Bien exploiter les vertus de la chicorée
La résistance à la sécheresse et la valeur alimentaire sont les principaux atouts de la chicorée. Mais, son exploitation par le pâturage doit être menée tambour battant.
La résistance à la sécheresse et la valeur alimentaire sont les principaux atouts de la chicorée. Mais, son exploitation par le pâturage doit être menée tambour battant.
Elle nous vient tout droit de Nouvelle-Zélande où elle a été sélectionnée comme plante fourragère. La chicorée est réputée pour son système racinaire à pivot qui lui confère des qualités agronomiques intéressantes et une très bonne résistance à la sécheresse. Elle est capable de fournir un fourrage vert à pâturer en plein été quand les autres espèces sont aux abonnés absents. Sa valeur alimentaire et sa teneur en minéraux et oligoéléments sont remarquables. On cite souvent des teneurs en MAT de l’ordre de 25 %. Sa faible teneur en matière sèche (15 %), en fait une plante très appétente et très digestible, mais la réserve essentiellement au pâturage. Hors de question de faire du foin. Riche en tanins, elle aurait également des vertus tannantes sur les protéines, ainsi que des propriétés vermifuges. Celles-ci restent néanmoins à prouver chez les bovins. Enfin, elle s’adapte à toutes les conditions de culture (sols profonds ou superficiels, terres acides…), hormis les sols très humides. Plusieurs variétés, sélectionnées en Nouvelle-Zélande, sont disponibles chez les semenciers français : pure (Choice de LG Semences) ou en mélange avec des légumineuses (M-Santé de Jouffray-Drillaud, Proteis plus dry de Barenbrug). La chicorée a une pérennité de trois à quatre ans.
Le plus souvent associée avec des graminées et des légumineuses
C’est de retour de Nouvelle-Zélande, avec tous ces atouts en tête, il y a quelques années, qu’une quinzaine d’éleveurs bretons ont entrepris d’en implanter sous un tout autre climat. « Qu’il pleuve ou qu’il fasse chaud, elle pousse toujours. Elle est donc bien adaptée au climat breton », explique Isabelle Pailler, conseillère lait à la chambre d’agriculture du Finistère. En Bretagne comme ailleurs en France, la chicorée est le plus souvent associée avec des graminées et des légumineuses. « Au début, les éleveurs semaient 1,5 kg de chicorée par hectare, détaille Isabelle Pailler. C’est trop pour notre climat. La chicorée étouffe le ray-grass anglais et le trèfle blanc. Aujourd’hui, ils sont plutôt sur des doses de 1 kg/ha, voire 0,8 kg. Ray-grass anglais et trèfle blanc sont semés aux doses habituelles. » Des essais réalisés au lycée agricole du Valentin dans la Drôme montrent également « l’agressivité de la chicorée vis-à-vis des autres espèces, comparable au comportement des ray-grass d’Italie » et concluent sur des dosages identiques (0,5 à 1,5 kg/ha). La chambre d’agriculture du Lot propose pour des sols séchants le mélange suivant : 2 kg de chicorée, 6 kg de ray-grass anglais, 10 kg de dactyle, 2 kg de trèfle blanc et 3 kg de lotier.
« Équivalente à une graminée au stade feuillue »
Dans le groupe d’éleveurs bretons, certains sèment des mélanges de chicorée, ray-grass hybride et trèfle violet pour faire des prairies de moyenne durée (2,5 à 3 ans) très productives, indique Isabelle Pailler. D’autres l’ont essayé en interculture, comme en Nouvelle-Zélande, en la semant à 4-6 kg/ha en mélange avec 3 kg de trèfle blanc. Ils font jusqu’à cinq pâtures au cours de la saison. Un autre éleveur enfin recharge des prairies dégradées avec de la chicorée (1,5 kg/ha). « C’est une plante supplémentaire dans la gamme des prairies d’associations », résume Isabelle Pailler.
Après quelques années de recul, ces éleveurs bretons en ont une expérience plutôt satisfaisante. Tous les atouts habituellement cités se sont révélés juste. Majoritairement en agriculture biologique, ces éleveurs apprécient en particulier sa capacité à structurer le sol. Quelques analyses réalisées au stade le plus favorable ont confirmé ses qualités alimentaires : 0,97 UFL, 173 PDIN, 116 PDIE, 27,5 % de MAT, 16 g de calcium/kg de MS. « Elle est équivalente à une graminée au stade feuillue ».
Revenir sur les parcelles au maximum toutes les trois semaines
Certains éleveurs du groupe ont néanmoins été confrontés à des difficultés pour la faire consommer par les vaches. « C’est plus un problème d’éleveurs que de chicorée, estime Isabelle Pailler. Il faut être plus patient que les vaches. En insistant, elles finissent par la pâturer, même si elle est un peu montée. Mais, dès que les premières tiges apparaissent, il faut la faire consommer immédiatement car elles montent à fleur très rapidement. Les éleveurs du groupe pratiquent presque tous la monotraite et ont des surfaces en herbe très importantes parfois exploitées avec des cycles assez longs. Ils font des pâturages d’une journée : le matin, quand elles ont faim, les vaches finissent la parcelle de la veille et, l’après-midi, ils donnent un nouveau paddock. Ils font un pâturage ras (3 - 4 cm). »
Bernard Griffoul
Bien exploitée, la chicorée a toute sa place dans les troupeaux laitiers
« La chicorée nécessite de tourner très vite, insiste Julien Greffier, chef produit fourragères chez LG Semences. Il faut commencer l’exploitation quand la plante atteint 3 - 4 feuilles (10 - 15 cm) et revenir sur les parcelles au maximum toutes les trois semaines au printemps. Au-delà, elle monte à tiges et devient inappétente. Les éleveurs bretons ont souvent l’habitude de tourner tous les 28 jours avec les ray-grass anglais/trèfle blanc. L’ajout de chicorée les oblige à tourner plus rapidement. Ils ont ainsi le bénéfice de la chicorée et d’une meilleure valeur alimentaire sur le ray-grass anglais et le trèfle. » Ainsi exploitée, la chicorée a toute sa place dans les troupeaux laitiers qui pâturent. « Nous sentons un intérêt croissant pour cette espèce, particulièrement dans les zones séchantes de la moitié est de la France », confirme Julien Greffier.
La chicorée en mélange avec du festulolium
En Ille-et-Vilaine, Pierre-Yves Lairy du Gaec Villeneuve a une courte expérience de la chicorée, mais il en est déjà un mordu. Il apprécie notamment son appétence. Malgré un parcellaire très morcelé, l’éleveur s’astreint à faire pâturer son troupeau de 65 vaches laitières (500 000 litres de lait). Elles sortent seulement en journée. Au printemps, elles disposent de 6,5 hectares de pâture en complément d’une demi-ration d’ensilage de maïs. Cette surface comprend des prairies à base de festulolium (hybride de ray-grass anglais et de fétuque des prés) et trèfles blancs et des prairies plus classiques (ray-grass anglais et trèfle blanc). À l’automne dernier, l’éleveur a semé 3,20 hectares de festulolium. Au mélange habituel (20 kg de festulolium, 4 kg de mélange de trois trèfles blancs), il a ajouté 500 grammes de chicorée Choice. Une dose assez faible pour que « le trèfle trouve sa place ». « Le festulolium est difficile à conduire au printemps mais il est très intéressant le restant de l’année car il pousse bien, explique l’éleveur. L’ajout de chicorée améliore l’appétence. Mais, "pour que la chicorée soit bien consommée, il faut passer tous les 9 à 12 jours ; 13 à 14 jours au maximum. À trois jours près, c’est impressionnant comme elle pousse. À trois semaines, c’est trop tard. » Un rythme d’exploitation qui correspond bien à celui du festulolium finalement.
Pierre-Yves Lairy a enrubanné la première coupe en mars et ensilé la deuxième début mai. Début juillet, il terminait le quatrième tour de pâturage. Les suivants devraient être moins rapides. La parcelle est divisée en deux paddocks. « Idéalement, il en faudrait quatre parce que la chicorée repousse vite, mais, pour l’instant, ce n’est pas faisable », dit-il. En tout cas, les vaches apprécient : quand elles reviennent sur des prairies de ray-grass anglais, elles ont tendance à les bouder. « Je vais reconduire l’expérience, c’est super », dit-il. Il prévoit de semer 1,5 hectare du même mélange cet automne.