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Marché des oléagineux
Guerre en Ukraine : marges des triturateurs en berne, des usines en sursis

Les marges de trituration européenne ont chuté fin 2021, du fait de l’explosion des cours de la graine de colza et de l’énergie. Des usines pourraient fermer, au moins temporairement.

La hausse du coût de la matière première et la pénurie de graines de colza ont mis à mal les triturateurs français et européens. « Les prix des huiles ont certes augmenté, mais ceux de la graine encore plus, pénalisant les marges des industriels en cette fin d’année 2021 », explique Christophe Beaunoir, dirigeant de Saipol.

 

 

Rappelons que l’année 2021 a été marquée par la folie des prix des graines oléagineuses, qui ont culminé en 2022 et particulièrement en colza, en raison de la très faible récolte canadienne, premier producteur mondial, à seulement 12,6 Mt en 2021 selon StatCan. Ajoutons à cela les déboires en Asie du Sud-Est (inondations, pénurie de main-d’œuvre liée à la Covid-19, baisse de l’usage d’intrants…), pénalisant la production d’huile de palme, la guerre en Ukraine, et l’effet La Niña, qui affecte la production de soja en Amérique latine. Les cours du colza n’ont cessé de dépasser des records historiques ces derniers jours, avec la décision états-unienne d'un embargo sur le pétrole russe le 8 mars.

Coût de l’énergie pour un triturateur à 20-25 €/t !

Du 29 septembre 2021 au 5 janvier 2022, les prix de la graine de colza grimpent de plus de 30 %, passant de 646 €/t en spot en base rendu Montoir à 776,50 €/t, pendant que ceux de l’huile montent de « seulement » 20 % environ, passant de 1 480 €/t à 1 785 €/t au départ de Rouen. Ajoutons à cela la hausse des coûts de l’énergie (pétrole/gaz), « responsable de 30 % à 40 % de la hausse des coûts de production. […] La flambée du prix du gaz et de l’électricité a conduit certaines usines à payer 20 €/t à 25 €/t uniquement pour l’énergie nécessaire à la trituration, contre maximum 4 €/t en temps normal », alerte Christophe Beaunoir.

Hémeline Macret, spécialiste du marché des oléagineux de la société Stratégie Grains, confirme les propos de Christophe Beaunoir, tout en rappelant que la profitabilité des triturateurs « était très bonne en 2020, et encore bonne lors de la première partie de campagne commerciale 2021/2022 (juillet-décembre 2021). Mais elles se sont fortement dégradées à la toute fin 2021 ».

Les coûts de l'énergie risquent de flamber davantage, au vu de la guerre en Ukraine.

 

 

Des marges négatives dans certains sites

Fin 2021/début 2022, les marges des industriels dégringolent à seulement 30-40 €/t, selon les experts interrogés, voire moins. « En dessous de 50 €/t, les usines ne peuvent investir dans de nouvelles capacités. Certains sites connaissent des marges négatives, notamment ceux dans les terres en Europe, où l’approvisionnement en grains se fait plus difficilement que sur ceux situés dans les ports. […] Des usines se sont arrêtées purement et simplement », complète Christophe Beaunoir.

Hémeline Macret s’accorde avec le dirigeant de Saipol, ajoutant que « dans tout l’ouest de l’Europe, on observe des marges proches de 0. […] Il ne serait pas étonnant de voir certaines usines fermer au moins temporairement en Allemagne, qui a souffert de pénuries de graines ».

Mieux vaut payer la taxe que du biodiesel !

Kristell Guizouarn, présidente d’Esterifrance et de l’EBB (European Biodiesel Board) ajoute un autre élément de pression sur les marges, les prix de l’huile de colza et du biodiesel qui en est issu : « Les prix du pétrole sont devenus tellement élevés que la pénalité infligée au distributeur pétrolier (via la Tirib : Taxe incitative relative à l’incorporation de biocarburants), fixée à 1 040 €/m3 de biodiesel non incorporé dans le gazole, est devenue inférieure au cours du biodiesel européen. Fin 2021, des distributeurs pétroliers ont préféré payer la taxe et ne pas incorporer de biodiesel, alors qu’elle n’avait jamais été payée auparavant ».

Un élément moins connu a aussi pénalisé la filière biodiesel en 2021. « Lors de l’été 2021, une usine européenne produisant du méthylate de sodium, important catalyseur utilisé dans la fabrication de biodiesel, a connu un accident industriel, ajoutant de la tension sur le marché », rapporte Kristell Guizouarn.

Baisse attendue de la trituration de colza sur janvier-juin 2022

Qui dit mauvaise marge de trituration, dit moindres volumes de graines broyées. « La cadence de trituration en graines de colza s’avérait très bonne lors de la première partie de la campagne commerciale 2021/2022, mais devrait fortement décroître sur la période janvier-juin 2022, de 20-25 %, alors qu’elle sera rythmée en graines de tournesol », prévient Hémeline Macret. Selon les statistiques de la Fediol (association européenne des producteurs d’huiles et de tourteaux), la consommation européenne de graines de colza s’élevait à 9,46 Mt entre juillet et décembre 2021, contre 9,13 Mt l’an dernier à la même époque. Mais elle chuterait à 7-7,5 Mt sur janvier-juin 2022, d’après l’experte.

Forte hausse des capacités de trituration au Canada !

Les difficultés européennes font prendre du retard aux industriels locaux par rapport aux concurrents outre-Atlantique, spécialement au Canada, craint Christophe Beaunoir, où d’importants projets de construction et d’extension d’usines modernes ont été annoncés en 2021 et en début 2022, afin de répondre à la demande en biodiesel et en huiles alimentaires. « Notre outil industriel a besoin d’investissements pour rester dans la course. On s’interroge sur la réalité des projets canadiens, qui ont été secoués par le dôme de chaleur au printemps 2021. Mais il est évident qu’ils investissent massivement, avec des outils neufs, extrêmement compétitifs, dotés d’une meilleure efficacité énergétique, et vont contraindre les Européens à s’aligner. » Selon Reuters, ces projets feront progresser les capacités de trituration canadienne de 62 % à l’avenir, soit 6,8 Mt de plus !

Repli des prix des grains en 2022/2023 ?

Hémeline Macret table sur un maintien des prix élevés de la graine de colza jusqu’à la fin de la campagne commerciale 2021/2022. Mais pour 2022/2023, les cours pourraient se détendre, face à la hausse des assolements dans divers pays. « Les surfaces progressent fortement en Ukraine et en Europe de l’Ouest, les agriculteurs répondant au signal prix. Au Canada et en Australie, le niveau actuel des cours joue en faveur de la graine oléagineuse, au détriment des céréales. […] Si tout se passe bien au niveau climatique et malgré le fait que les stocks de fin de campagne 2021/2022 seront très bas, le marché se rééquilibrerait, avec des prix moyens 2022/2023 inférieurs à ceux de 2021/2022 », analyse la spécialiste. Un rééquilibrage qui serait bienvenu pour les marges et l’activité des triturateurs de colza.

Toutefois, ces propos ont été enregistrés avant la guerre en Ukraine. L'opinion de l'analyste a pu évoluer.

 

Contexte réglementaire favorable à l’avenir

La mauvaise conjoncture économique actuelle ne décourage pas la filière française pour les années à venir, plutôt satisfaite du contexte réglementaire européen. « Il faudra voir le résultat de la directive RED III et des négociations Fit for 55. […] On remarque que le projet de texte inclut la suppression des doubles comptages. Les premières négociations de RED II étaient plus délicates, prévoyant initialement de plafonner l’usage de biocarburant de 1re génération à 3,8 % en volume, voire de les bannir. Pour l’instant, le plafond de 7 % n’est pas remis en cause, mais nous restons vigilants… », se réjouit Kristell Guizouarn, présidente d’Esterifrance.

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