« Ce qui va faire la différence, c'est l'éleveur »
Jean-François Verdenal, éleveur en Lorraine et président d'European Dairy Farmers nous donne sa vision de l'élevage laitier européen,
après six années de présidence du réseau EDF.
. Dans quel état d'esprit sontles éleveurs laitiers des vingt pays appartenant au réseau EDF ?
Jean-François Verdenal - « Il ne faut pas croire que l'herbe est plus verte ailleurs. Les éleveurs des autres pays connaissent les mêmes difficultés que nous. Eux aussi ont connu l'an passé des problèmes climatiques, peut-être même plus importants, avec des conditions extrêmement humides en Irlande et en Angleterre, des gelées en Belgique et en Allemagne, une forte sécheresse en Espagne et au Portugal... Cette année, les Allemands, les Belges ont subi aussi le printemps pluvieux. Le prix de l'aliment a flambé partout, ce qui a conduit beaucoup d'éleveurs à réduire les quantités de concentré. Beaucoup de pays d'ailleurs n'ont pas rempli leur quota.
L'esprit général des éleveurs européens, c'est qu'on est en situation de transition. Entre d'un côté un prix du lait bas, un aliment très cher, et de l'autre le ciel qui s'éclaircit avec des perspectives favorables pour le prix du lait. Le prix repart plus vite dans certains pays, en Belgique par exemple. On sent qu'il y a du potentiel. Il y a partout des inquiétudes face aux incertitudes sur la nouvelle PAC. Pour la sortie des quotas, les avis sont plus partagés. Une partie des éleveurs la vivent comme une opportunité, d'autres comme une crainte. Certains sont dans les starting blocs au Danemark, en Hollande, en Irlande, en Allemagne du Nord. Mais il y a de très fortes pressions foncières(1) ou environnementales dans un certain nombre de pays qui peuvent les limiter. »
. Comment se situe la France ?
J.-F. V. - « Nous avons toutes nos chances et nous n'avons pas à rougir. La France a pas mal d'atouts : on nous envie nos AOP, la diversité des régions, le faible coût du foncier, notre autonomie alimentaire, ou encore la diversification des exploitations qui est une force quand le prix de l'aliment flambe.
Notre challenge est de réussir à gagner sur la productivité du travail plus faible en France que dans d'autres pays. Elle est liée à nos structures, notre système de quotas, la non spécialisation des exploitations. On a tout intérêt à chercher à être plus efficace dans l'organisation du travail. »
. Et au niveau compétitivité ?
J.-F. V. - « La variation est bien plus importante entre les élevages de chaque pays qu'entre pays. Mis à part l'Irlande qui se détache, aucun pays ne ressort nettement quand on analyse le coût de production des exploitations d'EDF sur les dix dernières années. Mais il y a une forte corrélation entre revenu et maîtrise des coûts de production.
Je suis convaincu qu'il n'y a pas une stratégie gagnante mais toute une panoplie de stratégies gagnantes. Il faut être capable de construire sa propre stratégie en fonction du contexte dans lequel on est. J'ai pu voir des élevages très compétitifs à 5 000 litres de lait par vache en Irlande, d'autres à 12 000 litres dans la plaine du Pô, des éleveurs avec 40 ha et 600 000 litres de lait près de Porto ou de grandes exploitations qui s'en sortent bien dans les pays de l'Est. Dans tous les pays, les éleveurs doivent faire face à des difficultés. Ce qui va faire la différence c'est l'éleveur, sa compétence. »
. Qu'est-ce qui vous paraît essentiel pour être producteur de lait demain ?
J.-F. V. - « À force de visiter les exploitations un peu partout et de discuter, je suis convaincu que quatre facteurs sont essentiels. Le premier est d'avoir au moins une dimension « éleveur » sur l'exploitation, c'est-à-dire d'avoir une personne proche des animaux que ce soit un salarié, un associé, homme ou femme... c'est très important. On a parfois tendance à perdre cela en France. Le deuxième facteur, c'est la dimension « chef d'entreprise » : il faut passer d'une gestion familiale à un esprit de chef d'entreprise, et passer autant de temps au bureau que sur le tracteur. Cela veut dire bien connaître ses coûts de production mais aussi savoir prendre du temps pour maîtriser tous les aspects humains : les relations entre associés, avec les salariés... mais aussi avec toutes les personnes en contact avec l'entreprise, il faut savoir capter des informations des uns et des autres. La troisième clé c'est l'innovation : elle n'est pas réservée qu'aux grandes entreprises, on peut innover sur nos exploitations familiales. Il peut s'agir d'adapter une ration qu'on a vue à l'étranger, d'innover par rapport à l'organisation... Les exploitations du réseau qui ont bien progressé ont su innover. Le dernier point c'est l'accès au marché via son transformateur. C'est bien beau de maîtriser ses coûts de production mais si on n'a pas à côté un transformateur capable de vendre et de payer le lait, cela ne suffit pas. »
. Qu'apporte le réseau EDF aux 400 éleveurs adhérents ?
J.-F. V. - «Il apporte de l'ouverture d'esprit et du positivisme. On vient y chercher des idées pour avancer et se projeter dans l'avenir, échanger sur les techniques et les coûts de production, mais aussi se ressourcer, recharger ses batteries car tout le monde connaît des hauts et des bas. Dans le réseau, les éleveurs partagent vraiment avec les autres ce qu'ils vivent sur l'exploitation, en mettant tous les chiffres sur la table. Ce qui est intéressant, c'est la partie immergée de l'iceberg : une grande exploitation avec un superbe bâtiment flambant neuf peut être en difficulté et un élevage d'apparence modeste au contraire très performant. »
(1) Exemples chez les éleveurs EDF : 40 à 45 000 EUR/ha aux Pays-Bas, 25 à 30 000 EUR/ha en Irlande/Belgique, 100 000 à 150 000 EUR/ha dans la région de Turin ou Porto.
En savoir plus
. Le réseau EDF regroupe 400 éleveurs de vingt pays (ayant un troupeau de 30 à 2000 vaches) ainsi qu’une centaine (d’adhérents scientifiques ou sponsors. 60 éleveurs adhèrent à la branche française (partenaires EDF France : BTPL et Cniel).
. Jean-François Verdenal, 43 ans, est président de la branche européenne depuis 2007. Il est installé depuis 13 ans en Gaec avec son frère en Meurthe-et-Moselle, avec un salarié. Le Gaec produit 660 000 litres de lait avec 70 vaches à 9 800 kg et cultive 240 ha.
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