Déshydratation
Luzerne, une filière en danger
Défendant la légitimité de la luzerne, Coop de France Déshydratation fait part de ses craintes et de ses attentes pour les prochaines années
Depuis 2006, et la réforme des soutiens publics aux déshydrateurs, la production de luzerne aurait baissé de 25 à 30 % dans l’UE, d’après Éric Guillemot, président de Coop de France Déshydratation, présentant son rapport d’activité à la presse, le 10 novembre avant la tenue de l’assemblé générale de la fédération. Selon lui, « la filière est à la croisée des chemins avec la fin de l’Organisation commune de marché qui se profile ». Si cette année la production européenne de luzerne est en hausse, tirée par l’Espagne et l’Italie, la production française se replie, après voir subi des conditions climatiques sèches. Le président de Coop de France Déshydratation tire d’ailleurs la sonnette d’alarme suite à la fermeture de plusieurs usines au niveau européen. Ces dernières, faisant face à une baisse de la production de luzerne, ne peuvent saturer leurs outils industriels et souffrent du manque de trésorerie touchant les éleveurs des pays du Nord.Pourtant, la stabilité des cours des luzernes, en comparaison à la volatilité des cours du soja importé, est un atout pour cette matière première, d’ailleurs mis en avant par Jean-Pol Verzeaux, président du Syndicat national des déshydrateurs de France (SNDF). De plus, les luzernes apportent des fibres en plus des protéines, et la culture pourrait bien convenir au développement de l’élevage biologique compte tenu de sa rusticité et de ses faibles besoins en intrants.
De nouvelles avancées techniques
Si le marché des luzernes est trop petit pour intéresser les sociétés d’agrochimie, des partenariats on été mis en place afin d’éviter les impasses techniques, notamment en ce qui concerne le désherbage. La révision des homologations avait d’ailleurs laissé la filière orpheline de molécules autorisées pour le nettoyage des parcelles avant implantation. Mais ce problème semble avoir été surmonté avec l’homologation récente du Nirvana S comme désherbant sur luzerne. Cette solution a été le fruit d’une collaboration entre les institutions agricoles françaises, chambres et coopératives, et l’entreprise BASF. Pour Éric Guillemot, « l’innovation reste au centre des préoccupations de la filière luzerne. Et les essais d’associations de cultures graminées/luzernes, les études de transfert des oméga 3 contenus dans la luzerne vers la viande et le lait, et la vérification d’une thèse selon laquelle la luzerne réduirait les émissions de méthane (un aspect qui pourrait bientôt être encadré au niveau des grandes exploitations), prouvent la volonté de la filière à faire valoir ses avantages ». Enfin, l’étude d’impact menée sur les techniques de préfanage (sèchage après coup au champ) a montré que des économies d’énergie pouvaient être réalisées lors du processus de déshydratation sans altérer la qualité nutritionnelle des fourrages.
Des gains écologiques
Avec la vente de 700.000 t de CO2 fossile sur cinq ans grâce aux économies d’énergie réalisées par le préfanage avant la déshydratation, les représentants de la filière luzerne souhaitent que soient rémunérées plus largement les aménités positives de leurs activités. Pour cela, Éric Guillemot pointe les effets positifs des luzernières sur la biodiversité et demande qu’une compensation soit créée pour valoriser cette activité. Une étude a d’ailleurs montré que l’installation de bandes de luzerne de 7 m de large dans les champs permettait d’augmenter significativement la variété de faune et de flore présente dans les parcelles. À ce sujet, un label devrait d’ailleurs bientôt voir le jour.
Le président de Coop de France Déshydratation fait d’ailleurs remarquer que « si le préfanage et l’utilisation de biomasse ont permis d’importantes économies d’énergie, les industriels demandent de la visibilité en ce qui concerne les soutiens publics pour définir à terme les avantages de leurs investissements ». Éric Guillemot conclut d’ailleurs sur le fait que « si le maïs prenait la place des luzernes dans les assolements, les coûts énergétiques liés aux intrants utilisés pour cette culture seraient bien supérieurs à ceux nécessaires pour la production de luzerne déshydratée ».
Des investissements qui nécessitent de la visibilité
Les coûts énergétiques de la luzerne déshydratée représentant environ 30 % des frais de production, les industriels aimeraient en savoir plus en ce qui concerne les modalités de la gestion publique des gaz à effet de serre à court terme. Pour le moment, le charbon est privilégié en raison de son coût faible, mais des investissements pour l’utilisation des plaquettes de bois ou du miscanthus sont en cours. « Sur 26 usines en France, 20 utilisent déjà de la biomasse renouvelable totalement ou partiellement » indique Jean-Pol Verzeaux, président du Syndicat national des déshydrateurs de France (SNDF). Il souligne aussi « la nécessité pour les usines de multiplier leurs activités et de se diversifier dans le séchage des graines de raisin ou de pavot pour l’alimentation santé par exemple ». Jean-Pol Verzeaux dit avoir confiance dans les institutions et demande à Bruno Lemaire de tenir ses engagements. Il reste en revanche sceptique sur les soutiens européens compte tenu de l’état actuel des finances publiques de certains pays de la zone euro.