AUTONOMIE PROTÉIQUE
AUTONOMIE PROTÉIQUE - Des graines de soja pour limiter l’achat de tourteau
Cultiver et distribuer
des graines de soja
crues aux vaches laitières,
c’est possible. Quelques
éleveurs en font
l’expérience au sud de la
Loire. Dans le nord-ouest,
cette culture reste aléatoire
même en recourant aux
variétés les plus précoces.
40 % de protéines.
«Nous sommes encore loin d’être totalement autonomes en protéines sur notre élevage, mais autant chercher à y tendre le plus possible », avance Laurent Legros, éleveur de 60 laitières à 9 000 kg, à Bossée en Indre-et-Loire.
Depuis quelques années, les surfaces en luzerne se développent sur l’exploitation et, plus original, la culture du soja également. « J’ai commencé petit il y a quatre ans, en implantant deux hectares, et cette année sept hectares vont être semés. En moyenne sur les trois campagnes menées, le rendement s’élève à 25 quintaux par hectare sans irrigation. Les deux premières années, nous avons récolté 40 et 31 quintaux par hectare, mais l’an dernier, nous avons pris un bouillon suite aux conditions météo déplorables. »
L’éleveur choisit des variétés triple zéro, les plus précoces. Les semis interviennent entre le 1er et le 15 mai après inoculation de la semence.
Soigner l’inoculation est indispensable
« L’inoculum est appliqué sur les semences dans une bétonnière, comme pour la luzerne, précise l’éleveur. J’ai adapté un semoir à tournesol en rajoutant des éléments semeurs. L’écartement entre rangs est de 40 cm, soit une densité de 500 000 graines par hectare. »
Mais les éleveurs sont confrontés à un problème au moment de la mise en culture : les pigeons, très friands des graines!
Le coût de la semence, autour de 150€/ha, approche celui d’un maïs.
Le désherbage est un autre point délicat. « Le salissement de la culture n’est pas complètement maîtrisé, notamment avec la présence de chénopodes. Selon les années, les adventices atteignent un stade trop avancé lorsque le traitement herbicide devient possible (stade soja deux feuilles trifoliées). J’espère que les nouvelles molécules qui arrivent sur le marché cette année vont offrir une plus grande souplesse d’utilisation. »
Les exploitants n’apportent pas de fumure de fond car les sols sont bien pourvus, et la culture ne nécessite évidemment aucun apport d’azote.
Les graines sont battues autour du 15 octobre à la moissonneuse-batteuse, sans difficulté particulière. « Nous avons réussi à récolter deux années sur trois à un taux inférieur à 16 % d’humidité, sans nécessité de séchage. L’an dernier, il a fallu recourir à une machine à chenille pour sortir 5 quintaux par hectare tellement les conditions de récolte étaient désastreuses. »
Les graines ont été analysées la première année d’utilisation. Leurs valeurs approchaient celles des tables Inra. Dans la ration, elles remplacent partiellement le tourteau de soja acheté (à hauteur de 800 grammes par vache et par jour). « Nous incorporons à la ration 1,2 kg de tourteau de soja et 1,5 kg de graines par vache et par jour sous forme concassée. Un concassage quotidien s’impose, sinon les graines deviennent rances. »
La ration mélangée comporte 8 kg MS de maïs ensilage, 4 kg MS d’ensilage de sorgho, 2 kg d’ensilage de trèfle violet, 2 kg d’ensilage de ray raygrass anglais-trèfle blanc, et 1,5 kg de foin de luzerne. Plus une complémentation au DAC en concentré de production et tourteau tanné.
« Nous observons une bonne valorisation par les animaux. Les graines apportent un ‘plus’ sur le TP. Ce qui me frappe, c’est de voir la production diminuer toujours un peu quand j’arrête de les distribuer. Il faut un bon mois pour recaler la ration et retrouver une production équivalente. »
La seule contrainte, c’est l’aplatissage quotidien des graines
Autre éleveur, autre région. Hervé Chambe, du Gaec du Côteau ensoleillé, en Savoie, s’est également lancé dans la culture du soja il y a quatre ans. L’exploitation se situe à St Genix sur Guiers à 300 mètres d’altitude. L’éleveur récolte 70 tonnes par an de graines de soja qu’il distribue à ses quarante Prim’Holstein hautes productrices.
La ration d’hiver se compose de 5,5 kg de foin (luzerne et graminées), 5,5 kg de regain de luzerne, 9,5 kg d’ensilage d’épis de maïs, 3,2 kg de graines de soja, 500 g de tourteau de colza, 1 kg d’orge et un peu d’avoine.
Les résultats sont au rendez-vous avec une production moyenne de 10 500 kg par vache. Sur les taux, l’éleveur n’a pas remarqué d’effet dépressif sur le TB. Hervé a vu grand dès le début. « J’ai démarré en semant du soja sur une vingtaine d’hectares non irrigués. J’avais déjà essayé le lupin pour gagner en autonomie protéique mais j’étais déçu par les rendements aléatoires et des valeurs azotées pas si élevées que ça. »
Pour cet élevage en filière IGP tomme de Savoie, les graines de soja constituent une source azotée tracée non OGM. « En plus des protéines, elles ramènent aussi de l’énergie dans le régime grâce à leur richesse en matière grasse. C’est d’autant plus intéressant que l’huile de palme est interdite dans notre cahier des charges », précise Hervé Chambe.
La seule contrainte, c’est l’aplatissage quotidien des graines. « Cela réclame un peu plus de travail, mais c’est positif pour le revenu! »
Le soja présente aussi des avantages sur le plan agronomique. « Grâce aux restitutions azotées, il constitue un excellent précédent à céréales. Nous le cultivons en conduite zéro NPK, c’est la culture la plus économique de l’exploitation. Ses rendements varient entre 20 et 40 q/ha selon les années ; la moyenne s’élève à 30 q/ha. »
Le soja présente aussi un avantage agronomique
Hervé utilise la variété Primus, une variété double zéro. « Je cherche le meilleur compromis entre teneur en protéines et productivité. » L’exploitation, en agriculture de conservation, travaille en semis direct. Le semis sous couvert d’avoine sur chaumes de maïs intervient début mai. Cette technique limite le salissement de la culture et un traitement de postlevée est effectué si besoin.
La récolte a lieu fin septembre à moins de 14 % d’humidité. « L’automne dernier, j’ai eu peur de ne pas pouvoir moissonner à cause de la pluie. Normalement, il faut 4 à 5 jours sans eau avant la récolte. Mais finalement, l’an dernier, nous avons pu récolter seulement une journée après la pluie. Le taux d’humidité est descendu de 22 à 14 % en 24 heures. Comme les grains étaient mûrs, ils ont certainement séché plus vite que s’ils n’avaient pas été tout à fait à maturité », suppose l’éleveur.
La conservation se fait en en cellules ventilées. Pour maintenir des graines sèches, il faut absolument qu’elles soient propres. Le Gaec recourt à un trieur à grains pour éviter la présence d’adventices. « Je suis surpris qu’il n’y ait pas plus d’éleveurs qui osent se lancer dans la culture du soja, notamment en bio", avance Hervé Chambe, qui ne doute pas de l’intérêt économique d’une utilisation en direct dans le contexte de prix actuel. "Il faut tout prendre en compte : la protéine, la matière grasse et les bénéfices agronomiques à l’échelle de la rotation. »