Tour de plaine
Vers une récolte française de blé tendre 2020 à 32-33 Mt ?
Les pluies courant mai ont globalement été insuffisantes pour rattraper le potentiel de production des cultures d’hiver. Les opérateurs contactés tablent sur une baisse des rendements par rapport à l’an dernier.
Les pluies courant mai ont globalement été insuffisantes pour rattraper le potentiel de production des cultures d’hiver. Les opérateurs contactés tablent sur une baisse des rendements par rapport à l’an dernier.
Qu'on ne s'y trompe pas: la prévision de récolte française de blé tendre pour la campagne commerciale 2020/20021 à 32-33 Mt, donnée par le cabinet d'analyse Stratégie Grains, est pour le moment très provisoire, et donc à prendre avec des pincettes. Il reste en effet un bon mois avant le début des récoltes, et beaucoup de choses peuvent encore se passer, dans un sens comme dans l'autre. Vincent Braak, analyste de Stratégie Grains, précise d'ailleurs que ce chiffre sera affiné « par l'intermédiaire d'un tour de plaine courant juin ». Les surfaces de blé tendre sont attendues à 4,5-4,6 Mha cette année par la société d’analyse, contre un peu plus de 5 Mha d’après Agreste l’an dernier. La plus grosse perte de surface se situerait dans la zone Ouest : Poitou Charentes, Pays de la Loire, Bretagne... Mais ces régions ne présentent pas les pires situations, les conditions climatiques s’étant améliorées par la suite. Le quart nord-Est avait moins souffert des mauvaises conditions d’implantations que le reste de l’Hexagone, mais est aujourd’hui très pénalisé par le manque d’eau. Rappelons qu'Agreste estime la récolte nationale de blé tendre l'an dernier à 39,5 Mt environ. Une perte de 7 à 8 Mt est donc envisageable par les opérateurs d'un an sur l'autre, en raison de la baisse de surfaces et de rendements.
Des cultures d’hiver affrontent le printemps sec en état de faiblesse
Les cultures de blé tendre, de blé dur et d’orge d’hiver auront traîné comme un boulet tout au long de la présente campagne culturale les mauvaises conditions d’implantations durant l’automne 2019, marqué par l’excès de pluies sur la majeure partie du territoire hexagonale. Ensuite, « la douceur de l’hiver a permis aux pucerons de bien s’implanter dans bon nombre de parcelles, et de transmettre des maladies aux cultures », ajoute Vincent Braak. Des soucis de jaunisse nanisante ont par exemple été rapportés dans le Centre, le Val de Loire et la Bourgogne, rappelle l’expert. C’est donc affaiblies que les plantes vont passer le printemps, qui verra l’apparition d’un déficit hydrique, spécialement sur le quart nord-est de la France, et pénalisant encore un peu plus le potentiel des cultures. « L’Alsace, le Massif Centrale ou le Rhône sont très touchés. Cela fait deux ans de suite que l’Auvergne est pénalisée par le manque d’eau ! », précise l’analyste de Stratégie Grains. Les conditions de cultures semblent être meilleures dans le Sud-Ouest, « mais nous devons récolter encore des informations », précise Vincent Braak. Après un mauvais départ en automne, la situation sur la façade Atlantique s’est améliorée au printemps.
Des pluies début juin pourraient changer la donne, mais les prévisions météorologiques n’annoncent aucune précipitation dans le pays durant les 10 prochains jours. « Que ce soit pour les cultures de blé tendre, de blé dur, d’orge de printemps et d’hiver, nous travaillons sur une hypothèse de rendements inférieurs à la moyenne quinquennale », témoigne Vincent Braak. Les pluies tombées en mai ont dans l’ensemble été insuffisantes, et inégalement réparties.
12 Mt d’orges hexagonales ?
Stratégie Grains confirme la stabilisation des surfaces hexagonales de blé dur annoncée par Arvalis entre les campagnes commerciales 2019/2020 et 2020/2021, à 249 000 ha. Concernant les orges de printemps, le cabinet d’analyse table sur un chiffre de 680 000 à 685 000 ha, contre 717 000 d’après Agreste début mai (639 000 ha l’an dernier). Rappelons que les surfaces d’orges de printemps augmentent cette année du fait des déboires concernant l’implantation des blés et orges d’hiver. « Toutes orges confondues (hiver et printemps), nous travaillons pour l’instant sur une hypothèse de récolte française 2020/2021 à un peu plus de 12 Mt », rapporte Vincent Braak, contre 13,7 Mt l'an dernier d'après Agreste. La baisse des volumes d'orges serait donc moins significative que ceux de blé tendre, mais cela s'explique aisément par a hausse des surfaces d'orges de printemps.
Jean-Olivier Lhuissier, directeur de la collecte de Vivescia, est globalement d'accord avec la vision de Stratégie Grains. « Ce chiffre de 32-33 Mt (concernant la récolte de blé tendre nationale 2020/2021) ne m'étonne pas. Il se pourrait même qu'il soit encore un peu trop haut ». Rappelons que la zone d'activité de la coopérative (regroupant les départements 51, 10, 08, 52, 77, 02 et 55) se trouve dans une des zones les plus touchées par la sécheresse actuellement, soit le quart nord-est de l'Hexagone.
Repli des populations d’épis d’orge et de blé tendre sur la zone de Vivescia
Le potentiel des cultures de blé tendre et d'orge d'hiver est irrattrapable dans certains secteurs de la zone d'influence de Vivescia, confirmant les informations de Stratégie Grains. « Nous constatons une population d'épis en blé tendre et escourgeon en repli de 25 % à 30% par rapport à la moyenne olympique », précise Jean-Olivier Lhuissier. Ce qui pourrait induire une baisse des rendements de l’ordre de 10 à 15%, ajoute-t-il. Les pluies en mai ont été bénéfiques, mais ne permettront pas de rattraper totalement le potentiel des cultures. « Nous avons eu entre 30 et 70 mm d’eau sur les trois dernières semaines. Cela a limité la casse, notamment concernant les orges de printemps, mais on aurait besoin d’autres pluies ».
Du côté des orges de printemps justement, « les plantes semées avant fin février ont souffert du manque d’eau durant 40 jours ! Les semis réalisés mi-mars présentent en revanche de belles populations dans l’ensemble », explique Jean-Olivier Lhuissier.
Sur la zone d'influence de la Scael (regroupant en gros une zone allant de la Beauce jusqu'à la basse Normandie), le constat est assez similaire. « Nous avons eu quelques pluies au début du mois de mai, et depuis, plus rien! Les plantes ont soif et les prévisions météo ne plaident pas pour l'arrivée de nouvelles pluies durant les 10 prochains jours, alors que nous sommes en pleine phase de remplissage du grain », explique Lionel Gibier, directeur du pôle végétal de la coopérative. Ce dernier s'attend à une baisse de la collecte de céréales d’hiver d'environ 20% par rapport à l'an dernier sur son secteur.
« J'espère qu'il ne pleuvra pas au moment de la récolte. Sinon, nous pourrions revivre le scénario de 2016! », ajoute Lionel Gibier. Le spécialiste rappelle que les conditions d'implantations trop humides en octobre ont empêché le bon déroulement des opérations de désherbage. « On manque de pieds et donc de talles », précise le directeur du pôle végétal de la Scael. Puis, la douceur de l'hiver a permis aux pucerons de bien s'implanter, et de transmettre des maladies aux cultures, confirmant le témoignage de Vincent Braak. « Des parcelles étaient pleines de pucerons au début du printemps », précise-t-il.
Des récoltes de blé tendre et d’orges avec 2 à 3 semaines d’avance ?
La récolte devrait commencer avec 15 jours d'avance environ pour les cultures d'hiver sur le secteur de la Scael. « Nous prévoyons de commencer les premières coupes d'orge d'hiver vers le 15-20 juin. Viendront ensuite les blés d'hiver ». Une prévision partagée par Jean-Olivier Lhuissier de Vivescia.
Pierre Ouvry, directeur du pôle Agriculture de NatUp (issue de la fusion des coopératives CapSeine et Interface Céréales), dont la zone d’influence s’étend sur une partie des Hauts de France, de la Normandie et de l’Île-de-France, parle d’une possible baisse de rendements de blé tendre « de 5% à 20-25% selon les secteurs ». Et confirme que la récolte devrait se réaliser avec trois semaines d’avance, « sachant que les récoltes lors des trois précédentes années s’étaient achevées avec un peu d’avance ». Ce dernier tient à ajouter que « l’interdiction de l’usage de néonicotinoïdes a fait beaucoup de mal. Nous avons aujourd’hui moins de solutions pour lutter contre les insectes ».