Coronavirus
[Coronavirus Covid-19] : Les usines de première transformation tournent mais la logistique commence à se gripper, surtout le ferroviaire
Adopter des mesures d’hygiène strictes et continuer à livrer n’est pas chose aisée. Mais la première transformation doit tourner pour alimenter ses clients.
Adopter des mesures d’hygiène strictes et continuer à livrer n’est pas chose aisée. Mais la première transformation doit tourner pour alimenter ses clients.
Les meuniers, amidonniers et organismes stockeurs tournent « normalement » en semaine 13, malgré la pandémie de Covid-19. Mais ils s’inquiètent du ralentissement du transport ferroviaire qui se serait accentué en semaine 13. « Ces derniers jours, de moins en moins de trains arrivent, et les livraisons ne se font pas toujours à 100 % […] Heureusement, les sites ont des stocks tampons, pour quelques jours à plusieurs semaines », témoigne Thomas Gauthier, délégué général de l’Usipa (Union des syndicats des industries des produits amylacés et de leurs dérivés). Même son de cloche du côté d’Axéréal : « Nous constatons une réduction de 50 % de la circulation des trains entre les semaines 12 et 13 ». Ajoutant à cela des tensions sur le transport routier. Dans ce contexte compliqué, le Syndicat de Paris du commerce et des industries des grains a tenu à rappeler aux opérateurs, dans une note du 23 mars, les modalités d’application de la clause de Force majeure dans les Formules Incograin et les Rufra.
La hausse de la demande alimentaire s’est confirmée, et les opérateurs contactés parviennent toujours à s’approvisionner et à livrer. Ils tiennent d’ailleurs à saluer l’engagement et le dévouement de leurs employés, ainsi que de leurs fournisseurs et de leurs clients. Peu ou pas de chômage partiel est signalé, tout comme le nombre de personnes infectées. « Nous avons cinq personnes malades sur nos 250 salariés et potentiellement infectés par le Covid-19, sans constituer de cas graves. Mais nous ne pouvons être sûr qu’il s’agisse du Covid-19, par manque de test », prévient Lionel Chevrier, directeur général du groupe les Moulins Advens.
Hausse de la demande de la boulangerie artisanale et des GMS en farine
Concernant les éléments concrets démontrant les besoins accrus de la population en aliments non périssables, Lionel Chevrier rapporte une hausse des achats de farine de la boulangerie artisanale et de la grande distribution (GMS), tempérée par un recul de ceux de la restauration hors foyers. « Axiane Meunerie a augmenté de près de 40 % en semaine 12 ses livraisons de farines aux boulangers artisans, et de 130 % à la GMS, sous forme de sachets de 1 kg», indique le groupe Axéréal. « Nous avons exécuté 40 000 t de contrats en semaine 12 pour nos différents clients (meuniers, biscuitiers…), un record ! », souligne Philippe Florentin, directeur général adjoint du groupe Noriap. Jean-Sébastien Loyer, directeur général de la Scael, rappelle que se greffe à la demande intérieure celle extérieure, avec le deuxième achat algérien de blé tendre en mars.
Multiplication du coût du transport routier par 1,5
La forte demande alimentaire génère une certaine tension sur la logistique, les aliments et matières premières servant à leur production devant être livrés. « Le transport routier fonctionne correctement sur courte distance, et avec des coûts très élevés par rapport à la normale sur longue distance », alerte Axéréal. Un courtier rapporte que le coût du transport routier a été multiplié par 1,5 en moyenne. Ce dernier précise que la hausse du coût est en partie liée au fait que certains camions sont obligés de revenir à vide. C’est notamment le cas pour ceux qui arrivent ou repartent du port de La Pallice. « D’autres places portuaires, comme Rouen par exemple, disposent d’usines de trituration (le site rouennais de Saipol est toutefois actuellement à l’arrêt, à cause d’un incendie déclaré le 13 mars) et donc de tourteaux. Ainsi, en théorie, même en période de crise sanitaire, un camion chargé de grains peut arriver au port de Rouen et en repartir avec des tourteaux. Mais pour La Pallice, ces conditions ne sont pas réunies. Hors période de pandémie, les camions arrivaient sur le port chargés en grains et repartaient chargés en pierre, grâce à la carrière locale. Mais l’épidémie de Covid-19 a engendré sa fermeture, et les camions doivent repartir à vide ! » Certains acteurs, comme Noriap, ne connaissent pas ce genre de souci, ayant leur propre société de transport, précise Philippe Florentin.
Mais les soucis du ferroviaire sont ceux qui préoccupent le plus les opérateurs. « On se disait qu’avec la suppression de trains de voyageurs, la SNCF aurait plus de disponibilité pour le transport de marchandises. Or, il n’en est rien », peste Jean-François Loiseau, président de l’ANMF. L’ensemble des opérateurs contactés rappellent que le secteur agroalimentaire est prioritaire et stratégique, et qu’il est impératif que la logistique tourne au mieux, afin de leur permettre de remplir leur mission d’alimenter la population en période de crise sanitaire. Le manque de trains pourrait en effet accroître la pression sur le transport routier. « Des conducteurs de train ont fait valoir leurs droits de retrait, ayant parfois des proches touchés par le Covid-19. Nous saluons les efforts du gouvernement, qui est à l’écoute, mais il faut continuer à travailler sur des solutions pour le ferroviaire au risque sinon d’engorger davantage le fret routier », précise Thomas Gauthier. Recourir à des suppléants ou d’autres opérateurs ferroviaires sont autant de solutions évoquées par le délégué général de l’Usipa. Il est donc vital, selon les acteurs de la filière, de faciliter les conditions de travail au maximum des chauffeurs routiers. Afin d’empêcher que la machine ne se grippe, Jean-François Loiseau, propose d’améliorer le confort des transporteurs : « Mettre à disposition des toilettes, maintenir de l’activité dans les stations de nettoyage, à essence… Il y a pleins de petits détails à penser : le chauffeur doit pouvoir s’alimenter sur la route, se laver les mains, faire ses besoins… Pour le moment, notre activité n’est pas affectée, mais il suffirait d’une étincelle pour mettre le feu aux poudres, notamment du fait de conditions de travail plus difficiles qu’à l’accoutumée pour les routiers ! » Autre détail à ne pas négliger : certains chauffeurs routiers ont besoin de faire garder leurs enfants. C’est pourquoi, Thomas Gauthier suggère au gouvernement de mettre en place des mesures afin de faciliter la garde d’enfants pour les transporteurs mais aussi pour la filière agroalimentaire.
Protocole de sécurité signé entre l’ANMF et la CNBPF
Rassurer la première transformation mais aussi les chauffeurs routiers est donc une nécessité, et passe par un renforcement des mesures de protection. Dans ce cadre, Jean-François Loiseau a annoncé, le 25 mars, la signature d’un protocole de sécurité avec la CNBPF (Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie française). Il met en place certaines règles comme « le fait que des livreurs de farine et les boulangers ne soient jamais en contact. Le boulanger doit préparer l’arrivée du livreur, et ne pas être à son contact dans la même salle lors de sa présence. Si le boulanger ne respecte pas ces règles, le livreur pourra appeler son supérieur, qui lui demandera de faire demi-tour », détaille le président de l’ANMF. Ce dernier explique, par ailleurs, que les boulangeries les plus modernes ont déjà un fonctionnement optimal en termes d’hygiène, disposant des infrastructures suffisantes. Mais les plus petites n’ont malheureusement pas les mêmes moyens, et doivent donc s’organiser pour respecter ledit protocole.
Les autres acteurs renforcent également les règles de sûreté et d’hygiène. Les opérateurs contactés (organismes stockeurs, meuniers, amidonniers) rapportent globalement tous la même stratégie quant à la prévention interne contre le Covid-19 : mise en télétravail du personnel (services administratif, Marketing, Comptabilité) ou roulement des équipes afin qu’un minimum d’individus soient présents dans les locaux, adoption des gestes barrières, mise à disposition de gel désinfectant, nettoyage accru des locaux, distance d’au moins un mètre entre les employés… Pour les personnels extérieurs (clients, fournisseurs, livreurs…), ces derniers n’ont plus le droit d’entrer dans les locaux administratifs. Les agriculteurs souhaitant, par exemple, s’approvisionner en intrants ou livrer des grains aux OS doivent prendre rendez-vous et ne peuvent plus rentrer dans les bureaux. Par ailleurs, les coopératives françaises participent à l’effort de guerre dans la lutte contre le Covid-19. Noriap a fait don de 2000 masques de type FFP2 aux services médicaux de la région, la Scael entre 500 et 600, ValFrance 200… « Nous faisons également dons de combinaisons intégrales », souligne Jean-Sébastien Loyer. Même son de cloche du côté de ValFrance, qui annonce, le 23 mars sur Twitter, le don de 50 combinaisons.
Que se passera-t-il quand les acheteurs auront fini de faire leurs réserves ?
Une dernière crainte est signalée : « aujourd’hui, nous voyons une hausse de la demande, des livraisons à nos clients… Mais ces derniers ont acheté en avance, afin de se protéger contre l’éventuelle intensification des problèmes logistiques. Ainsi, que se passera-t-il une fois la crise sanitaire passée ? Il se pourrait que la demande se tasse », détaille Jean-Philippe Florentin. En semaine 13, divers courtiers rapportaient toujours un intérêt marqué de la meunerie pour l’achat de grains, mais à un rythme moins soutenu que lors de la semaine 12. A voir comment se dérouleront les choses dans les semaines à venir.