour la gestion des effluents. Leur réponse a été : Que voulez-vous faire ? … OK faites comme ça alors ! »
Compétition pour l’eau
Ici, ce sont les régions et non le gouvernement qui sont aux manettes pour un certain nombre de décisions. « Dans le Southland, nous n’avons pas de limites pour les nitrates pour les cours d’eau des fermes et il n’y a pas de normes nationales », explique Fiona Young, responsable bassin versant à l’équivalent de l’Agence de l’eau du Southland, en ajoutant que « dans deux ans, la limite sera très probablement plus drastique que les 190 kilos d’azote minéral par hectare qui est une limite nationale ».
« Aujourd’hui, la législation est de plus en plus drastique sur l’eau tant en qualité qu’en quantité », témoigne Rhys Roberts, directeur général de Align Farms (structure de dix fermes laitières comptabilisant 4 000 vaches).
« Maintenant c’est 'slow water' », confirme Fiona Young, responsable bassin versant à l’équivalent de l’Agence de l’eau du Southland. « Nous réduisons les flux d’approvisionnement en eau, la transition n’est pas facile. » Depuis trois ans, cette région du sud de la Nouvelle-Zélande connaît des épisodes de sécheresse. Alors des essais sur de nouveaux cultivars de graminées sont en cours pour gérer les irrégularités du climat.
Des prairies sans diversité et du maïs
Le système traditionnel herbager néozélandais est simple : du ray-grass, souvent associés au trèfle blanc, arrosé d’azote. Les rendements sous irrigation sont importants : « Jusque 23 t MS/ha avec une moyenne de 20 t MS/ha », explique Ted Rollinson, éleveur du Canterbury. L’été, la moyenne de pousse par jour oscille entre 70 et 120 kg MS/ha. « Ici le ray-grass pousse, alors pourquoi faire autre chose ?, rétorque-t-il. Le progrès génétique va nous permettre de le rendre plus résistant au manque d’eau. »
Avec des prix du lait incitatifs, faute de pouvoir augmenter leur cheptel ou d’agrandir leur structure (le prix du foncier est prohibitif), les éleveurs sont tentés de se lancer dans le maïs. Les surfaces se développent au nord comme au sud. « Nous faisons de plus en plus de maïs car cela permet d’améliorer rapidement la production », illustre Rhys Roberts, d’Align Farms. Ses rendements, en irrigué, atteignent 27 t MS/ha avec une densité de 11 000 pieds par hectare.
Cette introduction du maïs dans les rations implique de nouveaux investissements mais aussi plus de complémentation à base, principalement, de tourteau de palmiste issu de l’exploitation de l’huile de palme.
Accord de libre-échange : faut-il avoir peur de la Nouvelle-Zélande ?
L’accord de libre-échange en route entre l’Europe et la Nouvelle-Zélande n’a pas manqué de faire réagir les filières d’élevage françaises qui y voient un risque pour leurs secteurs. L’accord ajouterait quelque 15 000 tonnes de beurre, en plus du quota déjà existant de 74 700 tonnes. Pour le fromage, c’est 20 000 tonnes qui s’ajouteraient aux 11 000 tonnes de quota déjà existantes.
Pourtant, les contingents déjà accordés sont loin d’être remplis. Sans parler de la distance qui nous sépare alors que des marchés en croissance sont logistiquement plus facilement accessibles.
Regarder vers la Chine
Le risque vient plutôt du marché chinois. Il concentrait, en 2021, 38 % des exportations néozélandaises de produits agricoles. La moitié du lait y est exportée. « Nous sommes trop dépendants de la Chine. Nous avons des problèmes quand la Chine a des problèmes », résume Nick Martin, de la Rabobank.
En cas de fermeture du marché chinois, pour des raisons géopolitiques par exemple, la Nouvelle-Zélande devra envoyer ses produits ailleurs. C’est là la raison d’être des accords commerciaux qu’elle multiplie avec ses alliés qui ne sont pas toujours d’importants partenaires commerciaux. Elle est prévoyante.
Fiche élevage
La Nouvelle-Zélande laitière
21,9 millions de tonnes de lait produit
39,5 de MP et 50,1 de MG
11 000 exploitations
4,9 millions de vaches
440 VL/exploitation en moyenne
Chargement de 2,86 VL/ha
Impossible d’atteindre les objectifs climatiques de l’accord de Paris
« C’est plus que ce que nous pouvons faire », lâche Nick Martin, manager pour la région du Canterbury à la Rabobank (principale banque agricole de Nouvelle-Zélande). Selon l’expert, impossible d’atteindre les engagements de réduction de gaz à effet de serre (GES) de son pays pris à la suite des accords de Paris (COP 21) : -10 % d’ici 2030 et selon les productions agricoles entre -24 et -47 % d’ici à 2050 par rapport à 2017. Pour y parvenir, le gouvernement travailliste envisage de taxer les émissions de GES agricoles en incluant les exploitations laitières de plus de 50 vaches, soit leur quasi-totalité. Le projet n’est à ce jour pas encore adopté. Outre la réduction des GES, les agriculteurs ne peuvent pas compter sur l’augmentation du stockage de carbone pour améliorer leur bilan. La séquestration du carbone dans les prairies n’est pas prise en compte.