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groupe Zéro Clivages en Dordogne
Des éleveurs expérimentent la sortie du glyphosate

Pour supprimer le désherbage, des éleveurs laitiers testent des associations de maïs-légumineuses et des couverts permanents conduits en agriculture de conservation.

Konrad Schreiber, agronome spécialiste de l’agriculture de conservation, n’en démord pas : « Un : le travail du sol est responsable de la dégradation environnementale. Deux : le sol nu est une hérésie, il faut mettre du végétal partout. » Ces deux fondamentaux de l’agriculture de conservation, outre les rotations culturales, seront au cœur de l’agriculture de demain, croit-il. Mais, jusqu’ici, cette agriculture, qui fait la part belle au semis direct, s’est largement appuyée sur le glyphosate pour maîtriser les adventices et détruire les couverts végétaux. On connaît les débats dont fait l’objet cette molécule emblématique et les menaces d’interdiction qui pèsent sur elle. L’agronome expérimente avec des groupes d’agriculteurs de « nouveaux modèles » de gestion du désherbage où la chimie ne serait pas totalement absente, mais seulement « un outil pompier » pour sauver une récolte. Un groupe de recherche participative d’une dizaine d’éleveurs, nommé Zéro Clivages (voir ci-contre), s’est ainsi constitué en Dordogne. Il a mené en 2017 ses premières expérimentations, dont certaines s’avèrent concluantes et non moins décoiffantes.

Faire du maïs « une culture multiespèce autonettoyante »

« Tout le monde pense que c’est par le travail du sol qu’on va régler un problème de désherbage, regrette Konrad Schreiber. C’est une erreur fondamentale. On va lutter contre les adventices en supprimant le travail du sol, en le couvrant en permanence et en faisant de la lutte biologique avec des combinaisons de plantes contre d’autres plantes. La prairie multiespèce est le premier système productif, qui fonctionne sur ces principes, sans chimie. Le soleil ne touche jamais le sol et, pourtant, les plantes poussent très bien. Les racines sont toujours actives et 60 % de la masse végétale produite retourne au sol, par renouvellement rapide des feuilles et des racines. Pour pousser sans engrais, la prairie a besoin de 60 % de légumineuses, qui se comportent comme un moteur à azote très efficace".

"Notre idée a été d’analyser ce qui marche si bien avec la prairie pour l’adapter aux grandes cultures. Pour s’affranchir du désherbage, le maïs doit devenir une culture multiespèce autonettoyante. Nous avons copié le système de la prairie en associant le maïs avec des légumineuses à hauteur de 50 % environ et en choisissant des espèces qui couvrent rapidement le sol et montent en hauteur pour gagner la bataille dans la croissance contre les adventices. »

Du maïs associé à des haricots exotiques (lablab, cowpea)

Parmi les essais réalisés l’an dernier, le mélange le plus spectaculaire est sans doute l’association d’une variété de maïs  avec un haricot africain, le lablab ou pois dolique d’Égypte. Les deux espèces ont été implantées ensemble en semis direct début juillet (80 000 grains/ha pour le maïs d’indice 180, 20 kg/ha pour le lablab, 3 tours d’eau) après une orge d’hiver et récoltées en ensilage début novembre. « Au pied, le sol était propre. La masse végétale étouffe les adventices par absence de lumière. Les plantes compagnes ne posent aucun problème au maïs : il pousse et forme correctement le grain tout en servant de tuteur au haricot », constate Konrad Schreiber. Ce mélange a été comparé selon deux modalités : avec et sans désherbant ; la maîtrise des adventices s’est avérée comparable.

D’autres essais ont été réalisés avec du cowpea (ou pois à vaches), un autre haricot d’origine tropicale. Les deux légumineuses ont été associées aussi à du sorgho. Parfois, de la féverole y était rajoutée. Le meilleur mélange (maïs, lablab, cowpea) a donné des résultats honorables (11 t de MS/ha en 4 mois de végétation, 30 % de MS, 15 % de MAT, 94 PDIN et 80 PDIE) sauf pour la valeur énergétique (0,7 UFL), mais les équations de calcul ne sont pas adaptées à un tel mélange. « Il faut encore travailler les itinéraires techniques, mais l’objectif d’avoir un maïs mélange fourrager équilibré et riche en protéine (15 % de MAT) semble atteignable », observe l’agronome.

« Positionner le glyphosate comme un outil pompier »

Ces premiers résultats donnent des pistes et valident les principes. Tous les mélanges expérimentés ont démontré leur capacité à nettoyer le sol. Mais, le groupe expérimentateur se veut modeste. « Nous avons choisi ces espèces parce qu’un semencier français (Semental) a pu nous les fournir, reconnaît Konrad Schreiber. Mais, personne ne connait aujourd’hui les bonnes combinaisons végétales, les bonnes densités de semis, les bons itinéraires techniques... Pour les essayer, il n’y a pas mieux qu’un éleveur qui a une super gomme qui s’appelle l’ensileuse. Et, pour ne pas prendre de risque, nous l’avons fait en dérobée d’été plutôt qu’en culture principale. Le vrai problème va être l’accès aux semences et à la diversité génétique pour caler les bons mélanges dans chaque pédoclimat. »

Le groupe a expérimenté également une association de maïs avec de la vesce conduite sans engrais, sans désherbant et sans irrigation. La vesce s’en est sortie mais le maïs n’a pas poussé. Une façon de démontrer par l’échec la place centrale de la fertilisation azotée dans cette stratégie de maîtrise du désherbage par l’agronomie. « La plante doit pousser vite pour étouffer les adventices, explique Konrad Schreiber. Le protéagineux est autonome en azote mais il en apporte peu à sa plante compagne, contrairement au trèfle dans la prairie, qui renouvelle ses feuilles en permanence. La fertilisation azotée, organique et minérale, est donc indispensable. Nous émettons l’hypothèse que c’est grâce à la fertilisation azotée, appliquée à un haut niveau sur un sol non travaillé et couvert par des mélanges de plantes compagnes que nous réussirons à maîtriser le glyphosate et à le positionner comme un outil pompier qui ne sert qu’en cas d’urgence. »

La directive nitrate n’est pas adaptée à une agriculture innovante

L’objectif de couverture permanente du sol permet d’envisager deux cultures successives au cours de l’année. L’agronome chiffre leurs besoins azotés annuels à 600 unités d’azote par hectare pour un rendement de 12 tonnes de MS par culture, dont 400 unités fournies par les légumineuses. Il resterait donc à apporter 200 unités sous forme organique et minérale pour le maïs. « Mais, la directive nitrate nous empêche de le faire. Avec de tels systèmes, très productifs, nous mettons des quantités considérables d’azote en jeu, dont la plus grande partie est biologique (légumineuses). Sur un sol couvert en permanence et jamais travaillé, cet azote ne se lessive pas dans les nappes phréatiques. La réglementation n’est pas adaptée à cette agriculture innovante. »

Le groupe Zéro Clivages va poursuivre ses expérimentations, en culture principale et en dérobée d’été. « Nous sèmerons autour du 15 mai et du 1er juillet, prévoit leur accompagnateur. Semer trop tôt serait une erreur car il faut que les plantes poussent très vite. Les semis précoces du printemps et tardifs de l’automne favorisent l’enherbement. »  L’idée est de multiplier les modalités de mélanges associant une variété de maïs plus tardive (indice 350) pour un meilleur rapport grain/tige, du sorgho et les légumineuses déjà expérimentées (vesce, féverole, lablab, cowpea), seules ou mélangées, et en variant leurs proportions. Quelque quatre hectares devraient y être consacrés en 2018.

Des méteils pour couvrir en hiver

Pour maintenir des couverts permanents, des méteils sont implantés à l’automne (mi-octobre) après la culture fourragère principale avec la même idée de « copier la prairie » et « d’étouffer » les adventices. Ils associent une graminée (20 à 30 % d’avoine) et plusieurs légumineuses (70 à 80 % de féverole, vesce, pois fourrager et trèfle annuel de type Micheli ou Squarrosum).

Zéro Clivages, groupe de recherche participative

Zéro Clivages ou l’art de faire passer plusieurs messages en deux mots. « Cli » comme climat, « Va » comme vaches et « Ges » comme gaz à effet de serre pour dire la prise en compte par ces éleveurs des débats sociétaux : changement climatique, bien-être animal, sans OGM, recherche de l’autonomie alimentaire, lutte contre les pollutions d’origine agricole... Des engagements clairement inscrits dans l’objet de l’association, qui a obtenu la compétence environnementale au même titre que des associations environnementalistes. Mais Zéro Clivages pour dire aussi le refus d’entrer dans des polémiques qui pourraient naître d’une démarche en totale rupture avec « un siècle de chimie agricole », selon Konrad Schreiber.

L’association est une forme de Ceta créée par cinq éleveurs laitiers et bientôt rejoints par cinq de plus pour faire de la « recherche participative » sur des pratiques agronomiques innovantes et les faire connaître. « C’est toujours le savoir-faire qui précède le savoir », aime à dire l’agronome. N’acceptant pas la baisse des rendements que pourrait entraîner la sortie de la « chimie », son projet est de construire une « agriculture des sols vivants, écologiquement très intensive » où la chimie n’aurait qu’une place très limitée et le végétal une place centrale. Un projet ambitieux qui prendrait le meilleur de toutes les agricultures existantes (conventionnelle, biologique, de conservation), mais qui demandera « trente ans » à mettre en œuvre, prévient-il, convaincu que le délai annoncé de trois ans pour supprimer le glyphosate n’est pas réaliste.

B. G.

Gaec des Escures

Travailler « en harmonie avec la société et l’environnement »

Patrice Brachet est le président du groupe Zéro Clivages. En Gaec avec son épouse et son fils, il produit 1,2 million de litres de lait avec un cheptel de 140 vaches et exploite 114 hectares, dont 52 ha de maïs et méteil en dérobés. Après avoir produit plus de 10 500 kilos de lait par vache (« en tête de tous les cheptels du département », précise-t-il), le Gaec a revu sa stratégie pour faire baisser un coût alimentaire exorbitant (185 €/1 000 l de lait en 2013) qui le mettait en difficulté financière.

Pratiquant le non labour depuis vingt ans, il a réduit, sur les conseils de Konrad Schreiber, la part du maïs ensilage et mis en place des méteils et des couverts végétaux pour viser davantage d’autonomie alimentaire. La ration de base des vaches comprend 50 % d’ensilage de méteil, 20 % d’ensilage d’herbe et 30 % d’ensilage de maïs épi et plante entière. Elle est complétée par 2 à 3 kg de tourteau de colza. Il estime le coût alimentaire actuel à 100-120 €/1 000 l. C’est pour poursuivre cette logique de « faire [son] métier en harmonie avec la société et l’environnement » qu’il s’est impliqué dans les essais de cultures de maïs associés et l’animation du groupe. Son objectif est de devenir complètement autonome en protéines (60 % aujourd’hui) et s’abstraire le plus possible de la chimie.

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